Africa-Press – Gabon. Imaginez une industrie qui, du jour au lendemain, réduit sa consommation d’électricité de… 99,99 % ! Aussi impensable que cela puisse paraître, c’est exactement ce qui est arrivé à la blockchain (chaîne de blocs) Ethereum le 15 septembre. Ce réseau de transactions décentralisé cousin de la blockchain Bitcoin est passé ce jour-là d’une consommation de 19,45 térawattheures (TWh) à 2,1 mégawattheures (MWh). Le 21 novembre, le chiffre était de 2,9 MWh. Mieux: dans le magazine Time, l’un des développeurs les plus en vue d’Ethereum, le Britannique Justin Drake, affirmait que les modifications apportées sur le réseau allaient faire baisser la consommation mondiale d’électricité de 0,2 %.
L’explication tient en un mot: fusion. Il désigne le changement, annoncé depuis plusieurs années, du processus originel de validation des transactions, ce que l’on appelle la « méthode de consensus ». Depuis sa création en 2015, Ethereum utilisait la « preuve de travail » (proof of work) ; elle est passée en « preuve d’enjeu » (proof of stake). La première méthode repose sur des fonctions mathématiques et sollicite la puissance de calcul des ordinateurs des membres du réseau. La seconde est un mécanisme économique bien moins énergivore.
Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir – La Recherche n°911, daté janvier 2023.
Imaginez une industrie qui, du jour au lendemain, réduit sa consommation d’électricité de… 99,99 % ! Aussi impensable que cela puisse paraître, c’est exactement ce qui est arrivé à la blockchain (chaîne de blocs) Ethereum le 15 septembre. Ce réseau de transactions décentralisé cousin de la blockchain Bitcoin est passé ce jour-là d’une consommation de 19,45 térawattheures (TWh) à 2,1 mégawattheures (MWh). Le 21 novembre, le chiffre était de 2,9 MWh. Mieux: dans le magazine Time, l’un des développeurs les plus en vue d’Ethereum, le Britannique Justin Drake, affirmait que les modifications apportées sur le réseau allaient faire baisser la consommation mondiale d’électricité de 0,2 %.
L’explication tient en un mot: fusion. Il désigne le changement, annoncé depuis plusieurs années, du processus originel de validation des transactions, ce que l’on appelle la « méthode de consensus ». Depuis sa création en 2015, Ethereum utilisait la « preuve de travail » (proof of work) ; elle est passée en « preuve d’enjeu » (proof of stake). La première méthode repose sur des fonctions mathématiques et sollicite la puissance de calcul des ordinateurs des membres du réseau. La seconde est un mécanisme économique bien moins énergivore.
Il était hors de question, pour les développeurs d’Ethereum, que cette opération entraîne des dysfonctionnements. « Ils ont d’abord mis la preuve d’enjeu en mode test, mais complètement fonctionnel, en parallèle de la preuve de travail, explique Manuel Valente, directeur scientifique de Coinhouse, société spécialisée dans l’achat et la vente de cryptomonnaies. Au bout d’un moment, le mécanisme en preuve de travail a été coupé et n’est restée que la preuve d’enjeu. » D’où cette notion de « fusion » des deux systèmes.
Le participant doit choisir entre deux statuts
Pour comprendre, il faut revenir aux origines et à la blockchain Bitcoin. Apparu dans les faits en janvier 2009, conçu par un mystérieux développeur nommé Satoshi Nakamoto, ce programme informatique est un système monétaire numérique sur lequel ni les banques, ni les États, ni aucun organisme central n’a la main. Tout se passe directement entre utilisateurs. Les échanges de cryptomonnaies sont validés et enregistrés par leurs ordinateurs à travers des protocoles informatiques et cryptographiques automatisés. Les utilisateurs constatent aussi tout ce qu’il se passe sur le réseau depuis leur machine, la blockchain s’apparentant à un grand registre comptable en ligne.
N’importe qui peut participer, mais il faut choisir entre deux statuts: « mineur » ou simple « nœud ». Les « mineurs » s’emparent d’un certain nombre de transactions entre utilisateurs, en vérifient les informations (adresses des comptes, solvabilité… ) et les stockent dans un « bloc », c’est-à-dire un dossier contenant, sur Bitcoin, 1 mégaoctet de données. Ce sont les mineurs qui génèrent les blocs en s’attaquant à un problème informatique posé par le programme de la blockchain dont la solution est (quasi) aléatoire. Celle-ci correspond à une empreinte numérique, un « hash », qui sert de preuve que le mineur a fait son travail: c’est la « preuve de travail ». La trouver nécessite des millions d’itérations, selon le principe de la force brute, et elle diffère d’un bloc à l’autre. Cela déclenche une compétition entre mineurs, chacun lançant dans la bataille ses ressources informatiques. Le vainqueur reçoit une récompense en bitcoins.
