Guinée : “La Cédéao essaie de se relégitimer”

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Guinée : "La Cédéao essaie de se relégitimer"

Africa-Press – Guinee Bissau. La Cédéao vient d’annoncer une série de sanctions “progressives” à l’encontre des militaires au pouvoir en Guinée. Une décision qui vise autant à rappeler la junte à l’ordre qu’à crédibiliser la Cédéao en tant que figure d’autorité en Afrique de l’Ouest.

Les leaders des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), réunis en sommet extraordinaire jeudi à New York, ont signifié leur impatience au colonel Mamady Doumbouya et à ceux qui commandent avec lui depuis le putsch qui a renversé le pouvoir civil en Guinée en septembre 2021. La tension est montée progressivement au cours des dernières semaines entre le nouveau chef de la Cédéao, Umaro Sissoco Embalo, président de Guinée-Bissau et la junte militaire au pouvoir à Conakry.

Umaro Sissoco Embalo, lui-même victime d’une tentative de putsch dans son pays en février 2022, est fermement opposé à l’idée d’une longue période de transition. Dans une interview accordée à France 24 et RFI en marge du sommet des Nations Unies à New York le 21 septembre dernier, il a qualifié “d’inacceptable” toute transition qui dépasserait 24 mois, niant s’être mis d’accord avec la junte sur un calendrier de 36 mois. Une déclaration qui a suscité la colère des autorités guinéennes.

Dans une vidéo diffusée sur le compte Facebook de la présidence guinéenne, le colonel Amara Camara, l’une des principales figures de la junte, a dénoncé les propos d’Umaro Sissoco Embalo. “On n’est pas dans une relation de guignols ou de téléréalité” a-t-il asséné, qualifiant les déclarations du président de la Cédéao de “mensonge grossier” s’apparentant à “de l’intimidation”.

Une charge particulièrement acerbe, qui n’a pas manqué de faire réagir la Cédéao. Après près d’un an de condamnation, de médiation, et d’avertissement face à la dégradation de la situation en Guinée, la Cédéao a finalement annoncé une “prise de sanctions progressives”. Elle a suspendu toute assistance et transaction financière de ses institutions financières avec la Guinée. Un certain nombre de personnalités sont par ailleurs frappées par le gel de leurs avoirs financiers et par une interdiction de voyager dans l’espace Cédéao.

Tour de vis nécessaire

En deux ans, la Cédéao a vu se succéder les coups de force militaires en Afrique de l’Ouest. À deux reprises en 2020 et 2021 au Mali, en 2021 en Guinée et en 2022 au Burkina Faso. Depuis, l’organisation multiplie les sommets, les missions et les pressions pour tenter d’abréger les périodes dites “de transition” dans ces pays, mais elle est confrontée à des autorités qui n’entendent pas lâcher les commandes de sitôt. “La Cédéao essaie de se repositionner et de se relégitimer” estime Martin Mourre, chercheur affilié à l’Institut des mondes africains (IMAf-EHESS) “Sanctionner la Guinée, c’est apparaitre crédible sur la scène internationale”.

Jusqu’à présent, la Guinée avait été relativement épargnée par les sanctions. Mais face à la défiance de la junte dirigée par Mamady Doumbouya, le pays pourrait bientôt connaître le même sort que son voisin malien : fin janvier 2022, la Cédéao avait imposé un embargo commercial et financier au Mali, en réponse au projet de la junte de se maintenir au pouvoir jusqu’à cinq ans de plus. Un tour de vis efficace, puisque les militaires au pouvoir ont depuis fait marche arrière et se sont engagés à organiser des élections en février 2024. En échange, la Cédéao a levé l’embargo en juillet dernier.

L’organisation veut à tout prix faire avancer les transitions dans la sous-région et endiguer tout risque de contagion. Elle espère aussi faire taire ceux qui l’accusent d’être au service des puissances occidentales, notamment de la France et de pratiquer une politique de deux poids deux mesures. Elle a obtenu gain de cause face au Mali donc et au Burkina Faso et semble vouloir faire rentrer la Guinée dans le rang. Mais elle se montre étonnamment conciliante vis-à-vis du Tchad, où la transition promise par Mahamat Idriss Déby semble bien partie pour être prolongée – et donc durer trois ans.

La Cédéao peine aussi à tenir une ligne claire sur la question des troisièmes mandats. “On a l’impression que c’est à géométrie variable : le coup d’État à Conakry avait été très timidement condamné, car Alpha Condé en était à son troisième mandat” rappelle Martin Mourre. “Mais dans le même temps, Alassane Ouattara en est aussi à son troisième mandat, et on parle beaucoup de Macky Sall au Sénégal…” Pourtant, ces pays ne sont frappés d’aucune sanctions ni avertissement de la part de la Cédéao.

Bras de fer

De son côté, la Guinée affirme ne pas vouloir se “focaliser sur la durée mais sur le contenu de la transition”, explique Ousmane Gaoual Diallo, porte-parole du gouvernement, auprès de Jeune Afrique. “Le Mali et le Burkina ont l’avantage de ne pas avoir à revoir leur fichier électoral. Or nous souffrons en Guinée depuis douze ans à cause de ce problème. Faut-il le régler définitivement ou le laisser à une autre génération ?” interroge-t-il.

Une justification insuffisante aux yeux de la Cédéao, qui accompagne ses sanctions d’un avertissement : la Guinée a un mois pour fournir un calendrier de transition “acceptable”, sous peine de nouvelles sanctions encore plus sévères. La fermeté affichée par la Cédéao est aussi un rappel : “Les coups d’État sont inacceptables dans l’espace de la Cédéao”, insistait le président de la Commission de la Cédéao, le Gambien Omar Alieu Touray, lors de l’annonce des sanctions.

Un rappel à l’ordre qui doit dissuader toute nouvelle tentative de déstabilisation dans la région, qui fait déjà face à des tensions entre le Mali et la Côte d’Ivoire avec l’arrestation et la détention au Mali depuis le 10 juillet de 49 soldats ivoiriens. Un bras de fer de plus à gérer pour la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et qui pourrait bien venir entamer un peu plus sa crédibilité sur la scène internationale et dans la sous-région.

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