Origines du Covid-19: Marché de Huanan ou Animaux Sauvages

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Origines du Covid-19: Marché de Huanan ou Animaux Sauvages
Origines du Covid-19: Marché de Huanan ou Animaux Sauvages

Africa-Press – Gabon. Le 10 décembre 2019, Wei Guixian, 57 ans et vendeuse de fruits de mer au marché de Huanan à Wuhan (Chine), pensait avoir attrapé un banal rhume. Huit jours plus tard, elle était hospitalisée et quasi inconsciente. Elle constitue l’un des premiers, sinon le premier, cas de Covid-19 officiellement diagnostiqué de la pandémie qui déferla sur le monde quelques mois plus tard. Sur les 174 cas précoces de Covid-19 identifiés par la Commission de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en janvier 2020, 57 (environ 33%) partageaient un point commun avec Wei Guixian: ils avaient été récemment exposés au marché de Huanan, 50.000 mètres carrés couverts et arpentés quotidiennement par 10.000 visiteurs. Situé en plein centre de la ville de Wuhan, le marché et ses 600 stands proposent aussi bien légumes, poissons et fruits de mer que des animaux vivants, dont certains capturés et commercialisés illégalement. Soupçonnés d’avoir été en contact avec des chauves-souris contaminées dans le Yunnan, à 1500 km de là, ce sont à ces animaux sauvages que de nombreux scientifiques attribuent à l’époque la responsabilité de la transmission du virus à l’humain.

Cinq ans après, les experts sont loin d’être unanimes. « Le marché a servi d’amplificateur à l’épidémie. Mais ce n’est certainement pas le seul lieu, simplement le seul à avoir été repéré », affirme Renaud Piarroux, chef de service à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (AP-HP) et auteur de Sapiens et les microbes – les épidémies d’autrefois (CNRS Editions). Pour lui et beaucoup d’autres, le virus a plus probablement été introduit par un ou plusieurs humains infectés suite à un accident de laboratoire à l’Institut de Virologie de Wuhan (WIV), localisé à quelques kilomètres du marché et mondialement reconnu pour son expertise des coronavirus. « Le métro, qui reliait d’ailleurs le WIV et le marché, a très probablement aussi servi d’amplificateur, par exemple », continue Renaud Piarroux. Même le très prudent rapport du SAGO (Groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) conclut le 27 juin 2025 que le marché « a été un site d’amplification, ce qui a permis au virus de se propager davantage, mais il n’est pas possible de déterminer si les premières infections (y) ont eu lieu ».

Trois stands où le virus est colocalisé avec des animaux sauvages

Une vision des choses que rejettent plusieurs scientifiques, comme le microbiologiste à l’Institut de technologie chimique et biologique NOVA (Portugal) Zach Hensel, pour qui « il n’y a aucune raison d’invoquer un laboratoire ». « Toutes les preuves que l’on s’attend à trouver à l’origine d’une épidémie se trouvent dans un coin du marché de Huanan et nulle part ailleurs dans le monde », affirme-t-il. Les preuves dont il parle font référence à des prélèvements au marché par les autorités de santé chinoises dès le 1er janvier 2020, date de fermeture du marché, jusqu’à son nettoyage final le 2 mars. Sur les 923 prélèvements réalisés sur les cages, charriots, murs des stands, sols et même dans les canalisations et égouts – mais aucun sur les animaux –, 74 (8%) étaient positifs au SARS-CoV-2. Parmi eux, un seul était positif à la lignée A du virus, et tous les autres à la lignée B apparue juste après et qui en diffère par deux mutations. Pour certains scientifiques, avoir trouvé les deux premières lignées connues du virus du Covid-19 sur le marché confirme que la pandémie a pu y débuter, et même que chaque lignée aurait émergé séparément d’un animal infecté vers un humain. Mais c’est oublier que le SARS-CoV-2 mute très vite, au rythme d’environ deux mutations par mois. « Deux virus avec seulement deux mutations d’écart ça se trouve dans une même culture cellulaire infectée, en virologie on appelle cela une quasi-espèce, donc ça ne prouve rien », explique Marc Eloit, ex-directeur du laboratoire « Découverte des Pathogènes » à l’Institut Pasteur. On ne pourrait donc même pas parler de deux lignées différentes.

L’imprécision des données empêche d’aller beaucoup plus loin. « L’échantillon positif à la lignée A a été prélevé sur un gant », relève Virginie Courtier, directrice de recherche au CNRS et responsable de l’équipe « Évolution et Génétique » à l’Institut Jacques-Monod. « Etait-ce un gant utilisé pour manipuler les animaux à fourrure? Un gant de nettoyage? Un gant de laboratoire? Nous n’avons pas cette information. » Parmi les échantillons récupérés au marché, beaucoup ne précisent d’ailleurs pas en quelle quantité se trouve le virus, ou bien ne mentionnent pas quel type de marchandise était vendu à l’emplacement d’où provenait l’échantillon. Plusieurs études ont cependant analysé ces données au mieux et publié les résultats dans de prestigieuses revues scientifiques. Dans une des plus récentes, l’équipe – dont Zach Hensel – a repéré les stands dont les échantillons révélaient la présence à la fois d’un animal sauvage et de SARS-CoV-2. Le résultat pointe un recoin de l’aile ouest, les stands 29-31-33 de l’allée 6, où sont colocalisés le virus et de l’ADN de civettes, chiens viverrins et rats des bambous. Le chien viverrin, sensible à l’infection par le virus du Covid-19, fait un bon candidat. Mais colocaliser l’animal et le virus ne signifie pas que c’était l’animal qui était infecté. « On n’a jamais trouvé SARS-CoV-2 chez les animaux autrement que par une contamination par l’Homme. Et ça c’est vraiment très en défaveur de l’hypothèse d’une émergence par zoonose », précise d’ailleurs Renaud Piarroux.

