Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Guinee Bissau. Nous avons vu utile d’examiner aujourd’hui les troubles politiques en Guinée-Bissau, les causes de la crise actuelle et ses implications à la lumière de l’échec de la médiation de la CEDEAO, dont l’influence régionale a décliné ces dernières années.
En effet, les désaccords sur le calendrier des prochaines élections présidentielles et parlementaires (2025) alimentent la lutte pour le pouvoir et l’influence en Guinée-Bissau, sachant que les efforts de la mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour mettre fin à la crise ont échoué, après que le président du pays, Umaro Sissoco Embaló, a menacé de l’expulser du pays
Cette évolution se produit dans un pays qui a connu quatre coups d’État réussis et de nombreuses tentatives avortées, et qui a connu plus de 30 ans de démocratie de type militaire.
Ce dossier examinera donc lesdits troubles politiques en Guinée-Bissau.
• Ampleur de la crise des élections présidentielles et parlementaires de 2025
A noter que la tension actuelle en Guinée-Bissau se concentre sur le calendrier des prochaines élections, qui est également lié à des visions conflictuelles du rôle du pouvoir exécutif dans le système « semi-présidentiel » adopté dans la constitution de 1993 pour renforcer la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le parlement et le judiciaire, et pour limiter les abus de pouvoir et l’impunité qui ont caractérisé l’ère du président « João Bernardo Vieira ». Dans ce système, le président de la Guinée-Bissau est le chef de l’État, tandis que le Premier ministre, choisi par le Parlement, est le chef du gouvernement, il nomme les ministres et fixe l’ordre du jour quotidien, même si le chef de l’État a le pouvoir de révoquer le Premier ministre dans certaines circonstances bien définies.
Cependant, le système semi-présidentiel n’a pas mis fin aux tensions et à la rivalité entre les deux postes. Pour rappel, lors des élections législatives de juin 2023, le président du Parlement « Domingos Simões Pereira » (adversaire du président Embaló) s’est présenté sous la plateforme de l’« Alliance inclusive – Terra Ranka », qui comprend le « Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert » et d’autres petits partis, et ont présenté des réformes constitutionnelles visant à clarifier les pouvoirs du Président et du Premier ministre.
Néanmoins, le résultat a été un revers électoral pour Embaló, décevant, en raison de divisions internes au sein de son parti et d’une baisse de sa popularité parmi les électeurs ruraux, qui ont été affectés par la baisse du prix des noix de cajou, leur principale source de revenus.
La plateforme « Alliance inclusive – Terra Ranka » a remporté la majorité des sièges au Parlement (54 sièges) et a également reçu le soutien de 12 représentants d’autres partis.
Ainsi, on peut dire que les résultats des élections législatives de 2023 ont limité la vision du président Embaló sur l’autorité présidentielle et exécutive. Il a cherché à obtenir une majorité parlementaire pour mettre en œuvre sa vision du pouvoir présidentiel dans une nouvelle constitution.
Pour contrer la défaite parlementaire et contourner la réforme constitutionnelle, il a eu recours à la formation d’un gouvernement fantôme composé de « conseillers présidentiels », dont d’anciens ministres et des membres du personnel de sécurité proches de l’armée et de la police. Il a également dissous le Parlement à deux reprises (en mai 2022 et en décembre 2023) sous prétexte de tentatives de coup d’État, a destitué le Premier ministre « Geraldo Martins » et a empêché les représentants d’entrer au siège du Parlement.
De plus, étant donné que la constitution de la Guinée-Bissau limite le mandat présidentiel à cinq ans, renouvelable une fois, le mandat de cinq ans d’Embaló « aurait dû officiellement prendre fin le 28 février 2025 ». Cependant, Embaló estime que son mandat prendra fin en septembre prochain, un point de vue soutenu par la Cour suprême du pays, qui a statué que sa présidence prend fin le 4 septembre 2025. Entre-autres, Embaló a fixé au 23 novembre la date des élections, insistant sur le fait qu’il resterait au pouvoir jusqu’à ce jour-là. Cette décision a suscité des accusations selon lesquelles il tenterait d’organiser des élections législatives avant les élections présidentielles afin de regagner une majorité parlementaire, ce qui pourrait l’aider à remporter la présidence plus tard.
• A propos du Parlement bissau-guinéen
Le président du Parlement « Domingos Simões Pereira » (principal adversaire du président Embaló), en fonction depuis le 28 juillet 2023, a été accusé d’avoir détourné 35 milliards de francs CFA (environ 57,6 millions de dollars) pendant son mandat de Premier ministre (du 4 juillet 2014 au 20 août 2015) et s’est vu interdire de quitter le pays en août 2024, en raison d’un contrôle judiciaire sur son rôle dans une tentative de coup d’État de 2021 contre le gouvernement du président Embaló.
