Africa-Press – Guinee Bissau. La présidence sénégalaise de l’Union africaine (UA) est très attendue et suscite un immense espoir sur le continent pour deux raisons. D’abord, l’image du Sénégal sur l’échiquier international en tant que havre de stabilité et d’alternance démocratique exemplaires, mais aussi pour l’immense attente qui résulte de la personnalité du président Macky Sall en tant que voix forte, écoutée et suivie tant au niveau africain qu’au niveau des partenaires de l’Afrique. Le président Sall devra relever d’immenses défis et enjeux.
Pour mieux comprendre ces enjeux et défis qui l’interpellent, je me permets de rappeler quelques dates charnières et actions qui ont jalonné l’évolution de l’OUA/UA, notamment le 25 mai 1963 avec la signature de la charte créant l’OUA (32 pays) à Addis-Abeba, ensuite le 9 septembre 1999 avec la déclaration de Syrte, le 11 juillet 2000, avec la signature de l’Acte constitutif de l’Union africaine, enfin son lancement, le 9 juillet 2002, à Durban (Afrique du Sud).
À partir de 2013, date du 50e anniversaire de l’OUA/UA, l’UA s’est dotée d’une vision stratégique à travers l’Agenda 2063, intitulé « L’Afrique que nous voulons », qui s’articule autour des sept aspirations, dont les aspirations 6 et 7 cadrent avec les défis et enjeux de la présidence sénégalaise de l’Union africaine.
L’aspiration 6 veut « une Afrique dont le développement est axé sur les populations, qui s’appuie sur le potentiel de ses populations, notamment celles des femmes et des jeunes, qui se soucie du bien-être des enfants », et l’aspiration 7 « une Afrique qui agit en tant qu’acteur et partenaire fort, uni, et influent sur la scène mondiale ».
En plus des aspirations 6 et 7 qui fixent la vision et les ambitions de notre continent, j’ai identifié deux domaines qui concentrent le maximum de défis auxquels fait face l’Afrique actuellement. Il s’agit, d’une part, des questions liées à la paix et à la sécurité et, d’autre part, des questions liées à la gouvernance démocratique, auxquelles s’ajoutent quelques autres défis sur lesquels le président Macky Sall devra se concentrer en priorité.
Les défis de la paix et de la sécurité
La première de ces priorités est la problématique de la paix et de la sécurité. « L’Afrique que nous voulons » est avant tout une Afrique de paix, et en matière de paix et de sécurité, l’outil le plus important de l’UA demeure Apsa (Architecture africaine de paix et de sécurité), qui se base sur cinq piliers tels que définis par le protocole sur la création du Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS)
1 – Le Conseil de paix et de sécurité (CPS)
Il est l’organe de décision permanent pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits. C’est un dispositif collectif de sécurité et d’alerte rapide qui a pour mandat de s’impliquer dans la recherche de réponses rapides et efficaces aux situations de conflit et de crise en Afrique.
2 – Le Panel des Sages
Le Panel des Sages est un organe consultatif, composé de cinq membres nommés pour une période de trois ans. Il a pour mandat de faire des recommandations au Conseil de paix et de sécurité sur les questions relatives à la prévention, la gestion et la résolution des conflits.
3 – Le Système continental d’alerte rapide
Il est chargé de la collecte et de l’analyse des données. Pour s’acquitter de ses responsabilités, il doit collaborer avec l’ONU et ses agences, d’autres organisations internationales pertinentes, des centres de recherche, des établissements universitaires et des organisations non gouvernementales.
4 – La force africaine en attente
C’est une force de maintien de la paix africaine prépositionnée, c’est-à-dire en attente dans les pays d’origine et prête à être déployée rapidement. Elle est constituée de contingents interarmes qui agiraient dans les crises africaines sous le commandement de l’UA. Son concept initial est celui d’une capacité de réaction rapide qui permettrait aux Africains de répondre immédiatement à une crise.
5 – Le Fonds pour la paix
Le Fonds pour la paix a pour objet de financer les opérations de paix et de sécurité de l’UA. Il couvre les activités opérationnelles : médiation et diplomatie préventive, capacité institutionnelle et opérations de soutien à la paix.
En plus de ces outils institutionnels, les communautés économiques régionales (CER), issues du plan d’action de Lagos (1980) et du traité d’Abuja (CEA) de 1991, sont partie intégrante de l’Apsa. Pour rappel, elles sont au nombre de huit, reconnues par l’UA. Il s’agit de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ; la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) ; la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ; l’Union du Maghreb arabe (UMA) ; la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), l’Autorité intergouvernementale sur le développement (Igad) ; le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) ; la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD).
Le défi de la gouvernance démocratique
Concomitamment à la problématique de la paix et de la sécurité, le président Sall devra aussi s’attaquer à la question de la gouvernance démocratique, dont l’outil le plus important est la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Signée le 30 janvier 2007 (et entrée en vigueur en février 2012), cette charte est inspirée par les objectifs et principes énoncés dans l’Acte constitutif de l’Union africaine. Elle traduit la volonté de codifier un modèle démocratique d’accession et de préservation du pouvoir politique.