When we look at the distribution of positive samples in the market, we see that they are overwhelmingly associated with the west side where animals were sold, in the corner where the stalls sold animals.

This is a strong statistical association and it’s not a coincidence. pic.twitter.com/aTEaBuG4VG

— Dr. Angela Rasmussen (@angie_rasmussen) July 26, 2022

Updated heat map now with negative samples known: pic.twitter.com/UJaZwY3zrk

— Henri Mourant 🌱 (@henri_mourant) April 3, 2023

Les toilettes et la salle de Mahjong non ventilée

C’est Wei Guixian qui, auprès du Wall Street Journal, apporte une autre piste intéressante. Elle pense avoir été infectée aux toilettes qu’utilisaient notamment des vendeurs de viande sauvage et d’autres personnes du côté ouest du marché. Situées à une allée des fameux stands 29-31-33 de l’allée 6, ces toilettes donnent justement sur le corridor où les analyses statistiques identifient l’épicentre de l’épidémie, d’après l’analyse statistique des emplacements des échantillons positifs au Covid-19. Juste au-dessus, une petite salle de Mahjong non ventilée et dont les rumeurs suggèrent l’usage par les vendeurs contaminés attire elle aussi l’attention des chercheurs Virginie Courtier Orgogozo et Francisco de Ribera dans une publication de 2022. Dans ses travaux, ils établissent que contrairement à ce que laissent penser les cartes du marché montrant les localisations des cas de Covid-19 sous forme de points, ces premiers cas étaient plutôt éloignés les uns des autres. « 20 à 40 mètres les séparaient, et parfois des murs « , précise Virginie Courtier Orgogozo. « Donc on ne peut pas imaginer qu’entre elles, elles se sont contaminées directement à l’endroit où elles étaient au niveau du marché. » Cela signifie soit que d’autres personnes asymptomatiques ou non repérées ont été à l’origine de ces contaminations, soit qu’elles ont eu lieu dans des lieux de rassemblement tels que les toilettes ou la salle de Mahjong.

Un box d’animaux sauvages non échantillonné

Des travaux que Zach Hensel juge « ignorants ou trompeurs ». « À côté de ces toilettes, et sous cette salle de Mahjong, il y avait un box pour animaux sauvages qui n’a pratiquement pas fait l’objet d’un échantillonnage environnemental », contre le fervent défenseur de l’hypothèse d’une émergence zoonotique. Il illustre ses propos de photos (reprises dans le tweet ci-dessous), l’une datant de février 2020 et l’autre de la visite de l’équipe OMS en Chine en 2021. « Le panneau indiquant qu’il s’agit d’un local pour animaux sauvages a été enlevé entre-temps », précise-t-il, faisant référence à l’enseigne jaune et rouge sur la gauche d’une photo, qui est absente d’une autre. « Si c’est vrai, cela illustre bien que les données dont nous disposons sont incomplètes. On aurait besoin de cartes détaillées du marché et particulièrement de descriptions plus précises des endroits où les échantillons positifs ont été prélevés », répond Virginie Courtier Orgogozo.

Un scientifique anonyme cité par ses pairs du collectif Drastic, qui a contribué à révéler les documents du projet DEFUSE qui ont remis l’hypothèse de fuite de laboratoire sur le devant de la scène, a d’ailleurs cherché à compiler le maximum d’éléments de géographie du marché. Sur son site, les points jaunes sont cliquables et permettent d’accéder aux photos et vidéos correspondantes, malheureusement souvent anciennes.

Des éléments compatibles avec la zoonose comme la sortie de laboratoire

Les travaux de Virginie Courtier Orgogozo et Francisco de Ribera ne contredisent pas la thèse de la zoonose. « Oui, effectivement, peut-être que le virus est arrivé par des animaux et par cet étal situé à côté des toilettes », commente Virginie Courtier Orgogozo. Dans ce cas, les animaux à cet emplacement auraient dû contaminer tout le monde dans les 50 mètres à la ronde, pointe-t-elle. Comme ce n’est pas ce que montrent les données, il faut supposer soit que les autres cas à proximité des animaux infectés sont passés inaperçus, soit que les vendeurs diagnostiqués tels que Wei Guixian ont été contaminés dans un second temps, par des humains, bien après la contamination par l’animal. « Les données du marché sont aussi compatibles avec une contamination initiale à l’extérieur du marché qu’à l’intérieur », conclut-elle. L’épidémiologiste aux positions modérées Marius Gilbert, qui a officié au sein du conseil scientifique du gouvernement belge à l’époque des confinements, confirme. « Ces éléments sont certes compatibles avec un virus sorti de l’animal, mais aucun ne peut contredire l’hypothèse alternative qui est qu’une personne infectée arrive à ce marché, et voire même infecte les animaux sur le marché. »

Découvrez les autres épisodes de notre grande enquête scientifique aux origines du Covid-19:

– Episode 1: anatomie du virus, ces éléments étranges qui sèment le doute

– Episode 2: comment le projet DEFUSE a nourri la théorie d’un virus sorti de laboratoire

Lisez bientôt l’épisode 4: si le virus du Covid-19 a émergé par l’animal, est-il encore possible de retrouver lequel?

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