L’effet Proteus ou quand incarner Léonard de Vinci améliore la créativité

5
L’effet Proteus ou quand incarner Léonard de Vinci améliore la créativité
L’effet Proteus ou quand incarner Léonard de Vinci améliore la créativité

Africa-Press – Gabon. Si dans la vie, l’habit ne fait pas le moine, c’est un peu moins vrai en réalité virtuelle où l’incarnation d’un personnage numérique peut affecter le comportement et les interactions sociales. C’est ce que l’on appelle l’effet Proteus et il fait l’objet d’un travail de chercheurs de l’équipe Présence et Innovation de l’Institut Arts et Métiers de Laval (ENSAM), et d’Inria à Rennes. Il a été présenté le 18 octobre 2023 à la conférence internationale annuelle de la réalité augmentée à Sydney (Australie). Quarante personnes ont été immergées dans une représentation virtuelle de l’atelier de Léonard de Vinci pour y réaliser plusieurs exercices. Une moitié incarnait un avatar du maître basé sur le Portrait de Lucanie (entre 1505 et 1510) et les 20 autres participants gardaient une apparence plus fidèle à la leur (morphologie et couleur de peau).

Portrait de Lucanie. Crédits : Wikimedia commons.

En comparant les performances des deux groupes, dont les compétences ont été évaluées en amont et jugées homogènes (tous sont étudiants des Arts et Métiers, en master, en école d’ingénieur), le résultat est net : incarner Léonard de Vinci améliore certaines performances en matière de créativité. Mais pas toutes. « Les participants ne deviennent pas des génies, insiste Geoffrey Gorisse, professeur assistant à l’Ecole nationale supérieure des Arts et Métiers et coauteur de l’étude. Simplement, cette incarnation nous mobilise au meilleur de nos capacités, favorise la mobilisation de nos compétences propres. »

Dans le rôle de Léonard de Vinci

L’effet Proteus a été identifié dans les années 2007-2008 par une équipe de l’université Stanford (Etats-Unis), mais dans un contexte d’environnement 3D temps réel, pas de réalité virtuelle. L’effet joue notamment à plein quand un participant tient le rôle d’un personnage très stéréotypé, ou celui d’une personnalité connue à laquelle sont associées nombre d’idées reçues. Il s’observe le plus souvent sur l’attitude, les postures corporelles.

Le travail de l’ENSAM et d’Inria prend deux orientations nouvelles : étudier le phénomène en réalité virtuelle et voir son impact sur les performances intellectuelles, plus précisément la créativité. D’où le choix d’un avatar de Léonard de Vinci (Steve Jobs et Elon Musk avaient aussi été envisagés).

Pensée convergente et pensée divergente

Les participants coiffés d’un casque HTC Vive ont eu à mener trois tâches. Dans la première, ils devaient, en deux minutes, proposer des « usages alternatifs et inhabituels du globe terrestre posé sur le bureau dans l’environnement virtuel », décrit l’article. Le deuxième exercice consistait à fournir un mot qui puisse être associé à trois autres inscrits sur un tableau noir, le tout répété pour 15 groupes différents de mots.

Le premier exercice relève de ce que l’on appelle la pensée divergente, le deuxième, de la pensée convergente. « Ce sont deux mécanismes cognitifs très différents, note Geoffrey Gorisse. La divergence, c’est le fait de produire plein d’idées, c’est le brainstorming ; la convergence c’est trouver une solution à un problème en capitalisant sur nos connaissances et notre expérience ».

La troisième tâche est un exercice pratique : avec le pinceau virtuel de l’environnement simulé, faire un croquis autour d’un parapluie pour suggérer un usage de l’objet différent de celui qu’on lui connaît. En 15 minutes, il fallait dessiner autant d’idées que possible, puis les participants ont eux-mêmes désigné ce qu’ils estimaient être les trois meilleures. Autrement dit, cette tâche combinait pensée divergente et convergente.

Un impact sur le nombre d’idées, pas leur qualité

« Dans ce genre de travail sur l’incarnation virtuelle, l’enjeu est de trouver les bonnes métriques, celles qui vont permettre de révéler la puissance de l’effet que l’on veut observer, souligne Anatole Lécuyer, responsable de l’équipe Hybrid d’Inria Rennes et spécialiste d’incarnation virtuelle. Souvent, on se base sur des questionnaires mais qui sont limités et souffrent de biais. Nous avons pu profiter de l’expérience de l’ENSAM sur les techniques bien éprouvées d’évaluation de la créativité. »

Tout le monde a enchaîné les trois tâches dans le même ordre. « L’effet observé est massif, note Anatole Lécuyer. Sur la tâche de divergence, les gens incarnant un avatar fidèle à leur apparence proposaient en moyenne cinq idées contre huit chez ceux qui incarnaient de Vinci. » Les croquis donnent également un avantage à l’incarnation en Léonard de Vinci. Mais attention : la différence entre les deux groupes ne porte que sur le nombre d’idées, typique d’une approche de « brainstorming », pas sur leur qualité. Et surtout, surprise, l’expérience montre un effet inverse et tout aussi net sur la tâche de pensée convergente : le groupe qui garde son apparence réelle a été meilleur.

Un effet inverse à celui attendu

« Aujourd’hui, on ne sait pas dire si incarner Léonard de Vinci dégrade la performance sur l’exercice de pensée convergente par un détour cognitif ou si être avec l’avatar similaire à notre apparence favorise la mobilisation de nos connaissances propres », prévient Geoffrey Gorisse. Mais le fait est là : l’effet Proteus est plus subtil qu’il n’y paraît et son impact est lié à une combinaison d’au moins deux éléments, l’avatar et le type de tâches exécutées avec. « Il n’est pas question de dire que pour être plus créatif, il faut se mettre dans la peau de Léonard de Vinci, commente Anatole Lécuyer. Cela peut même avoir des effets inverses si vous ne savez pas ce que vous faites. Mais, bien utilisée, cette approche pourrait servir dans certains cas à booster la créativité. »

C’est pour cela que l’équipe voit son travail comme une première pierre. D’autres travaux sont nécessaires pour pouvoir, à terme, édicter des recommandations permettant d’exploiter au mieux l’effet Proteus. Car malgré son nom emprunté à une divinité de la mythologie grecque, ce phénomène relève de tout sauf de la magie.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Gabon, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here