Africa-Press – Guinee Bissau. La plupart des galaxies possèdent en leur centre un trou noir gigantesque, dont la masse peut atteindre plusieurs millions voire plusieurs milliards de fois celle du Soleil. La Voie lactée abrite ainsi Sgr A*, de 4,3 millions de masses solaires. M87*, niché dans la galaxie du même nom, atteint 6,5 milliards.
De tels mastodontes, dont l’attraction est telle que rien ne peut s’échapper d’eux, même pas la lumière, exercent forcément une influence sur leur environnement. Mais laquelle ? Cette question s’est imposée au fil du temps dans les recherches de David Elbaz, astrophysicien au CEA, à Saclay (Essonne), dont l’ambition est de reconstituer l’histoire des galaxies, depuis leur naissance jusqu’à leur mort. Eh oui ! les galaxies meurent aussi…
Galaxies stériles
Tout commence au début des années 1990. Le jeune chercheur étudie les amas de galaxies dans le cadre de sa thèse. “En observant toutes ces galaxies constituant les amas, nous nous sommes aperçus qu’il existait une population de galaxies stériles, se souvient-il. Elles semblaient s’être comme vidées de leurs entrailles, et ne formaient plus d’étoiles. ” Voilà donc à quoi ressemble une galaxie “morte”.
À l’époque, les coupables sont tout trouvés: si les galaxies n’engendrent plus d’étoiles, c’est qu’elles subissent l’action de trous noirs. Ils videraient leurs réservoirs de gaz en projetant au-dehors la matière, avec leurs puissants champs magnétiques, avant qu’elle n’ait franchi l’horizon des événements, qui délimite la zone de non-retour d’un trou noir. Mais cela reste une accusation sans preuve.
Au même moment se développe l’imagerie infrarouge, avec l’envoi dans l’espace d’instruments (notamment les télescopes spatiaux Iras puis ISO et Spitzer) sensibles à cette gamme de longueurs d’onde émise par la poussière et le gaz interstellaire. “Cela nous a donné accès au métabolisme des galaxies. Nous avons été capables de voir où les étoiles se formaient, et à quel rythme. C’est alors que je me suis spécialisé dans la naissance et la fertilité des galaxies. Nous avons découvert qu’elles formaient des étoiles à un rythme universel. Elles semblaient s’autoréguler. Or, certaines possédaient des trous noirs actifs, d’autres non. C’est étrange: si les trous noirs devaient être le virus qui tue les galaxies, pourquoi certaines sont épargnées et d’autres pas ? ”
Les supercalculateurs au secours des astrophysiciens
L’enquête de David Elbaz connaît un rebondissement avec l’interféromètre Alma, un radiotélescope géant inauguré en 2011 dans le désert de l’Atacama, au Chili. Alma scrute l’Univers dans le domaine des ondes radio, permettant pour la première fois l’observation des nuages de gaz moléculaire. Après la mesure du rythme de naissance des étoiles avec les satellites infrarouges, les ondes millimétriques permettaient de déterminer l’espérance de vie des galaxies en quantifiant leurs réservoirs de gaz. “C’est l’instrument dont on rêvait pour aller explorer encore plus loin le réservoir de gaz des galaxies, et quantifier combien d’astres celles-ci pouvaient former. Et là, nous avons fait une découverte extraordinaire. Ces réservoirs leur permettaient de fabriquer des étoiles durant 600 millions d’années, pas davantage. Alors que l’Univers a 13,8 milliards d’années ! Le problème n’était plus de savoir pourquoi les galaxies meurent, mais plutôt de comprendre comment elles peuvent survivre durant plusieurs milliards d’années. ”
Le mystère de l’évolution des galaxies s’épaissit donc jusqu’à ce que les supercalculateurs viennent au secours des astrophysiciens. “Alma nous révélait le gaz invisible, mais les simulations numériques allaient nous permettre de le mettre en mouvement. C’est ainsi que l’on s’est aperçu que l’essentiel du gaz environ 90 % destiné à fabriquer des étoiles se trouve en réalité hors des galaxies, dans des filaments de matière qui les relient. Ils constituent ce que l’on appelle les baryons noirs. Il s’agit de matière classique, donc d’atomes, invisible car froide et diluée. Rien à voir avec la matière noire. Ces filaments sont la clé pour comprendre comment les galaxies sont nourries, et pourquoi elles meurent. ”
Et les trous noirs dans tout cela ? Pour David Elbaz, ils sont en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt. “On leur avait attribué un peu vite le pouvoir de tuer les galaxies, mais la découverte des filaments complexifie beaucoup l’affaire. S’ils ne sont pas responsables, alors cela signifie que nous sommes passés à côté d’un élément essentiel de notre compréhension de l’évolution des galaxies. ” Mais à nouveau, un instrument va changer la donne…
Lancé en décembre 2021, et actif depuis juillet 2022, le télescope spatial James Webb (JWST) apporte d’ores et déjà de nouvelles pièces à l’histoire des galaxies et des trous noirs. Parce qu’il observe dans l’infrarouge, il nous révèle les toutes premières galaxies de l’Univers. En effet, leur lumière, en raison de l’expansion, est décalée dans ce domaine du spectre électromagnétique car la dilatation de l’espace dilate les longueurs d’onde. “Le JWST nous apprend que les premières galaxies se sont formées plus tôt qu’on ne l’imaginait, environ 200 millions d’années seulement après le Big Bang. On découvre qu’elles sont plus fertiles, et qu’elles possèdent des trous noirs supermassifs alors qu’elles viennent de naître. À tel point que l’on se demande si les trous noirs ne seraient pas arrivés avant les galaxies. Autrement dit, ils pourraient en être les géniteurs, ce qui constitue un renversement complet de ce que l’on imaginait lorsque j’ai entamé mes études “, développe David Elbaz.
En guise d’exemple, il cite une publication récente, signée notamment du cosmologiste anglais Joseph Silk, qui montre que lorsque l’Univers était très jeune et les galaxies très denses, l’activité des trous noirs aurait pu provoquer des naissances d’étoiles par les jets d’énergie qui s’en échappent et collisionnent les nuages de gaz.
L’espoir de saisir un trou noir en action
“En conclusion, l’évolution des galaxies, leur fertilité initiale, le fait qu’elles meurent, n’est pas qu’une histoire de trous noirs, même s’ils jouent un rôle, résume David Elbaz. Mais ce rôle, nous ne le comprendrons que dans un contexte plus global, lorsque nous aurons un bilan plus complet du contenu de l’Univers. Parvenir à cartographier les filaments serait l’une des découvertes les plus excitantes à venir.”
Un nouvel espoir est né avec l’instrument BlueMuse, qui sera installé aux environs de 2030 sur le Very Large Telescope, au Chili. “Il devrait être capable de détecter une partie de ces filaments de gaz froid. Néanmoins, nous n’avons pas la certitude que l’on parviendra un jour à cartographier toute cette matière cachée, nuance l’astrophysicien. De même, pour être certain de l’action des trous noirs, il faudrait pouvoir la saisir en direct: les voir vider une galaxie lointaine de son gaz, ou engendrer des étoiles Cela paraît encore hors de portée. ”
L’histoire des galaxies, et le rôle de chacun de ses acteurs les gaz, les étoiles, les trous noirs reste encore bien incomplète “Il faudra peut-être quelques décennies pour l’écrire complètement. Ou bien quelques mois, qui sait, si une observation change la donne Les découvertes préviennent rarement de leur arrivée ! ”
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