Africa-Press – Gabon. L’ampleur des violences numériques au Gabon, qui touchent principalement les femmes et les filles, avec des conséquences graves sur leur dignité, leur scolarité et leur vie sociale inquiète particulièrement le Dr Emmanuel Thierry Koumba dont la nouvelle tribune ci-après interpelle les autorités en vue d’une meilleure protection des Gabonais à l’ère du numérique. Enseignant et « observateur de la vie publique », il souligne le retard du pays en matière de lois et de dispositifs spécifiques pour lutter contre le cyberharcèlement, la diffusion non consentie d’images intimes et autres abus en ligne. Dr Koumba appelle à six mesures urgentes – de la législation à l’éducation numérique responsable – afin de transformer les écrans en outils de développement plutôt qu’en armes de peur et d’humiliation.
Introduction: L’invisible qui fait plus mal que les coups
Les statistiques, au Gabon comme ailleurs, sont alarmantes: les violences numériques se multiplient, souvent plus destructrices que certains coups, parce qu’elles s’abattent dans le silence des écrans, loin des témoins. Une photo intime diffusée sans consentement, des insultes répétées dans un groupe, des menaces anonymes, un dénigrement systématique sur les réseaux: autant de violences réelles, mais rarement reconnues. Les femmes et les filles en sont les principales cibles, avec un impact profond sur leur estime de soi, leur scolarité, leurs carrières, parfois même leur désir de vivre.
1. Des violences sans murs et sans frontières
La particularité de la violence numérique, c’est qu’elle ne connaît ni frontières, ni horaires. Une image publiée depuis un téléphone peut se retrouver, en quelques minutes, vue, copiée et commentée par des milliers de personnes, au Gabon comme à l’étranger. Le harcèlement se poursuit jour et nuit, dans la poche de la victime, via son téléphone. Et lorsque le numérique reste un luxe pour une partie de la population, la violence devient double: une fracture d’accès au droit et aux recours vient se superposer à la fracture numérique.
2. Gabon: le temps des actes a sonné
Notre pays ne part pas de zéro. Le Gabon connaît déjà les défis de la violence basée sur le genre, de la protection de l’enfance, de la préservation de la dignité humaine. Mais nous accusons un retard sur leur traduction dans le champ numérique. Pendant que certains pays ont adopté des lois spécifiques sur la diffusion non consentie d’images intimes, le cyberharcèlement ou les deepfakes, nous en sommes encore, trop souvent, au stade des discours. Or, l’inaction envoie un message terrible: celui que ces violences seraient « moins graves » parce qu’elles ne laissent pas de bleus sur la peau.
3. Six chantiers urgents pour un Gabon protecteur
Face à cette urgence, des solutions concrètes existent. D’abord, adopter une loi claire qui nomme et sanctionne les violences numériques, tout en protégeant les victimes. Ensuite, doter la police et la justice d’unités spécialisées capables de recueillir les plaintes, de sécuriser les preuves et de coopérer avec les plateformes. Mettre en place une hotline nationale, accessible par téléphone et messagerie, pour briser l’isolement des victimes. Négocier des protocoles avec les opérateurs pour retirer rapidement les contenus illicites. Créer des points d’écoute dans les centres de santé et de promotion de la femme. Enfin, intégrer la culture du numérique responsable dans nos écoles, nos médias, nos familles.
Conclusion: Ne pas laisser la peur conquérir nos écrans
Le numérique n’est ni bon ni mauvais en soi ; il reflète les sociétés qui l’utilisent. Le Gabon ne peut pas accepter que ses écrans deviennent des lieux d’humiliation, de chantage et de peur pour ses citoyennes et ses citoyens. Endiguer les violences numériques, c’est protéger la dignité des personnes, consolider la confiance dans les institutions et faire du numérique un levier de développement, non une arme destructrice. Le temps des diagnostics est passé. Il nous faut, collectivement, passer au temps des actes.
Par Docteur Emmanuel Thierry Koumba, Enseignant à l’Université Omar Bongo et à EM-Gabon, Citoyen gabonais, Essayiste et Observateur de la vie publique