Les nœuds, eux, vérifient ce travail. Si une seule transaction pose un problème, tout le bloc est rejeté. Si tout va bien, le nœud envoie le bloc aux nœuds voisins dans le réseau, qui font de même avec leurs voisins et ainsi de suite. Le bloc s’enregistre de cette manière chez tous les membres de la blockchain. Il est lié cryptographiquement au bloc qui le précède en intégrant le hash de ce dernier. Ce procédé crée la fameuse « chaîne » de blocs qui donne son nom au système. À partir de là, les transferts de bitcoins entre utilisateurs peuvent avoir lieu.
Bitcoin, Ethereum et les autres
Namecoin, Solana, Monero, Litecoin, Algorand… Il existe quantité de blockchains, certaines anecdotiques. Si toutes ont les mêmes bases (cryptographie, blocs, jetons numériques), ce sont leurs vocations qui diffèrent. Bitcoin reste focalisée sur les échanges de cryptomonnaies, mais Ethereum se développe autour des contrats intelligents, des transactions qui s’exécutent en fonction de certaines conditions.
Selon ses applications, une blockchain peut jouer sur son niveau de sécurité et de décentralisation, le rythme de création des blocs (un toutes les deux minutes et demie sur Litecoin, toutes les dix minutes sur Bitcoin), la quantité et le rythme d’émission des jetons, etc. Des blockchains dites oracles consultent des données sur Internet pour exécuter des contrats intelligents (météo, résultats sportifs, cours de Bourse…).
Des machines qui tournent jour et nuit
Pour servir de nœud, un simple ordinateur de bureau suffit, voire un Raspberry Pi, un nano-ordinateur réduit à un processeur. Par contre, de l’espace disque est nécessaire pour stocker la blockchain, environ 500 Go pour Bitcoin. « Il faut investir dans du matériel, la plupart du temps très cher, poursuit Manuel Valente. Pour fixer les idées, aujourd’hui, il faut un hangar rempli de machines. » Des sociétés proposent des « coopératives de minage », permettant à des utilisateurs de combiner leurs puissances informatiques pour partager les revenus de minage, la répartition étant proportionnelle à l’apport de chacun. Les gains sont plus réduits, mais plus réguliers.
Or, puisqu’elle exploite la puissance d’ordinateurs qui tournent jour et nuit, la preuve de travail demande énormément d’électricité. Au point qu’en 2021, des chercheurs de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) situaient la consommation annuelle d’électricité de la blockchain Bitcoin devant celle de l’Argentine. Début 2022, le Kosovo interdisait carrément le minage de cryptomonnaies pour éviter les black-out. Les crypto-mineurs du Texas ont réduit leur activité à la demande des autorités pour les mêmes raisons, face aux vagues de froid et d’extrême chaleur.
Les blockchains créées après Bitcoin, comme Namecoin, Litecoin, Primecoin ou Ethereum à l’origine, ont repris la preuve de travail. Mais une deuxième génération opte pour la preuve d’enjeu. Au lieu de « mineurs », on parle de « validateurs ». « Ils bloquent une somme dans un contrat de séquestre et, pour chaque bloc, un tirage au sort désigne celui qui va le valider et les autres vérifient les transactions contenues dedans « , résume Stanislas Barthélémi, spécialiste en cryptomonnaie chez KPMG.
Sur Ethereum, le séquestre minimal est de 32 ethers (la cryptomonnaie de cette blockchain valant 1.200 euros début novembre 2022) et la probabilité d’être tiré au sort sera proportionnelle au capital mis en jeu. Il n’y a plus de compétition entre des millions d’ordinateurs, plus de course à la puissance informatique. « Une seule machine fait le travail en quelques secondes, un ordinateur portable est largement suffisant, note Manuel Valente. L’énergie consommée se résume à celle de cet ordinateur et de ceux qui vérifient ce qu’il se passe. » Le validateur est rémunéré en ethers pour cette opération et perçoit en outre des frais de transactions. Mais il peut aussi être sanctionné s’il fait mal son travail en perdant une partie de son capital (voire la totalité, en cas de circonstances extrêmes).
