« Renforcer les productions culturelles des pays d’ascendance africaine »

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« Renforcer les productions culturelles des pays d'ascendance africaine »
« Renforcer les productions culturelles des pays d'ascendance africaine »

par Tierno Monénembo*

Africa-Press – Guinee Bissau. La question de la relation entre l’Afrique et le Brésil est d’autant plus d’actualité que le président Lula est de retour aux commandes de ce pays mastodonte de l’Amérique latine, membre des Brics et promoteur d’un nouvel ordre international. En séjour là-bas, il m’a été donné de réaliser combien l’Afrique faisait encore fortement partie de son équation socioculturelle. Après notre entretien avec l’écrivaine Cidinha da Silva, autrice et référence dans la lutte pour les droits des Noirs au pays de Lula et pour qui « l’Afrique est tout », place à Chiquinho de Assis qui, de sa position d’élu, va pouvoir nous donner une perception qui pourrait utilement compléter celle de Cidinha da Silva.

Le Point Afrique : Pouvez-vous, en tant qu’afrodescendant, nous parler de votre ville d’Ouro Preto (littéralement “Or noir”) et de son histoire tragique avec l’Afrique ?La question de la relation entre l’Afrique et le Brésil est d’autant plus d’actualité que le président Lula est de retour aux commandes de ce pays mastodonte de l’Amérique latine, membre des Brics et promoteur d’un nouvel ordre international. En séjour là-bas, il m’a été donné de réaliser combien l’Afrique faisait encore fortement partie de son équation socioculturelle. Après notre entretien avec l’écrivaine Cidinha da Silva, autrice et référence dans la lutte pour les droits des Noirs au pays de Lula et pour qui « l’Afrique est tout », place à Chiquinho de Assis qui, de sa position d’élu, va pouvoir nous donner une perception qui pourrait utilement compléter celle de Cidinha da Silva.

Le Point Afrique : Pouvez-vous, en tant qu’afrodescendant, nous parler de votre ville d’Ouro Preto (littéralement “Or noir”) et de son histoire tragique avec l’Afrique ?

Chiquinho de Assis : L’or est noir et notre peuple aussi. Les données du dernier recensement montrent que 70 % de la population autochtone se déclare d’ascendance africaine. Avec une grande joie, je fais partie de ce groupe ethniquement majoritaire, mais qui lutte quotidiennement pour pouvoir jouir de ses droits. Ouro Preto est la petite Afrique de Minas, je n’en doute pas. Attiré par l’exploitation de l’or, des dizaines d’ethnies africaines qui possédaient un savoir minier sont venues ici, réduites en esclavage. Elles se sont perpétuées avec leurs descendants. La grande question est que la majeure partie de la population reste en marge des politiques de logements, d’infrastructures, de santé publique et de sécurité. Elle représente une grande partie de la population pauvre de la ville.

On ne peut évoquer Ouro Preto sans rappeler Chico-Reye, la figure centrale de la mémoire noire de cette ville. Qui était Chico-Reye ?

Il s’agit de Galanga, le roi d’une tribu du Gabon et qui a été baptisé ici François. Il est le symbole de la victoire de la libération par le travail. C’est un symbole d’identité et d’estime de soi pour les Noirs d’ici. Galanga a inspiré des histoires, des croyances, des légendes. C’est un mythe de liberté constamment visité par les différentes générations. Il est le symbole de ceux qui achètent leur liberté (manumission) à force de travail. Il est aussi la référence de l’esclave libre qui a réussi à acheter la liberté de tant d’autres et de son peuple.

À part Chico-Reye, quelle autre figure ou quel fait historique marquant l’esclavage y a-t-il à Ouro Preto ?

Nous avons à Ouro Preto la figure d’Antonio Francisco Lisboa, ou Aleijadinho. Fils d’une femme noire asservie et d’un architecte portugais, il est devenu le plus grand représentant de l’école esthétique de construction et de sculpture au XVIIIe siècle, non seulement à Ouro Preto, mais aussi dans plusieurs villes du cycle de l’Or du Minas Gerais.

Existe-t-il aujourd’hui un lien symbolique entre Ouro Preto et le Gabon, le pays d’origine de Chico-Reye ?

Malheureusement, non. Il faut dire que pour les consulats africains, la référence de la représentation africaine était souvent Bahia ou la samba de Rio de Janeiro. Nous devons revoir cet endroit qui illustre l’importance et la force de l’Afro Minas Gerais, la force d’Ouro Preto, une ville qui au XVIIIe siècle était la plus peuplée d’Amérique, avec plus d’habitants que New York et où la majorité de la population était d’origine africaine.

Votre conseil municipal a-t-il tenté d’établir un jumelage avec une ville africaine, gabonaise par exemple ?

En vain, malgré quelques initiatives. Nous devons agir avec plus de diplomatie à cet égard. Nous avons bon espoir de pouvoir, avec le moment actuel que vit le pays, nourrir de telles ambitions. Il convient de rappeler qu’Ouro Preto est l’une des villes brésiliennes les plus touristiques et les plus marquées par l’esclavage.

Vous arrive-t-il de croiser des touristes africains dans vos rues et dans vos églises ?

Oui, cela m’arrive, mais moins que j’aurais aimé. Aujourd’hui, l’université de notre ville a des accords qui permettent aux étudiants africains de venir poursuivre leur cycle ici. Cela ne va pas manquer d’aider à mieux faire connaître la petite Afrique qu’est Ouro Preto.

Le Brésil et l’Afrique ont l’air de s’ignorer alors qu’ils sont voisins et que leur complémentarité économique saute aux yeux. Le Brésil, faut-il le rappeler, est le deuxième pays noir du monde (juste après le Nigeria). Comment l’homme politique que vous êtes peut-il corriger cet aberrant déficit diplomatique et commercial ?

Je pense qu’il faut resserrer les liens, construire des ponts, partager des histoires, des souvenirs, des traditions. La culture est une grande alliée à cet égard. Nous devons renforcer les productions culturelles des pays d’ascendance africaine afin que celles-ci soient des liens qui permettent l’échange et renforcent notre sentiment d’origine et d’appartenance. Je crois que la création d’un fonds international à cet effet serait un grand allié pour tirer parti de cet objectif d’échange culturel. À la question de savoir si je connais l’Afrique, je réponds que je connais des Africains mais malheureusement pas l’Afrique. C’est un vieux rêve que je nourris. J’espère qu’il se réalisera.

Si vous deviez visiter un pays en premier lieu, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Ce seraient l’Angola et la Guinée. À l’Angola, nous devons la capoeira, et à la Guinée, les tout premiers Noirs du Brésil.

* 1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex aequo pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, Prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, Prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et Prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre. La dernière publication de Tierno Monénembo a été publiée aux éditions du Seuil. Son titre : « Indigo saharienne ».

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