Le Papillon Gabonais Et La Sécurité Européenne

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Le Papillon Gabonais Et La Sécurité Européenne
Le Papillon Gabonais Et La Sécurité Européenne

Africa-Press – Gabon. À première vue, la menace jihadiste au Sahel semble se jouer loin des canopées équatoriales, dans la poussière des frontières poreuses et l’effondrement des États. Pourtant, derrière l’urgence sécuritaire qui inquiète l’Europe, se cache une chaîne de causalités plus vaste, plus silencieuse et autrement plus décisive. Climat, eau, rareté des ressources et stabilité des sociétés forment un même système, où chaque déséquilibre local produit des effets géopolitiques à longue portée. C’est cette lecture systémique, à rebours des approches strictement militaires, que propose ici Adrien NKoghe-Mba*, en faisant du Gabon et de son massif forestier un acteur inattendu, mais central, de la sécurité régionale et européenne.

L’avertissement était clair et sans ambiguïté. En fin de semaine dernière à Accra (Ghana), João Cravinho, le représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel, a rappelé une vérité dérangeante: « La montée jihadiste au Sahel menace directement l’Europe. » Face à l’extrémisme qui prospère dans les sables, l’impératif de sécurité pour l’Europe est évident. Mais pour trouver des solutions durables, nous devons cesser de regarder uniquement le champ de bataille et commencer à observer l’atmosphère.

Le destin du Sahel, et la sécurité de ceux qui se trouvent au-delà, n’est pas uniquement scellé dans le désert. Il est intimement aussi lié à l’intégrité de la plus grande forêt d’Afrique: les forêts du bassin du Congo qui est le Cœur Vert du continent, dont le Gabon est un acteur majeur.

Le Papillon gabonais et l’effet Sahel

Nous devons désormais repenser le monde avec la logique de l’effet papillon. Le chroniqueur des affaires étrangères pour le New York Times Thomas Friedman nous a appris que le battement d’ailes des événements locaux se répercute jusqu’aux marchés mondiaux. Aujourd’hui, cette vérité est biologique.

Le Gabon est ce papillon. En choisissant de protéger et de gérer durablement près de 88% de son territoire forestier, nous provoquons un « battement d’ailes » qui ne fait pas trembler l’économie, mais qui nourrit la stabilité. Notre forêt n’est pas un simple atout national ; elle est au centre du Cœur Vert de l’Afrique, régulant l’humidité et les précipitations pour une grande partie du continent.

L’instabilité du Sahel est alimentée par la rareté des ressources et la sécheresse, ces forces qui poussent les communautés au désespoir et aux conflits. C’est là que notre rôle prend tout son sens.

L’exploitation de ce fait est implacable: selon un rapport de la Banque Mondiale (2020) sur les impacts du climat, 64% de la pluie dans le Sahel dépend des précipitations pluviales régionales, par opposition à la vapeur d’eau venant des océans.

Ce chiffre est crucial. Il signifie que le sort de l’agriculture et de l’élevage sahéliens — c’est-à-dire la paix économique et sociale de la région — repose principalement sur l’eau qui circule déjà sur le continent. Par un phénomène appelé évapotranspiration, notre canopée massive injecte la vapeur d’eau vitale dans l’atmosphère, contribuant activement aux systèmes de mousson qui apportent cette pluie essentielle.

Ainsi, quand nous assurons l’intégrité de ce cœur, nous ne faisons pas que stocker du carbone pour l’atmosphère globale. Nous injectons de l’espoir et de la pluie, qui sont le fondement de l’économie et de la résilience communautaire au Sahel. La protection des arbres gabonais devient, en réalité, une stratégie de sécurité indirecte: elle combat la rareté des ressources qui est le carburant du chaos.

Un partenariat pour la résilience

L’heure n’est plus à la critique ou au fatalisme, mais à la reconnaissance mutuelle des rôles. Le Gabon, en maintenant son couvert forestier, offre un service climatique et hydrologique essentiel à la stabilité régionale. Ce n’est pas un acte de charité, mais une contribution systémique que la communauté internationale, à commencer par l’Union Européenne, doit reconnaître à sa juste valeur stratégique.

Les mécanismes de financement de la forêt, comme les paiements pour la performance dans la réduction des émissions issues de la déforestation (REDD+), ne doivent plus être vus comme de l’aide au développement. Ils sont un investissement pour la paix et la prévention des conflits. L’argent investi pour protéger notre forêt, c’est de l’argent investi pour rendre les terres sahéliennes plus vivables et moins vulnérables aux appels extrémistes.

En comprenant que les solutions à la crise sécuritaire du Sahel et à la crise climatique globale sont les mêmes, nous ouvrons la voie à une nouvelle ère de coopération. Le Gabon, en tant que Papillon de l’effet climatique, est un pionnier dans cette approche. Notre engagement à l’Équateur prouve qu’en prenant soin de la nature, nous semons les graines de l’espoir et de la paix à la frontière du désert. C’est en renforçant ce lien systémique que nous pourrons, ensemble, écrire le prochain chapitre de la sécurité européenne.

*Président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.

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