La révolution quantique s’attaque aux batteries

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La révolution quantique s’attaque aux batteries
La révolution quantique s’attaque aux batteries

Africa-Press – Guinée. Après l’ordinateur quantique, les capteurs, la cryptographie, les batteries pourraient bien constituer une nouvelle dimension de la révolution quantique. Le concept est encore balbutiant, mais plusieurs laboratoires, en Australie, en Corée du Sud, en Italie, s’y intéressent. Ils partent du constat que les performances des batteries classiques, électrochimiques, sont condamnées à plafonner. Cette technologie vieille de deux siècles repose sur le transfert d’ions et d’électrons entre deux électrodes, à l’aide de réactions chimiques. La vitesse de charge dépend de la cinétique des réactions et du déplacement des ions dans l’électrolyte, autant de facteurs limitants qu’il est possible d’optimiser, mais pas indéfiniment. Il y aura toujours un temps de charge incompressible.

La batterie quantique fait table rase de tout cela: plus d’ions, plus d’électrons, plus d’électrolyte. On n’y trouve que des particules capables d’absorber de l’énergie fournie sous la forme de photons, pour la restituer ensuite. Le concept a émergé en avril 2013 dans la revue Physical Review E, sous la plume des physiciens Robert Alicki de l’Université de Gdansk (Pologne) et Mark Fannes de l’Université catholique de Louvain (Belgique). Ils rédigent alors un article traitant de la thermodynamique, cette branche de la physique qui décrit les transferts d’énergies, appliquée à la physique quantique. Tout un programme !

Car la thermodynamique considère les atomes et molécules comme un tout, en “moyenne”. Ainsi, elle peut décrire le comportement d’un gaz sans rien dire du destin d’une seule molécule de ce gaz. L’idée des chercheurs est de voir comment elle se transpose à la physique quantique qui, elle, s’applique aux particules individuelles. “J’ai écrit pour la première fois sur la thermodynamique des systèmes quantiques microscopiques en 1979, se souvient Robert Alicki. Mais ce thème s’est popularisé à mesure que le contrôle des systèmes microscopiques est devenu réalité, et que diverses applications de la technologie quantique, tels les ordinateurs quantiques et les moteurs quantiques, ont été étudiées à la fois théoriquement et expérimentalement. Dans notre article de 2013, nous avons démontré que si l’on veut extraire du travail à partir d’un ensemble d’atomes, il est plus efficace d’agir sur tous les atomes en même temps que sur chaque atome séparément. Il était plutôt abstrait, de l’ordre de la physique mathématique. Mais il a attiré l’attention de la communauté et est cité comme pionnier.”

Plus il y a de particules, plus la batterie se charge vite

L’article est fondamental pour cette découverte: l’importance du collectif sur l’individuel sitôt que l’on tente de faire de la thermodynamique avec la physique quantique. En 2018, le physicien italien Marco Polini (aujourd’hui à l’Université de Pise) et son équipe transposent les concepts abstraits de Robert Alicki aux batteries dans un article paru dans Physical Review Letters. C’est le véritable acte de naissance des batteries quantiques.

Marco Polini y propose notamment d’utiliser la “super-radiance”, théorisée par le physicien américain Robert Dicke en 1954, comme effet collectif. Elle est étudiée, ainsi que son effet contraire, la super-absorption, par Carlo Sirtori, professeur au Laboratoire de physique de l’École normale supérieure de Paris. “Imaginez une particule comme un électron, capable d’absorber un photon en un temps t. Si vous fabriquez un dispositif contenant N électrons, le temps d’absorption du dispositif est divisé par N. C’est la super-absorption. ”

Le plus étonnant, c’est que le système de N électrons se comporte comme si un seul d’entre eux était capable d’”avaler” le photon en un temps t/N. “Cela vient de la physique quantique, qui est en quelque sorte une démocratie exemplaire, s’amuse Carlo Sirtori. Tous les électrons sont parfaitement identiques, et vous ne pouvez pas en distinguer un parmi les autres. Donc, si vous voulez en exciter un seul, comme vous ne pouvez pas savoir lequel, il sera excité avec une probabilité N fois plus importante. C’est ce qui fait que l’ensemble répond avec une plus grande rapidité. ” On notera au passage que plus il y a de particules, donc plus la batterie est importante, et plus elle se recharge rapidement, contrairement à son homologue classique.

Le concept de batterie quantique débouche d’ores et déjà sur “des tentatives expérimentales intéressantes “, observe Robert Alicki. Le physicien polonais songe notamment aux travaux de James Quach et ses collègues de l’Université d’Adélaïde (Australie), en collaboration avec l’Institut polytechnique de Milan (Italie). Ils ont été publiés dans la revue Science Advanced en janvier 2022. Il s’agit d’un dispositif se composant de molécules toutes identiques d’un colorant organique semi-conducteur, le Lumogen F Orange. Lorsqu’elles sont exposées à une lumière d’une longueur d’onde précise, les molécules passent d’un état de basse énergie à un état excité de haute énergie. Ce qui correspond à une charge, si l’on envisage cela comme une batterie. “Le nombre de molécules impliquées dans notre dispositif est de 1021, explique James Quach. Nous avons vérifié que la vitesse d’absorption des photons par l’ensemble des molécules est très supérieure à la vitesse d’absorption d’une seule molécule, uniquement en jouant sur l’effet de super-absorption. ” Il faudra toutefois multiplier par au moins un milliard le nombre de molécules pour obtenir une puissance intéressante.

