PREMIERE. Une simple prise de sang pour différencier la bipolarité de la dépression

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PREMIERE. Une simple prise de sang pour différencier la bipolarité de la dépression
PREMIERE. Une simple prise de sang pour différencier la bipolarité de la dépression

Africa-Press – Gabon. “C’est clairement une révolution”, s’enthousiasme la Pr Chantal Henry, psychiatre au GHU de Paris. Dès avril 2024 sort en France EDIT-B, le premier test sanguin au monde permettant de différencier la bipolarité de la dépression, avec une précision de plus de 80%.

La bipolarité commence souvent par un enchaînement de phases dépressives

“J’étais incapable de m’occuper de mes trois enfants et j’ai dû vendre mon cabinet de dentiste”, témoigne Michel, diagnostiqué bipolaire huit ans après ses premiers symptômes, apparus à l’âge de 42 ans.

Comme 60% des personnes souffrant de bipolarité, sa maladie a débuté par une récurrence d’épisodes dépressifs avant que les premières phases de manie (exaltation, agitation) n’apparaissent. “En phase maniaque je parlais 20 minutes sur une consultation d’une demi-heure”, se souvient Michel, évoquant une grande perte de confiance sur le plan professionnel. “Il y a souvent une, deux ou trois phases de dépression avant des phases maniaques bien marquées”, confirme le psychiatre et addictologue Jean-Philippe Lang, directeur médical du laboratoire Alcediag commercialisant le test EDIT-B.

En outre, ces phases maniaques passent souvent longtemps inaperçues. “Les patients viennent consulter en phase dépressive et vivent les phases maniaques comme une compensation des phases de dépression”, explique Chantal Henry.

“Le cerveau est un organe comme les autres, quand il est malade il émet des signaux”, explique Alexandra Prieux, présidente d’Alcediag. De nombreux travaux ont été menés pour identifier des biomarqueurs spécifiques des maladies mentales, dont la bipolarité qui est confondue avec la dépression dans 40% des cas.

L’Université de Cambridge a notamment identifié 17 molécules du métabolisme et en particulier un lipide de la famille des céramides (graisses) permettant de diagnostiquer 30% des patients bipolaires de plus qu’avec les questionnaires seuls. Ces résultats sont publiés dans la revue JAMA Psychiatry et un brevet a été déposé par l’université. D’autres pensent pouvoir un jour baser le diagnostic de maladies mentales sur les réponses électriques aux signaux lumineux détectés dans la rétine.

Des ARN spécifiques de la bipolarité et de la dépression

EDIT-B, en revanche, se base sur la détection dans le sang de huit ARN, ces séquences de matériel génétique produites à partir de l’ADN. Chez les bipolaires, ces séquences sont altérées de sorte que plusieurs des nucléotides – les “briques” qui le composent – sont modifiés. Plus précisément, certaines adénosines sont remplacées par des inosines (substances naturelles à partir de laquelle nos cellules fabriquent l’adénosine), à des emplacements qui diffèrent selon que le malade est dépressif ou bipolaire.

Si ces modifications peuvent influer sur la santé mentale, c’est que les protéines dont font partie les neurotransmetteurs ou les récepteurs neuronaux qui les accueillent sont justement produits à partir des ARN. Lorsque ces derniers sont modifiés, la fonction de la protéine correspondante peut donc être altérée, rendant par exemple le patient moins sensible à certains neurotransmetteurs comme la sérotonine qui régule l’humeur.

“Au départ, nous avions identifié 40.000 séquences d’ARN qui différaient entre les deux pathologies”, se souvient l’ex-directrice de recherche au CNRS Dinah Weissmann, découvreuse des fondations scientifiques du test et aujourd’hui co-fondatrice et directrice scientifique d’Alcediag. C’est en filtrant ces milliers de séquences pour ne retenir que les plus significatives, celles qui étaient déjà connues pour leur rôle dans l’inflammation ou des pathologies d’intérêt, couplé à des études statistiques et des séquençages, que ces huit séquences ont finalement été retenues. Elles permettent de différencier la bipolarité de la dépression avec une précision de 80%, soit seulement 20% de faux positifs et de faux négatifs.

Une simple prise de sang et un mois d’analyse… Pour éviter 10 ans d’errance thérapeutique

Si ce soutien au diagnostic est une grande avancée pour les psychiatres, c’est que l’expérience de Michel est malheureusement commune. “Il s’écoule en moyenne 10 ans entre le début de la maladie et l’instauration d’un traitement adapté”, affirme la Haute Autorité de Santé (HAS). Or, la prise d’anti-dépresseurs sans régulateurs de l’humeur associés (thymorégulateurs) peut aggraver la pathologie en déclenchant des épisodes maniaques ou en raccourcissant la durée de cycles dépression-mania.

Différencier les deux maladies est donc un enjeu crucial. “15% des patients non traités meurent par suicide”, appuie Chantal Henry. “D’autres développent des addictions ou des troubles anxieux, sans parler de la perte d’estime de soi.”

Début avril, EDIT-B sera disponible dans tous les laboratoires d’analyse SYNLAB, partenaire d’Alcediag, sur le territoire français. Pour y avoir droit, il faudra une prescription d’un psychiatre et débourser 899 euros. “Les procédures pour obtenir un remboursement du test sont en cours, mais cela n’aboutira sans doute pas avant deux ou trois ans”, précise Alexandra Prieux. Il suffit d’une prise de sang classique au laboratoire d’analyse à réaliser pendant une phase dépressive, pendant laquelle les ARN recherchés sont produits, puis un délai d’un mois pour réaliser les analyses.

Les résultats du test sont ensuite envoyés au psychiatre, qui se charge d’en faire l’interprétation au regard des autres résultats aux tests et questionnaires classiques auprès du patient. “Ce test reste une aide au diagnostic et ne remplacera pas l’expertise du praticien”, précise Chantal Henry. “Un mois d’attente au lieu de huit ans… Ca aurait changé ma vie”, soupire Michel.

Sur le même principe, Alcediag a d’ores et déjà identifié des ARN modifiés spécifiques de la schizophrénie, et même des idées suicidaires. Avec l’espoir de rendre les maladies mentales plus concrètes. “Le fait que ce soit visible par un test sanguin, on se dit que c’est une maladie comme les autres”, observe Michel.

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