Le système n’est cependant pas exempt de faille. Cette mise de 32 ethers se dresse comme une barrière pour les utilisateurs les moins dotés en capital. Les plus riches, eux, s’ils atteignent 50 % des sommes mises en enjeu, pourraient contrôler le réseau, à rebours de l’idéal de décentralisation. « C’est possible car il existe des coopératives d’enjeu pour les petits porteurs, comme il existe des coopératives de minage en preuve de travail, note Renaud Lifchitz, directeur scientifique de la société de sécurité informatique Holiseum. La récompense est calculée en fonction de ce que chacun a apporté. Or, une coopérative comme la société Lido représente déjà 30 à 40 % des sommes mises en enjeu sur Ethereum. »
À plus de 50 %, elle serait désignée plus d’une fois sur deux comme validateur avec la capacité, en théorie, de refuser des transactions comme bon lui semble, notamment celles de sociétés concurrentes ! En pratique, il faut atteindre 66 % du capital. Mais cela reviendrait quoi qu’il en soit à créer de la défiance et donc à mettre à bas tout le projet de blockchain.
Pouvoir traiter plus de transactions à la seconde
La consommation d’électricité en preuve de travail joue aussi un autre rôle que la seule alimentation, fait remarquer Renaud Lifchitz: « C’est comme un contrepouvoir: personne ne peut contrôler plus de 50 % de l’énergie à l’échelle mondiale, donc personne ne peut contrôler la sécurité des blockchains en preuve de travail. Contrairement à la preuve d’enjeu où tous les mécanismes sont endogènes. » En fait, aucune méthode n’est meilleure qu’une autre, chacune correspond à la philosophie de chaque blockchain.
Contrairement à Bitcoin, Ethereum ne craint pas d’évoluer pour diversifier ses applications au-delà des échanges de cryptomonnaie. L’adoption de la preuve d’enjeu n’est pas un but en lui-même, mais une étape technique parmi d’autres. La vraie transformation attendue sur la blockchain Ethereum s’appelle le « sharding ». Elle va créer des sous-blockchains, et donc multiplier les groupes de validateurs. Cela permettra de traiter bien plus de transactions à la seconde (20 actuellement) et de réduire les frais de transaction.
« Pour l’utilisateur final, ce sont ces changements qui seront les plus lisibles « , estime Renaud Lifchitz. Initialement, le sharding devait même avoir lieu avant la preuve d’enjeu. Mais une partie des utilisateurs, notamment les entreprises désireuses d’avoir des usages professionnels de la blockchain mais dans le respect des normes sur leur responsabilité sociale, ont poussé en avant le sujet de la consommation d’électricité. Quand les enjeux sociétaux et les stratégies de développement se rejoignent…
Le minage ou l’écologie par intérêt
L’énorme consommation électrique des blockchains en preuve de travail ne fait pas débat, mais cela n’en fait pas automatiquement une activité polluante. Pour certains experts, ce serait même l’inverse ! « La vraie question est celle de la production énergétique. Or, il n’y a aucun intérêt à miner à partir d’énergies fossiles « , relève Stanislas Barthélémi, de KPMG. Les mineurs, contrairement aux idées reçues, traquent les énergies en surproduction impossibles à stocker. Autrement dit, les énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité.
En vertu des aléas naturels, et selon les régions du monde, les pics de production ne trouvent en effet pas toujours preneurs. Plutôt que de ne rien vendre du tout, les producteurs bradent alors les prix, attirant les mineurs de cryptomonnaies. Ce n’est donc pas tant une conscience verte qui anime ces derniers qu’un intérêt économique. Des sociétés fournissent même des serveurs informatiques installés sur des semi-remorques, permettant aux mineurs de se déplacer d’un site de production à l’autre au gré des tarifs.
Au Salvador, en septembre 2021, le bitcoin est devenu une monnaie officielle au même titre que le dollar américain. L’État a alors demandé à la compagnie publique LaGeo d’exploiter la géothermie au pied des volcans pour le minage de la cryptomonnaie, avec, là encore, des serveurs informatiques stockés dans des conteneurs mobiles. L’Islande est aussi une région de choix pour la même raison. Au Texas, une autre tendance est en cours: se servir des gaz de torchage issus de l’extraction pétrolière, du méthane bien plus générateur d’effet de serre que le CO2.
Même si cela est techniquement possible, il est trop compliqué et coûteux de transformer ces gaz en énergie électrique qu’il faut ensuite acheminer vers les consommateurs, géographiquement trop éloignés. Plus de 90 % sont donc brûlés et le reste s’échappe directement dans l’atmosphère. D’où l’idée d’injecter tout le méthane dans une turbine pour le transformer en électricité alimentant des serveurs de minage.
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