
Africa-Press – Guinee Bissau. La plupart des infections au papillomavirus guérissent naturellement, mais environ 10 % d’entre elles deviennent chroniques et peuvent causer des cancers du col de l’utérus, entre autres. Selon une nouvelle étude du Collège de France, publiée le 21 janvier 2025 dans la revue Plos Biology, même les infections qui ne sont pas chroniques sont aussi très longues, ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi ces virus sont si infectieux. Pour mieux comprendre ces infections, Sciences et Avenir a interrogé Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’équipe écologie et évolution de la santé dans l’unité CIRB au Collège de France.
Sciences et Avenir: Commençons par le début, comment se transmettent les papillomavirus ?
Samuel Alizon: Ceux qui causent les infections génitales se transmettent principalement lors des rapports sexuels. On pense que des micro-abrasions sur l’épithélium cervico-vaginal exposent les cellules souches, qui sont à la base de cet épithélium et la cible première de ces virus. L’accessibilité de ces cellules est plus importante dans le col de l’utérus, dans la zone entre l’endocervix et l’ectocervix. C’est probablement pour cela que les cancers causés par les papillomavirus humains (ou HPV) surviennent beaucoup au niveau du col où il y aurait une population cellulaire, les cellules épithéliales cuboïdes, plus accessibles et particulièrement à risque.
Une fois dans ces cellules souches, que se passe-t-il ?
Ces virus ne sont pas lytiques, ce qui signifie qu’ils ne détruisent pas la cellule qu’ils infectent. En fait, les HPV vivent avec la cellule. Leur ADN va rapidement entrer dans le noyau cellulaire et par conséquent, quand la cellule souche va se diviser pour donner une nouvelle cellule souche et une cellule différenciée, il y aura des copies du virus dans les deux noyaux des cellules filles. Ensuite, la cellule différenciée migre vers la surface de l’épithélium tout en se différenciant en kératinocyte. Ce faisant, il va y avoir une production de certaines protéines virales de telle sorte qu’au final, lorsque la cellule meurt naturellement et se détache, elle libère de nouveaux virus infectieux.
« Une personne sur quatre est porteuse d’un HPV génital chez les jeunes adultes »
Donc ces virus n’infectent que les cellules souches ?
En théorie, oui, mais la question est débattue. De toute façon, même s’ils peuvent infecter des kératinocytes, ceux-ci sont en train de migrer vers la surface, ce qui laisserait peu de temps pour se multiplier. De plus, l’infection se terminerait tout de suite, car au final, ce qui fait que l’infection perdure, c’est que la cellule souche infectée ne meurt pas.
On sait que ces infections aux papillomavirus peuvent causer des cancers, est-ce le cas de toutes les infections par ces virus ?
Non, même pour les génotypes de papillomavirus les plus oncogènes, comme HPV16 ou HPV18, l’immense majorité des infections sont bénignes: plus de neuf infections sur dix guérissent naturellement en quelques mois ou années. Mais il y a un petit pourcentage de ces infections qui persistent et deviennent chroniques. Et parmi ces infections chroniques, seules certaines peuvent conduire à des cancers. Mais les HPV sont partout ! De l’ordre d’une personne sur quatre est porteuse d’un HPV génital chez les jeunes adultes. Et on estime que plus de 80 % des adultes de 40 ans auront déjà eu une infection à papillomavirus au cours de leur vie. C’est ce très haut nombre d’infections qui mécaniquement rend très élevé le taux d’incidence de cancers causés par HPV, en premier lieu celui du col de l’utérus.
Et pourquoi certaines de ces infections, deviennent-elles chroniques ?
