L’Afrique en disruption d’Amina Zakhnouf

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L’Afrique en disruption d’Amina Zakhnouf
L’Afrique en disruption d’Amina Zakhnouf

Malick Diawara

Africa-Press – Guinee Bissau. PROSPECTIVE. Pour la coprésidente de l’association Je m’engage pour l’Afrique, le continent a un potentiel pour faire autrement. Il doit l’exploiter.

« Je suis toujours préoccupé par le nombre de questions non résolues, notamment sur les finances, l’atténuation [réduction des émissions de gaz à effet de serre, NDLR], les pertes et dommages », dégâts déjà causés par le changement climatique, a lancé vendredi aux délégués réunis en plénière le président égyptien de la COP27, Sameh Choukri. Au regard des frustrations des pays en développement face à l’impasse qui a conduit à la prolongation des débats de la conférence sur le climat de Charm el-Cheikh, la question de la disruption est de plus en plus posée. Ne peut-elle pas être l’un des moyens privilégiés par les pays africains, par exemple, pour contourner les obstacles dressés sur le chemin de leur développement par les contraintes liées aux mesures contre le réchauffement climatique mais sur lesquelles les pays industrialisés donnent l’impression d’entretenir un double discours. Avec M-Pesa au Kenya et l’émergence du mobile money, l’Afrique a prouvé qu’elle peut trouver des chemins imprévus, voire imprévisibles, pour résoudre ses défis. Avec l’important potentiel de disruption qui est le sien, l’Afrique aurait tort d’attendre seulement après des solutions que le bon sens devrait imposer. Coprésidente de l’association Je m’engage pour l’Afrique et copanéliste de la table ronde sur « La nouvelle disruption afrricaine » de la récente conférence de l’Autorité marocaine du marché des capitaux tenue à Marrakech sur le thème « Prévoir l’imprévisible : un trilemme pour les marchés des capitaux », Amina Zakhnouf a répondu à nos questions à ce propos.

Le Point Afrique : Au regard de vos observations, quelle disruption interne l’Afrique doit-elle réaliser pour se réconcilier avec elle-même politiquement économiquement et socialement ?

Amina Zakhnouf : Pour moi, la première disruption interne de l’Afrique, c’est d’abord de regarder ce qu’elle a en elle.

Cela dit, il y a ainsi trois formes de choses que l’on peut apporter au continent africain et qu’il peut s’apporter à lui-même.

D’abord, une certaine perception de la fraternité. Quand je dis fraternité, je ne l’entends pas seulement au sens purement humain. Je l’entends véritablement au sens de la valeur républicaine de la fraternité. Cela veut dire pouvoir travailler avec autrui, ne plus voir ses voisins comme si on n’était dans une compétition mais plutôt travailler à installer une sorte de coopération au niveau régional. Je pense notamment aux pays de l’Ouest africain, aux pays d’Afrique du Nord aussi. Cela signifie pouvoir enfin imaginer pouvoir faire bloc, travailler ensemble et dépasser ses petites différences qui font finalement toute notre richesse, j’entends richesse technique et économique.

La deuxième chose sur laquelle l’Afrique peut s’apporter à elle-même, c’est la compréhension de la nécessité de se réconcilier avec elle-même et de concilier tout ça avec la perception que les autres ont de nous. Je pense que sur le continent africain, beaucoup de personnes, moi la première, se définissent au regard de ce que l’Européen pense, de ce que l’Américain pense, de ce que les autres pensent de nous. Elles ont alors soit une attitude d’opposition, soit une de rejet, soit simplement de suraffirmation de leur africanité. Moi, j’ai envie que nous ayons une identité positive de nous-même qui ne soit pas définie par les autres et ce qu’ils pensent de nous.

Parce qu’on est, et parce qu’on a toujours été. Il faudrait qu’on réveille notre histoire ancestrale, celle profondément belle et passionnante de tous ces empires, de tous ces royaumes qui ont existé en Afrique. Il faudrait vraiment qu’on s’y reconnecte. Des pays, comme le Maroc, s’y attellent. Le royaume fait un travail assez important sur les questions de mémoire, de nation, de fraternité, sur le rapport à soi aussi. Je trouve que c’est un travail qu’on devrait encourager un peu partout sur le continent africain.

Enfin, dernier point. Il a trait à la question financière. Il faut que l’Afrique se défasse de certaines dépendances dans lesquelles elle est embourbée. Celles-ci sont d’ordre industriel, manufacturier, économique au sens strict de la dette publique et des montants qu’elle emprunte, de la manière dont elle procède pour emprunter. Il faut que l’Afrique trouve des solutions pour améliorer la manière de travailler les uns avec les autres. À ce niveau, le concept de « Sud global », de « Global South » me parle. Ce « Sud global » peut être le nouvel espace, la nouvelle frontière qu’on pourrait appréhender avec fraternité et avec un vrai regard sur soi.

Quelle disruption vous paraît devoir être réalisée dans la relation de l’Afrique avec le reste du monde ?