En ce qui concerne le calendrier des élections présidentielles et parlementaires, Pereira insiste sur le fait qu’Embaló doit démissionner immédiatement, car ses mandats présidentiel (de cinq ans) et parlementaire (de quatre ans) expirent, arguant que de nouvelles élections présidentielles et parlementaires devraient avoir lieu dans les 90 jours, et non en novembre prochain comme le propose le président Embaló, et que le parlement dissous devrait être convoqué de toute urgence pour nommer la Commission électorale nationale et élire le président de la Cour constitutionnelle dont le mandat a également expiré.
Les actions d’Embaló semblent indiquer qu’il est déterminé à empêcher son rival Pereira d’occuper un poste influent dans le pays, en particulier après que les médias du 3 mars 2025 aient déclaré qu’Embaló avait annoncé aux journalistes à l’aéroport de Bissau, après son retour d’un voyage en Russie, en Azerbaïdjan et en Hongrie, qu’il se présenterait pour un deuxième mandat présidentiel, revenant sur son annonce précédente de septembre 2024 selon laquelle il ne briguerait pas un deuxième mandat.
Il convient de rappeler que la Guinée-Bissau se classe mal en termes d’indicateurs de gouvernance et de développement aux niveaux africain et international, comme l’Indice « Ibrahim de gouvernance africaine 2024 », qui a classé le pays comme ayant un faible indice de gouvernance, avec un score d’environ 40,9 points sur 100, le plaçant près du bas du tableau du continent africain en termes de gouvernance. Malgré les efforts visant à suggérer que les autorités d’Embaló luttent contre le trafic de drogue, notamment la saisie de 2,63 tonnes de cocaïne à bord d’un avion à l’aéroport international de la capitale en septembre 2024, la Guinée-Bissau, avec une population de 2,2 millions d’habitants selon les estimations de février dernier, reste une cible pour les trafiquants de cocaïne en Afrique de l’Ouest.
• Retour sur l’échec de la mission de médiation de la CEDEAO en Guinée-Bissau
Tout le monde sait que la Guinée-Bissau est membre-fondateur de la CEDEAO depuis le 15 mars 1976, et que ce bloc régional entretient une relation complexe avec le président du pays, Umaro Sissoco Embaló, qui a présidé le groupe de mi-2022 à mi-2023. Ses responsabilités comprenaient la résolution d’une série de défis régionaux, tels que les crises sécuritaires et l’instabilité politique entre les États membres. Il a également participé à des efforts de médiation sur la dynamique politique dans la région du Sahel, comme en se portant volontaire en juillet 2024 lors du sommet de la CEDEAO pour améliorer les relations avec « l’Alliance des États du Sahel » (Mali, Burkina Faso, et Niger), et avait entrepris des voyages diplomatiques pour résoudre des problèmes internationaux, comme une mission de paix en Russie et en Ukraine, qu’il avait entreprise en octobre 2022.
Dans le contexte de tensions autour des élections présidentielles et parlementaires en Guinée-Bissau, la CEDEAO a cherché à jouer un rôle de médiateur en envoyant une mission en février 2025 qui a passé une semaine dans le pays pour mener des consultations intensives avec diverses parties prenantes, notamment des responsables gouvernementaux, des dirigeants politiques, des organismes de gestion électorale, des organisations de la société civile et des partenaires internationaux, afin de discuter des défis et des préoccupations liés au processus électoral, dans le but de parvenir à un compromis et à un accord politique sur une stratégie pour la tenue d’élections inclusives et pacifiques cette année.
Bien que le président Embaló ait accueilli la mission à son arrivée, ses activités ont été brusquement interrompues après qu’il ait menacé de l’expulser, probablement parce que le projet de mission (dont les détails restent non divulgués) et son engagement auprès de tous les partis politiques du pays n’ont pas renforcé la position et la vision politique d’Embaló.
Cette menace a conduit au départ de la mission et du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest du pays avant la date prévue, et la délégation a annoncé son intention de soumettre un rapport au Président de la Commission de la CEDEAO résumant les résultats de la mission et ses recommandations pour assurer des élections complètes et pacifiques dans le pays.
En outre, la menace d’Embaló contredit son engagement à promouvoir la paix et le dialogue en Afrique de l’Ouest et au-delà, et suggère qu’il penche vers la Russie et qu’il pourrait suivre l’exemple des chefs militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger pour atteindre son objectif. Il n’est pas le seul dans ce cas, puisque le Togo a évoqué en janvier dernier la possibilité d’adhérer à « l’Alliance des Etats du Sahel », ce qui pourrait être le résultat de réformes constitutionnelles hâtives (visant à renforcer le règne de la famille Gnassingbé qui perdure depuis plus de 57 ans au Togo), mais qui aggravent aussi les tensions politiques dans le pays.