C’est ce que nous avons voulu comprendre. Actuellement, la recherche sur les papillomavirus est extrêmement orientée vers les cancers. Les infections chroniques, ce qui arrive avant le cancer, sont un peu moins étudiées. Et les infections qui ne deviennent même pas chroniques, parfois appelées aiguës, ne le sont quasiment pas, car elles guérissent naturellement et sont asymptomatiques. Pourtant, c’est l’immense majorité des infections. Notre hypothèse était qu’en étudiant ces infections qui guérissent naturellement, nous pourrions mieux comprendre pourquoi l’infection peut parfois devenir chronique et dégénérer en cancer.
Comment avez-vous étudié ces infections ?
Nous avons suivi 189 jeunes femmes (18 à 25 ans) de 2016 à 2020 au CHU de Montpellier, qui était promoteur de cette étude financée par le Conseil européen de la Recherche. Il faut que je commence en remerciant fortement toutes ces participantes à l’étude parce qu’elles ont énormément donné de leurs personnes. Elles avaient des visites tous les deux mois et certaines ont été vues plus de 12 fois, avec à chaque fois un examen gynécologique. Ceci était extrêmement lourd et n’a été possible que grâce à nos équipes sur le terrain et à celle du CeGIDD (Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic du VIH et des Infections sexuellement transmissibles).
Nous avons détecté une infection HPV chez plus de la moitié des participantes à leur inclusion dans l’étude. C’est une prévalence plus élevée que la norme dans ces classes d’âge, mais c’était attendu, car l’un des critères de sélection était qu’elles aient eu au moins un nouveau partenaire sexuel au cours des 12 derniers mois. Ce grand nombre d’infections nous a permis d’étudier la dynamique des infections génitales par les HPV.
« La charge virale augmente très vite après l’infection »
Pouvez-vous décrire cette dynamique ?
Les données que nous avons générées se sont révélées particulièrement cohérentes avec un modèle mathématique que nous avions publié en 2019 et qui se basait sur ce que l’on savait alors sur l’infection. Pour résumer, la charge virale augmente très vite après l’infection. Ensuite, il y a un plateau d’environ une année durant laquelle cette quantité de virus reste élevée. Enfin, cette charge virale chute très vite et le virus devient indétectable. À la fin de notre étude, seules quatre femmes avaient encore une infection en cours au bout des 24 mois du suivi. On les a référées vers le service de gynécologie du CHU de Montpellier. Plus généralement, la question de savoir si on se débarrasse vraiment de l’infection est débattue. Nous sommes en train d’essayer de trouver les financements afin de recontacter toutes les participantes, pour voir si elles sont toujours porteuses d’HPV et, si oui, s’il s’agit d’un nouveau virus ou bien, au contraire, si c’est le même virus de 2016-2020 qui aurait été non détectable seulement pendant quelques mois.
Pour en revenir à la dynamique de l’infection, cette forme avec un plateau peut s’expliquer par le cycle infectieux de ce virus. Il « habite » dans les cellules souches de l’épithélium, qui sont en nombre relativement limité. Ceci pourrait expliquer la croissance rapide de la population virale suivie du plateau. Ensuite, une partie du virus reste « au chaud » dans ces cellules souches et une autre monte à la surface dans les cellules différenciées, générant des virions. Durant cette étape, la charge virale reste stable, car la réserve du virus dans les cellules souches est toujours là. Puis, la chute rapide de cette charge virale pourrait être due à l’activation de la réponse immunitaire. C’est en tout cas cohérent avec ce que nous avons observé dans l’étude.
Comment le système immunitaire attaque-t-il le virus ?
Il y a d’abord l’immunité innée, qui est plutôt forte dans les infections courtes, selon nos données. Notre interprétation est que si cette immunité innée ne parvient pas à éliminer l’infection, on va vers une activation de l’immunité adaptative, qui cible spécifiquement le virus en cause. Ainsi, dans notre étude, les infections plutôt longues sont caractérisées par une plus grande abondance de populations cellulaires de l’immunité adaptative qu’innée.