Ce point est tout à fait en lien avec ce que je disais tout à l’heure. Une énorme conversation a été enclenchée ces trois dernières années autour de la relation entre la France et l’Afrique, entre l’Europe et l’Afrique. D’où le nouveau sommet Afrique-France, la prise de conscience de la nécessité d’établir une relation renouvelée entre l’Europe à l’Afrique, de poser un nouveau paradigme.

Je me suis posé une première question, celle de savoir d’où venait cette impulsion ? Qui veut le nouveau paradigme ? Qui est consulté pour établir ce nouveau paradigme ? Sont-ce « eux » ? Est-ce « nous » ? Sont-ce les dirigeants africains ? Est-ce la société civile de l’Afrique ? Sont-ce les dirigeants, français et européens ? Qui fait ce New Deal ? Qui a écrit ce paradigme ? Sont-ce ceux qui ont écrit celui d’avant ? Si oui, ont-ils vraiment appris de leurs erreurs ? Finalement, la question posée est de savoir si cela sous-tend que le monde va décider de l’avenir de l’Afrique sans l’Afrique ? Si c’est le cas, cela me révulse au plus haut point. Il en est hors de question.

Cela me conduit, à mon niveau, à toujours m’interroger systématiquement sur qui est autour de la table ? Sont-ce les personnes concernées ? Parce qu’il convient quand même de se demander qui est concerné par ce nouveau paradigme ? Certainement pas uniquement les financiers et les dirigeants. Il doit aussi concerner la société civile et les jeunes qui composent cette nouvelle génération à laquelle on fait allusion quand on évoque le boom démographique. Il doit aussi concerner les femmes, les populations des zones rurales mais aussi celles qui sont défavorisées et seront les premières à être touchées par les conséquences du changement climatique.

Ce qui me frappe, c’est que je ne les vois nulle part. Elles ne sont ni à la table des négociations à l’Union européenne, ni dans la presse, nulle part en réalité. Du coup, dans notre association Je m’engage pour l’Afrique, nous essayons d’ouvrir des portes, des fenêtres, des rambardes, des barrières, etc. En somme, tout ce qui permet d’intégrer les premiers concernés au cœur de cette conversation. Cela me conduit à dire que, pour établir un nouveau partenariat, il faudra arrêter de traiter le continent africain comme un simple espace de vente de biens, comme un simple espace de commerce, comme la prochaine frontière de l’export français ou de l’export européen. Je le dis parce que c’est le discours que j’entends assez régulièrement. Il faudra réfléchir à un vrai partenariat technique, économique, financier, à un vrai partenariat d’innovation. Certes, il existe des structures qui travaillent dessus mais il faut qu’elles se multiplient de manière à aider à une réflexion où, une bonne fois pour toutes, le continent africain ne sera pas juste perçu comme le dernier endroit où vendre des stylos, des cravates, des chaussettes, peu importe quoi, mais un endroit où il y a de l’innovation, un endroit où naît l’innovation. En fait, il s’agit de sortir de la logique qui veut qu’on veuille exploiter l’Afrique mais pas travailler avec. C’est seulement à ce moment-là qu’on pourra parler véritablement de New Deal.

Votre association s’appelle Je m’engage pour l’Afrique. Pouvez-vous nous décrire l’Afrique pour laquelle vous vous battez ?

L’Afrique pour laquelle je me bats, c’est une Afrique d’opportunités. Une opportunité inclusive pour tous et une opportunité qu’on a pensée en amont. Je considère qu’il ne s’agit plus de tâtonner. On parle de comment il va falloir gérer les 5, 10, 30, 45 prochaines années. Cela se planifie. J’ai envie d’une Afrique avec une vision continentale et que celle-ci s’inscrive dans un vrai plan. Un plan industriel sur les 15 prochaines années, un plan de croissance, un plan d’investissement social, un plan où les pays se parlent, travaillent ensemble, un plan où ne se voient pas comme des ennemis, mais comme des partenaires, un plan où chaque pays est le tremplin de l’autre et où les industries sont interdépendantes, pour le mieux.

Je rêve d’une Afrique qui n’a pas envie ni besoin de se définir par opposition à quelque autre pays que ce soit, une Afrique qui ne soit ni en retard ni en avance, qui soit à son rythme. J’applaudis tous les entrepreneurs qui se lèvent le matin et qui décident de faire quelque chose de nouveau. J’ai donc envie d’une Afrique qui soutient ses entrepreneurs de manière concrète en créant des cadres juridiques, des cadres légaux, en dégageant des financements qui permettent à ceux-ci d’avancer.

Enfin, l’Afrique que je recherche est une Afrique où la jeunesse est impliquée politiquement parce qu’elle en a envie, pas parce qu’elle se sent forcée, pas parce qu’elle est résignée, pas parce qu’elle a peur des politiciens, mais parce qu’elle se sent concernée par l’avenir de son continent et de son projet.

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