• Indicateurs et prévisions en liaison avec la situation actuelle
La profondeur des crises politiques en Guinée-Bissau en général indique la concurrence féroce pour le pouvoir et l’influence au sein de l’élite politique, ce qui est souvent dû au fait que le pouvoir est lié au clientélisme politique. Cette dynamique de pouvoir et cette influence renforcent les intérêts politiques et financiers dans des domaines stratégiques, notamment le trafic de drogue, le détournement des recettes fiscales, le contrôle des contrats d’approvisionnement, etc.
C’est pour toutes ces raisons que la tension autour du mandat du président Embaló et du calendrier des élections présidentielles et parlementaires mettent en évidence la fragilité des institutions politiques de la Guinée-Bissau, notamment du système judiciaire, du parlement et des organes électoraux, ce qui rend difficile la consolidation de la démocratie dans le pays.
En tant que président sortant, Embaló semble toujours dominer le paysage politique, notamment en raison de sa proximité perçue avec l’armée et la police. Toutefois, les questions de gouvernance, d’économie et de santé pourraient jouer un rôle dans les élections de 2025, et cela s’explique par le fait que près des deux tiers de la population vit dans la pauvreté et que le pays est à la traîne par rapport au continent dans de nombreux indicateurs de développement. Le renforcement des services de santé et d’éducation est un élément clé du plan de campagne réussi de la plateforme « Alliance inclusive -Terra Ranka » pour les élections parlementaires de 2023.
La compétition électorale devrait s’intensifier dans les prochains mois, ça c’est certain, et ce en fonction de la composition de la Commission électorale nationale, chargée d’organiser et de préparer les élections dans le pays. Le secrétariat exécutif de la commission est composé de juges nommés par le Conseil judiciaire suprême et élus à la majorité des deux tiers des membres du Parlement pour un mandat de quatre ans. Le statut actuel de ce comité a été une source de discorde, car la dissolution du Parlement a entravé la nomination des postes vacants au sein du Secrétariat exécutif, sachant que le mandat de la Commission électorale a pris fin le 30 avril 2022 et l’élection de son ancien président au poste de juge en chef en décembre 2021 a laissé le poste de président du comité vacant.
En outre, l’opposition en Guinée-Bissau refuse de reconnaître la présidence d’Embaló depuis fin février de l’année en cours, et menace d’organiser des marches massives et des grèves, qui ont été reportées pour vérifier les résultats de la mission de la CEDEAO.
Cela signifie que l’échec de la mission et son départ prématuré du pays pourraient ouvrir la voie à une plus grande instabilité, car les manifestations, les menaces de l’opposition de paralyser le pays et les conflits potentiels entre factions politiques pourraient conduire à la violence. Même si l’on tient compte de l’histoire du pays en matière d’intervention militaire, l’instabilité politique pourrait déclencher une nouvelle tentative de coup d’État ou des crises politiques encore plus graves qui se propageraient dans les pays voisins, affaiblissant l’application de la loi et ouvrant le pays à un crime organisé en expansion.
En cas d’intervention militaire ou de prise de pouvoir inconstitutionnelle, les organisations continentales et régionales, telles que l’Union africaine et la CEDEAO, pourraient être contraintes d’imposer des sanctions à la Guinée-Bissau, aggravant ainsi la crise économique et des moyens de subsistance.
On peut donc dire que, dans le contexte régional, l’échec de la CEDEAO à trouver une solution à la crise politique prouve le « rôle décroissant du bloc régional dans le maintien de la paix en Afrique de l’Ouest, ainsi que l’influence décroissante de ses mécanismes de mise en œuvre des principes démocratiques et de résolution des conflits internes ». Le départ précipité de la mission du groupe en réponse aux menaces du président Embaló démontre également un manque d’autorité et de respect, jetant le doute sur la capacité de la CEDEAO à agir en tant que médiateur régional ou force de stabilité régionale, sur la base des échecs antérieurs à gérer les transitions politiques et les coups d’État militaires au Mali, au Niger et au Burkina Faso.
Il s’agit là d’une évolution qui accroît la probabilité que davantage d’États membres de la CEDEAO remettent en cause l’autorité du bloc ou ignorent ses décisions à l’avenir, mettant ainsi en péril les initiatives d’intégration économique et régionale ainsi que les accords de coopération en matière de sécurité.
• Une situation demeurant délicate et préoccupante
On peut conclure que les crises politiques qui se déroulent en Guinée-Bissau vont au-delà de la simple planification des élections présidentielles et parlementaires pour 2025.
Elles tournent plutôt autour d’une lutte pour le pouvoir et l’influence, et de points de vue divergents sur le fonctionnement du gouvernement, les institutions démocratiques et l’utilisation du pouvoir exécutif, car la tension actuelle soulève des questions quant à savoir si les élections parlementaires et présidentielles auront lieu à la date que l’opposition considère comme légale, ou à la date annoncée par le président Embaló.
Ainsi, le danger de la situation politique actuelle réside dans le fait que si elle n’est pas résolue par le dialogue et par des élections équitables, l’état d’instabilité prolongé pourrait s’aggraver, tout en aggravant les défis économiques et les menaces sécuritaires.
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