COP28 : les compagnies pétrolières accusées d’inaction climatique

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COP28 : les compagnies pétrolières accusées d’inaction climatique
COP28 : les compagnies pétrolières accusées d’inaction climatique

Africa-Press – Guinee Bissau. Un moment de vérité pour l’industrie du pétrole et du gaz”. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a pris un ton solennel pour présenter les conclusions de son rapport sur la transition du secteur vers le “zéro émission nette” que la grande majorité des Etats signataires de l’accord de Paris ont désigné comme objectif à atteindre entre 2050 et 2060, voire plus tôt pour les plus ambitieux.

De grandes entreprises nationalisées produisent plus de la moitié du pétrole et du gaz

Quand on vend des énergies fossiles, cela signifie que votre source de revenu va diminuer puis s’épuiser, explique en substance l’AIE. Il faut donc s’adapter et prévoir le coup d’après. Or, ce secteur qui génère bon an mal an autour de 3,2 trillions (mille milliards d’euros) de chiffres d’affaires et emploie 12 millions de personnes dans le monde, ne bouge pas le petit doigt et se contente d’annonces sans effets, dénonce l’AIE.

Le secteur des énergies fossiles ne se limite pas aux grandes multinationales privées très connues (Total, Shell, Exxon Mobil, Eni, Chevron et BP). Celles-ci ne détiennent que 13% de la production et des réserves. En réalité, ce sont de grandes entreprises nationalisées qui produisent plus de la moitié du pétrole et du gaz et détiennent 60% des réserves. Citons les six premières : Saudi Aramco (Arabie Saoudite), Gazprom et Rosneft (Russie), Petrobras (Brésil) ONGC (Inde) et Adnoc, la société émiratie que dirige le président de la COP28, le sultan Al Jaber. Le reste de la production est aux mains d’une myriade de petites sociétés anonymes. Ce qui fait que la moitié des revenus du pétrole rentre dans la poche des gouvernements, 40% est consacré aux amortissements des investissements et 10% aux actionnaires.

Les sociétés pétrolières sont une force marginale dans la transition malgré leur responsabilité

En théorie donc, une grande partie du succès de la transition énergétique dépend des Etats pétroliers qui sont tous signataires de l’accord de Paris. Ils savent bien que les énergies fossiles sont condamnées à une échéance de moins de trois décennies. Et pourtant, ils ne font rien ou si peu. L’AIE a ainsi calculé que les producteurs pétroliers comptent pour moins de 1% des investissements globaux dans les énergies renouvelables. 60% de ces investissements “propres” proviennent de quatre entreprises, ce qui signifie qu’une écrasante majorité des producteurs ne font rien. “Pour le moment, l’industrie pétrolière dans son ensemble est une force marginale dans la transition mondiale vers des systèmes énergétiques propres”, assène le rapport.

Le constat est le même pour la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Si les compagnies ont peu de moyens d’action sur l’usage de leurs produits par les consommateurs (sauf en investissant dans les voitures électriques par exemple), elles sont cependant responsables de leurs émissions propres lors de leurs opérations d’extraction, de transport et de raffinage et des émissions des entreprises sous-traitantes. Or, moins de la moitié des compagnies pétrolières ont des objectifs de réduction de leurs émissions. L’AIE note ainsi que l’extraction et la commercialisation du pétrole et du gaz représente 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit l’équivalent du deuxième pays le plus émetteur, les Etats-Unis.

Une industrie polluante qui agit peu

Les technologies pourtant existent, notamment pour le méthane, gaz à effet de serre dont le potentiel global de réchauffement est 25 fois supérieur au CO2. Cependant, les fuites tout au long de la distribution du gaz et du pétrole continuent, voire augmentent selon les constats scientifiques et la technique du torchage qui consiste à brûler le gaz présent dans les gisements de pétrole continue à être pratiquée alors que le secteur prend des engagements pour en finir avec cette pratique depuis trois décennies. Les marges de progrès sont immenses, si bien que les bilans scientifiques estiment que 0,3°C de hausse mondiale des températures pourraient être évitées rien qu’en agissant sur les fuites de méthane. “L’intensité des émissions des industriels les plus pollueurs est actuellement de 5 à 10 fois supérieure aux meilleurs”, note le rapport.

Pour convaincre les pétroliers de changer d’attitude, l’AIE avance deux arguments. Le premier, c’est qu’au fur et à mesure de la progression des énergies renouvelables, les revenus pétroliers vont devenir de plus en plus aléatoires. La valeur totale des compagnies privées est estimée aujourd’hui à 5,5 mille milliards d’euros. Si les Etats remplissent bien leurs engagements actuels de réduction des émissions, cette valeur diminuera de 25% et même de 60% si le monde arrive à respecter la trajectoire des 1,5°C. Par ailleurs, l’AIE estime que le retour sur investissement sur les énergies fossiles est compris entre 6 et 9%, à peine plus élevé que celui des énergies renouvelables à 6%. Mais la différence, c’est que les prix du gaz et du pétrole varient énormément quand les énergies propres restent stables.

Une désintoxication rapide après 120 d’euphorie énergétique

L’AIE fait également remarquer que les investissements actuels dans le secteur pétrolier qui se situent autour de 730 milliards d’euros par an sont deux fois trop élevés au regard des objectifs de réduction de gaz à effet de serre impliquant nécessairement une baisse de la consommation. L’AIE répète donc ce qu’elle dit depuis plusieurs mois : il n’y a plus besoin d’ouvrir de nouveaux gisements. Il faut juste exploiter ceux qui sont ouverts. Et de rappeler que dans un monde qui reste à 1,5°C, la production en 2050 devra être de 24 millions de barils par jour (utilisés principalement dans des secteurs qui ne peuvent être décarbonés, mais où le pétrole n’est pas brûlé comme par exemple la pétrochimie) contre 102 millions de barils en 2023.

Le bureau d’études Impak Analytics a analysé de son côté les actions concrètes, les investissements dans les énergies renouvelables et l’efficacité de leurs démarches pour opérer la transition énergétique des six grandes multinationales du pétrole. Verdict sans appel. “Les impacts négatifs des activités de ces multinationales et de leurs sous-traitants sont incontestables et toujours plus importants que leurs impacts positifs qui demeurent marginaux, conclut l’étude. Impak Analytics a notamment évalué la part du chiffre d’affaires de chacune des majors consacré à la compensation des impacts de leur activité sur les populations et l’environnement, aux investissements dans les énergies renouvelables et à l’accessibilité à l’énergie des habitants des pays en voie de développement. La compagnie ayant le meilleur résultat est Total, avec 1,3% de son chiffre d’affaires consacré à l’atténuation de ses impacts et le développement. Shell y consacre 0,6%. Les quatre autres pétroliers sont à zéro.

La communication des compagnies pétrolières vantant leurs actions environnementales sont bien des opérations de “greenwashing” qui trahissent une sorte d’angoisse existentielle au regard des politiques climatiques qui semblent condamner à moyen terme leur activité et leurs bénéfices. Pourtant, la fin du pétrole ne signifie pas pour autant la disparition des compagnies actuelles. L’AIE estime que de nombreuses compétences et technologies du monde gazier et pétrolier peuvent être appliquées dans bon nombre de secteurs des énergies renouvelables tels l’hydrogène, l’éolien offshore (où bon nombre de technologies des plateformes pétrolières sont adaptées), le biométhane, l’énergie géothermale et le captage et stockage du CO2. Mais il semble bien difficile de se désintoxiquer de 120 ans d’hégémonie énergétique.

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