Il se pourrait aussi que le hasard joue un rôle dans cette clairance. Normalement, une cellule souche infectée en se divisant donne une nouvelle cellule souche et une cellule différenciée, toutes deux infectées. La deuxième va migrer à la surface et mourir rapidement, mais l’infection peut persister dans la cellule souche. D’où le plateau. Mais parfois, une division de cellule souche donne deux cellules différenciées. Dans ce cas, les deux vont migrer et mourir, et l’infection disparaîtra rapidement, car il n’y a plus de réservoir. Les modèles, y compris ceux de notre équipe, ont montré que ce hasard pourrait expliquer une grande partie des clairances des infections. Tout dépendrait du nombre de cellules souches infectées, mais s’il n’y en a qu’une seule, et si vous avez une chance sur 100 de faire une division symétrique avec des cellules différenciées, c’est une chance sur 100 que l’infection s’arrête toute seule à chaque division.
« Il n’y a pas besoin a priori d’une charge virale très élevée pour être infectieux »
Le plateau avant cette clairance est très long, une personne infectée est donc très infectieuse durant cette période où la charge virale reste élevée ?
On ne connaît pas très bien le lien entre la charge virale d’une personne et son risque infectieux. Le plus vraisemblable, c’est que plus il y a de virus, plus la personne est contagieuse. Mais c’est un virus très contagieux, qui peut même être transmis par le partage des gants de toilette ou des produits pour l’hygiène. Donc, il n’y a pas besoin a priori d’une charge virale très élevée pour être infectieux.
Un autre exemple est le risque d’infection par contact sexuel. Ce risque est de l’ordre de 90 % lorsque l’on a un rapport sexuel avec quelqu’un d’infecté. C’est extrêmement élevé quand on compare à d’autres virus sexuellement transmissibles, comme le VIH. Dans les études, dans les couples qui disent utiliser un préservatif, cela fait chuter ce risque par la femme d’être infectée par un HPV à 40 %. Cela reste très élevé et l’une des explications possibles est qu’un peu de virus pourrait se retrouver sur le préservatif par contact manuel. Encore une fois, c’est un virus très résistant et extrêmement infectieux.
Existe-t-il une différence entre les femmes vaccinées contre le papillomavirus et celles qui n’avaient pas eu cette vaccination ?
D’abord, on doit rappeler que les vaccins ne ciblent pas tous les papillomavirus, car il y en a des centaines dont l’immense majorité est complètement bénigne. Les vaccins ne ciblent que les génotypes responsables de la plupart des cancers, notamment HPV16, HPV18, et aussi les génotypes HPV6 et HPV11, qui causent des verrues génitales. Pourtant, en plus de cette protection, nous avons vu que les femmes vaccinées étaient aussi un peu protégées contre des génotypes non vaccinaux. Par exemple, HPV51 était beaucoup moins fréquemment détecté chez les participantes vaccinées que chez les non-vaccinées. De plus, les analyses statistiques indiquaient des charges virales légèrement plus faibles et des infections légèrement plus courtes chez les participantes vaccinées. Tout ceci va dans le sens d’une possible immunité croisée entre les différents génotypes HPV.
Donc la vaccination pourrait être l’un des facteurs qui protège contre les infections chroniques au papillomavirus. D’autres facteurs entrent-ils en jeu ?
C’est ce que nous voulons étudier maintenant. Un jeune chercheur qui vient de monter sa propre équipe, Nicolas Tessandier, est en train d’analyser l’expression génétique dans les cellules infectées pour avoir une meilleure caractérisation de la réponse immunitaire. L’idée est notamment de comparer les infections chroniques à celles qui guérissent. Mon équipe étudie aussi le microbiote vaginal, pour savoir s’il pourrait jouer dans la persistance ou la clairance des infections HPV. Cette comparaison entre les infections qui guérissent et celles qui deviennent chroniques pourrait nous permettre d’identifier des biomarqueurs associés à la persistance, voire d’identifier des nouvelles pistes thérapeutiques basées sur des immunothérapies.
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