Africa-Press – Guinee Bissau. La nature est capable de faire des choses absolument étonnantes”, nous raconte Eric Verrecchia, chercheur en biogéochimie à l’Université de Lausanne (Suisse). Il fait référence à la voie oxalate-carbonate, un processus où des organismes vivants réussissent ensemble à synthétiser une forme minérale du carbone à partir du CO2 atmosphérique. “J’ai l’impression que la course aux technologies de piégeage de carbone va donner une impulsion à ces méthodes qu’on appelle « solutions basées sur la nature »”, ajoute le chercheur, qui a découvert ce processus dans les années 1990s.
Un super puits de carbone
La communauté scientifique s’y intéresse de plus en plus, car les plantes impliquées dans la voie oxalate-carbonate sont nettement plus efficaces que les autres pour capturer le CO2, le principal gaz à effet de serre qu’on retrouve dans l’atmosphère.
On parle souvent des forêts en tant que puits de carbone, mais ce n’est pas toujours vrai… Car pendant que les végétaux captent du CO2 pour la photosynthèse, le sol respire et la matière organique se décompose. Ainsi, les forêts peuvent atteindre un équilibre où elles absorbent autant de carbone qu’elles n’en émettent. Pire encore, quand la forêt brûle, le carbone stocké en biomasse est rapidement relargué vers l’atmosphère.
À l’inverse, le carbone minéralisé sous forme de carbonate est stable et peut rester dans le sol pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. “Là, on a un vrai puits de carbone !”, s’enthousiasme le chercheur. De cette manière, le carbone est retiré de l’atmosphère sur du très long terme. Fascinant ! Mais comment cela fonctionne-t-il ?
“On pense que cette adaptation leur permet d’intensifier la photosynthèse”
Tout d’abord, il faut des plantes capables de produire de l’oxalate de calcium, un sel organique qui se retrouve sous forme de cristaux dans leurs tissus (feuilles, branches, tronc, etc.). Ces végétaux synthétisent l’oxalate lors de la photosynthèse, donc à partir du CO2 atmosphérique, d’eau et de soleil.
“On pense que cette adaptation leur permet d’intensifier la photosynthèse, indique le chercheur. Les petits cristaux dans leurs feuilles agissent un peu comme des miroirs qui concentreraient l’énergie lumineuse.” D’autres hypothèses avancent que les cristaux d’oxalates serviraient à détoxifier la plante du calcium ou agiraient comme des retardateurs d’incendies et même de protection contre les herbivores.
Des autoroutes fongiques
Quand la plante perd des feuilles ou des tiges et que celles-ci se décomposent, les cristaux d’oxalate sont libérés dans le sol. “Dès que l’oxalate entre dans le sol, les bactéries capables de le digérer vont tout de suite se ruer dessus parce qu’énergétiquement, c’est super intéressant pour elles”, explique Eric Verrecchia. Pour ces microbes, l’oxalate fournit encore plus d’énergie que le sucre.
“Mais il y a un problème : les bactéries n’ont pas de pattes… Alors comment font-elles pour accéder aux cristaux d’oxalate ?”, nous demande le chercheur. La réponse : grâce aux champignons ! Le mycélium des champignons que l’on retrouve dans le sol ressemble à un réseau racinaire de filaments microscopiques. Et les bactéries peuvent “surfer” sur ces filaments de champignons pour se déplacer dans le sol et atteindre leur nourriture ! C’est ce qu’on appelle des autoroutes fongiques.
Puis, la biominéralisation du carbone se produit lorsque les bactéries consomment l’oxalate. Les sous-produits de cette réaction causent une augmentation du pH du sol, c’est-à-dire que le milieu devient plus alcalin ou moins acide. D’une part, cela permet d’augmenter la fertilité du sol, en fixant des nutriments tels que le calcium, le magnésium et du potassium. Mais en plus, cela transforme le CO2 issu de la digestion de l’oxalate en un minéral : le carbonate de calcium (CaCO3), aussi appelé calcaire.
Ainsi, pour que le CO2 soit piégé sous forme de carbonate dans le sol, il faut avoir ces trois composantes : des plantes capables de produire de l’oxalate, des champignons pour acheminer les bactéries vers leur nourriture, ainsi que des bactéries qui digèrent l’oxalate en carbonate. “Sans les trois réunis, il ne se passe rien”, juge Eric Verrecchia.
Encore du travail à faire
Nous avons demandé à Eric Verrecchia si l’idée de planter des végétaux oxalogènes avec le bon microbiome pourrait contribuer à capter du CO2 dans l’atmosphère de manière significative. “La réponse est oui sans aucun doute, renchérit-il du tac au tac, et je suis quelqu’un qui doute !”.
Cependant, il faut d’abord prendre le temps de comprendre les écosystèmes, et c’est sur quoi travaille le chercheur actuellement. En premier lieu, il faut identifier les espèces de plantes, de bactéries et de champignons impliquées dans le processus. “Dans la sélection des espèces, il faut surtout éviter de faire du monospécisme, précise Eric Verrecchia. Ce serait complètement idiot d’aller planter uniquement la même plante partout.”
De plus en plus, des projets se développent à travers le monde dans le but d’optimiser la voie oxalate-carbonate. “Il y a encore un beau travail à faire, mais le potentiel est gigantesque, à la fois en tant que puits de carbone, mais aussi pour améliorer la fertilité des sols tropicaux.”
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