En effet, l’UA est la seule organisation panafricaine disposant d’un mandat politique pour l’établissement de normes continentales autour du vaste agenda de la gouvernance. Ce sont ces normes continentales qui se déclinent au niveau des CER, à l’exemple du protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance, selon le principe de subsidiarité.
C’est pourquoi la présidence sénégalaise intervient à un moment charnière, où les turbulences qui caractérisent actuellement la gouvernance démocratique en Afrique constituent un test grandeur nature de la raison d’être de nos institutions africaines, alors que, partout sur le continent, les populations exhibent une défiance grandissante à l’égard de ces dernières, car ne les mettant pas à l’abri de l’insécurité et de l’injustice sociale.
D’un autre côté, depuis à peu près une année, une équipe de commissaires nouvellement élus a rejoint le président de la Commission de l’UA, et s’installe progressivement. Les contraintes liées à la pandémie Covid-19 ont contribué à ralentir le fonctionnement des institutions à Addis-Abeba, ce qui a sans doute quelque peu handicapé la présidence en exercice. La présidence sénégalaise est donc très attendue pour sortir de ce qui apparaît comme une léthargie.
Dépasser les contrariétés actuelles
À l’heure où nous sommes, les principaux défis auxquels fait face notre continent sont entre autres :
Les défis sécuritaires (Sahel, piraterie maritime, conflit en Éthiopie avec une dimension sécuritaire et une dimension politique, conflit au Mozambique, tentatives de sécession au Cameroun, crise au niveau du bassin du lac Tchad, cas de Boko Haram).
Les défis démocratiques (transitions militaires au Mali, au Soudan, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso).
Les défis liés au changement climatique qui accentuent les affrontements entre éleveurs et agriculteurs prenant souvent une connotation communautaire.
Le Covid-19 et ses conséquences dramatiques en matière économique et sociale.
La question migratoire.
Envoyer des signaux forts d’engagement aux côtés des populations
Par ailleurs, le démarrage de la présidence sénégalaise coïncide avec la tenue du Sommet UA/UE prévu du 17 au 18 février 2022 à Bruxelles. L’UE demeure un important partenaire de l’UA et de longue date. C’est la France qui préside l’UE pour les six premiers mois de 2022 (par rapport à un an de présidence pour l’UA).
Les défis liés à la paix et à la sécurité étant les plus immédiats, par conséquent, il est important que le président en exercice prenne des initiatives visibles au sujet des différents théâtres de crises (Éthiopie, Mozambique, et Cameroun éventuellement) pour faire l’état des lieux, consulter les partenaires régionaux et internationaux incontournables, en vue de créer des conditions plus propices à la médiation et aux bons offices avec des signaux forts, comme une visite des pays en transition militaire (Soudan, Tchad, Mali, Guinée, Burkina Faso).
Le principe de subsidiarité ne devrait pas bloquer l’action diplomatique de l’UA en tant qu’organisation panafricaine. Les populations souhaitent l’engagement de l’UA bien plus qu’on l’imagine, et ces attentes déçues participent aux critiques qu’on peut entendre çà et là.
Le président en exercice devrait aussi, toujours en lien avec la sécurité, faire le plaidoyer pour le financement et la montée en puissance de la FC-G5 Sahel ainsi que de la force africaine en attente.
Sécurité maritime, grande muraille verte, migrations
Au sujet de la sécurité maritime, il ne faut pas oublier la Charte sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement en Afrique (charte de Lomé, 15 octobre 2016) au moment où le lien entre l’insécurité au Sahel et la piraterie maritime au niveau du golfe de Guinée devient de plus en plus évident. Sur les 34 pays signataires, seuls 3 l’ont ratifiée à ce jour.
Ce dossier concerne conjointement l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest, la tenue d’un sommet CEEAC et Cedeao serait utile pour faire avancer ce dossier, comme celui de la grande muraille verte (en lien avec le changement climatique), mais aussi celui de la migration au sujet de laquelle l’Afrique devrait avoir un positionnement uniforme face à l’Europe, tout comme la réponse aux conséquences de la pandémie qui sont la fois économique et sanitaire.
Porter la voix de toute l’Afrique
L’une des caractéristiques de la présidence de l’UA est qu’elle offre une tribune auprès des partenaires, car le président est souvent invité à des rencontres internationales, telles que le G7 ou G8 (groupe des pays les plus industrialisés) ou celles de Bretton Woods, où le président de l’UA, pionnier et avocat d’un new deal économique avec nos partenaires, est suffisamment légitime sur la question de la dette et son pendant des tirages spéciaux (DTS). D’autres forums, tels que les sommets Chine-Afrique, Turquie-Afrique, etc. offrent aussi l’occasion de porter encore plus haut la voix de l’Afrique, si tant est que le continent adopte des positions communes sur les questions substantielles. Le sommet UE/UA se tiendra du 17 au 18 février. Ça sera une opportunité de relayer les préoccupations de l’Afrique concernant la migration, la lutte contre le Covid-19, le changement climatique et les thématiques liées à la dette internationale. Ce sont autant de grandes causes pour lesquelles nous sommes convaincus que le président Macky Sall sera un bon avocat pour notre continent parce que, sur toutes ces questions, la voix du Sénégal est audible et crédible.
* Représentant Spécial du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies en Afrique de l’Ouest et au Sahel.
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