Pour y parvenir, il est impératif de minimiser la décohérence, c’est-à-dire d’isoler autant que possible les molécules de leur environnement afin qu’elles conservent leurs propriétés quantiques. “C’est la principale difficulté de notre expérience, sur laquelle nous travaillons actuellement “, confie James Quach. Mais ce n’est pas la seule.

Bien que le dispositif absorbe effectivement la lumière, il ne la stocke pas: elle est réémise tout aussi rapidement par super-radiance. L’équipe cherche donc un moyen de contrôler cette libération d’énergie. Enfin, une autre difficulté est soulignée par Robert Alicki. “L’effet de super-absorption ou de super-radiance ne s’observe que sur des dispositifs de petites tailles, comparables à la longueur d’onde du photon absorbé. En pratique, cela limite la dimension des batteries quantiques qui ne pourront équiper que des dispositifs électroniques miniaturisés, tels que des capteurs ou des nanorobots. ”

Des prototypes de batteries espérés d’ici à cinq ans

Effectivement, il n’est pas question pour l’instant de fabriquer des batteries de voiture par exemple. Néanmoins, James Quach et son équipe sont un peu plus optimistes que Robert Alicki. Ils misent sur un prototype capable d’alimenter des objets connectés: des montres, des téléphones portables. Le fait d’utiliser des photons pourrait aussi les amener à coupler ces batteries à des panneaux solaires pour en améliorer considérablement l’efficacité.

Pour le physicien Carlo Sirtori, la recherche autour de ce thème est de toute façon une bonne nouvelle. “Je suis heureux de voir émerger d’autres applications que l’ordinateur quantique. Il est très intéressant, mais les batteries concernent le stockage de l’énergie, un enjeu majeur de la transition énergétique. Cela peut susciter l’enthousiasme des financiers et des responsables politiques. C’est une très bonne chose pour tout le secteur des applications de la physique quantique. ”

Sans compter que la recherche en vogue sur l’ordinateur quantique devrait bénéficier aux batteries. En effet, l’informatique quantique repose sur les qubits, des dispositifs pouvant se trouver sous deux états différents, “1” ou/et “0”. Ces états peuvent correspondre à deux niveaux d’énergie différents. C’est le cas des ions piégés ou bien des circuits supraconducteurs qui miment un atome, la voie suivie par IBM et Google par exemple. Un assemblage de ces qubits constitue de facto une batterie qui est chargée lorsque tous les qubits sont à l’état “1” et déchargée à l’état “0”.

En avril 2022, une étude réalisée par des chercheurs d’IBM et parue dans la revue Batteries a ainsi évalué l’efficacité d’un qubit en matière de stockage d’énergie et de temps de charge. Les auteurs ont montré qu’il est possible d’obtenir un excellent stockage d’énergie (supérieur à 95 %) dans un délai remarquablement court (moins de 135 nanosecondes). Mieux encore, ils ont constaté que les erreurs d’initialisation des qubits, qui diminuent les performances des ordinateurs quantiques, constituent au contraire un facteur améliorant encore la performance des batteries quantiques. Encourageant.

James Quach, tout en reconnaissant que cette technologie est encore “dans l’enfance”, espère obtenir des prototypes de batteries d’ici à cinq ans. Une échelle de temps du même ordre que la start-up italienne Planckian lancée en 2023, également pour mettre au point des prototypes de batteries (lire l’interview ci-dessous). Et s’il n’est pas encore envisageable de doter à moyen terme les véhicules de batteries quantiques, au moins existe-t-il désormais un espoir de remiser un jour les batteries électrochimiques au musée.

Trois questions à Marco Polini, directeur scientifique et cofondateur de Planckian*
Sciences et Avenir: À quoi ressemblera votre batterie quantique ?
Marco Polini: L’architecture ressemblera à celle d’un ordinateur quantique. C’est un ensemble de qubits à deux niveaux d’énergie enfermés dans une cavité. Nous pouvons utiliser tout type de qubits: les atomes froids, les atomes de Rydberg… Mais puisque nous venons de la physique des matériaux, nous, fondateurs de Planckian [avec Vittorio Giovannetti, Michele Dallari], sommes plus à l’aise avec les qubits du type “circuits supraconducteurs”, comme ceux d’IBM ou de Google.

Justement, IBM a annoncé le 4 décembre 2023 la mise au point d’un microprocesseur de 1121 qubits. Qu’attendez-vous pour en faire une batterie ?

Si l’architecture se ressemble, la problématique est différente. Pour faire du calcul quantique et réaliser des opérations logiques, il faut contrôler parfaitement chaque qubit. Une batterie réclame de maîtriser l’ensemble des qubits en même temps afin d’obtenir l’effet de super-absorption ou de super-radiance. Si vous imaginez les qubits comme des pendules, nous devons être certains qu’ils sont tous parfaitement synchronisés.

Êtes-vous optimiste quant à la mise au point rapide de batteries quantiques ?

Notre objectif à court terme est de parvenir à la preuve de concept du contrôle simultané de quelques qubits. Ensuite, nous combinerons ce volet purement quantique avec le volet énergétique afin de convertir l’énergie des qubits en électricité. Cela nous prendra sans doute quelques années, car notre projet est davantage de l’ordre de la recherche que de l’industrie. Nous sommes en pleine phase exploratoire !

* Issue d’une collaboration entre l’université et l’École normale supérieure de Pise, la start-up italienne a récolté 2,7 millions d’euros en 2023 afin de développer des batteries quantiques.

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