Mncedisi Siteleki
Africa-Press – Guinée. La visibilité a toujours été importante dans les décisions des gens concernant leur lieu de résidence et l’aménagement de leurs espaces. Les gens établissent des liens avec ce qu’ils peuvent voir. Être capable de voir des points de repère importants, tels que certains sommets de montagnes, rivières ou sites ancestraux, pourrait contribuer à renforcer le lien d’une communauté avec son paysage culturel et spirituel.
Certaines personnes préfèrent les maisons avec des vues panoramiques, comme les appartements donnant sur des parcs ou des fronts de mer, et les entreprises choisissent souvent des emplacements très visibles pour attirer les clients. Dans les contextes anciens comme modernes, la visibilité joue un rôle clé dans la façon dont les gens se positionnent dans leur environnement.
C’est pourquoi la visibilité est un concept utile pour étudier le passé.
Les archéologues s’intéressent à ce que les espaces visibles et cachés représentaient pour les peuples des cultures anciennes. Ils utilisent la notion de visibilité pour examiner des éléments tels que l’emplacement des établissements, les relations sociopolitiques ainsi que le moment et le lieu où les gens ont choisi de se déplacer.
Au cours des 30 dernières années, ils ont bénéficié des outils numériques tels que les systèmes d’information géographique (SIG). Un SIG est un système informatique qui utilise des logiciels et des données pour cartographier, analyser et gérer des informations géographiques.
Mais cette méthode est encore sous-utilisée en Afrique. Elle n’a été adoptée que récemment et très peu d’études de visibilité ont été menées sur le continent.
Je suis spécialiste des données géospatiales axées sur la découverte des modèles spatiaux et des relations dans les données archéologiques. Je travaille avec le projet Arcreate, un groupe de chercheurs étudiant la mobilité, la migration, la créativité et la transmission des connaissances dans les sociétés africaines.
J’ai récemment publié une étude sur les établissements du XIXe siècle dans la région de Magaliesberg en Afrique du Sud, en utilisant des outils SIG pour analyser ce que la visibilité des sites pouvait révéler. Les établissements ont-ils été conçus et positionnés pour être plus ou moins visibles ? Et cela nous éclaire-t-il sur ce qui importait aux populations qui y vivaient ?
J’espère que mon étude servira de cadre à des analyses comparatives d’autres sites africains en archéologie et apportera un éclairage sur les raisons qui ont motivé le choix de ces emplacements.
L’histoire des Sotho-Tswana en Afrique australe
Au début du XIXe siècle, les communautés agricoles sotho-tswana de la région vallonnée de Magaliesberg en Afrique du Sud (à environ 179 km au nord-ouest de Johannesburg) se sont considérablement développées et densifiées. Des milliers d’établissements se sont formés. Parmi eux se trouvaient les sites que j’ai étudiés: Marothodi, Molokwane et Kaditshwene. Ils ont également été étudiés au fil des ans par d’autres archéologues. Aujourd’hui, il ne reste de ces sites que les ruines des murs de pierre.
Ces établissements étaient densément peuplés. Ils se composaient de kraals centraux (enclos à bétail, ou lesaka en langue sotho) entourés de fermes construites en pierre. Kaditshwene était la plus peuplée, avec environ 15 000 habitants, et a été habitée par des communautés agricoles sotho-tswana pendant la plus longue période (1650-1828), suivie par Molokwane (environ 12 000, 1790-1823). À Marothodi (environ 7 000 habitants, 1815-1823), les habitants produisaient un surplus de fer et de cuivre (qu’ils échangeaient) et élevaient du bétail.
Le bétail était très important dans ces communautés, jouant un rôle central dans les pratiques culturelles et symbolisant la richesse. La visibilité des kraals à bétail est donc un sujet digne d’intérêt: elle peut révéler ce que les gens souhaitaient montrer de leurs richesses. Ces éléments viennent compléter les connaissances que les archéologues ont accumulées sur ces communautés.
Technique d’analyse de la visibilité
Mon étude a analysé la visibilité de ces kraals sotho-tswana du XIXe siècle depuis certains points à l’intérieur et à l’extérieur de la colonie.
J’ai utilisé une technique informatique basée sur l’imagerie LiDAR (imagerie haute résolution créée à l’aide de la technologie laser) et un logiciel appelé ArcMap.
L’analyse de la visibilité permet de déterminer dans quelle mesure les lieux d’observation (kraals) peuvent être vus depuis différents points d’une carte (imagerie LiDAR). Elle a comparé la visibilité des kraals et d’autres espaces, en prenant l’élévation (hauteur des structures telles que les murs de pierre) comme variable clé.
L’analyse a été effectuée à deux niveaux: le village (échelle spatiale de 650 mètres) et le foyer (échelle spatiale de 10×25 mètres).
Au niveau du village, j’ai constaté des différences au sein des sites et entre eux.
À Marothodi, deux kraals étaient très visibles depuis la zone environnante de 650 mètres, d’autres l’étaient moins. Dans l’ensemble, c’était l’établissement le plus visible, comparativement aux autres.
À Molokwane, le groupe central de kraals était très visible, mais la visibilité diminuait avec la distance dans la zone environnante de 650 mètres.
À Kaditshwene, les kraals n’étaient pas très visibles ; et c’était le cas pour l’ensemble du site.
Marothodi, bien que plus petit, comptait plus de kraals, tandis que Kaditshwene, le plus grand, en comptait le moins.
Au niveau des ménages, la visibilité des contours des kraals à Marothodi et Molokwane était importante, tant de l’intérieur que de l’extérieur des kraals.
Que nous révèlent donc ces résultats ?
Espace et priorités
Mon analyse des kraals a révélé quantitativement une corrélation entre les dispositions spatiales et les priorités sociales, économiques et défensives (ce que d’autres chercheurs ont suggéré auparavant).
De nombreuses fermes et kraals étaient situés à proximité les uns des autres, ce qui mettait l’accent sur la visibilité à l’intérieur et autour des établissements, qui servaient de symboles de statut social et de richesse. Les fermes plus grandes et plus élaborées, appartenant généralement aux élites, étaient positionnées de manière à mettre en valeur le pouvoir et l’influence de leurs propriétaires.
Cependant, il est nécessaire d’étudier davantage d’établissements avec des zones environnantes beaucoup plus vastes (au-delà de 650 mètres) pour confirmer ces corrélations dans d’autres paysages.
Marothodi possédait les kraals les plus visibles, ce qui semble cohérent avec son rôle économique dans le commerce du fer et du cuivre. Cette forte visibilité symbolisait la richesse et l’activité économique. Des kraals proéminents et un aménagement ouvert suggèrent des efforts délibérés pour mettre en valeur les relations commerciales et le pouvoir économique. Les habitants voulaient manifestement montrer qu’ils étaient ouverts aux affaires et qu’ils s’y adonnaient avec succès.
À l’inverse, le village de Kaditshwene, malgré sa taille, avait les kraals les moins visibles. Cela suggère une stratégie défensive visant à protéger le bétail contre le vol en période de conflit. Le paysage vallonné et l’emplacement des villages au sommet des collines renforçaient cette approche défensive.
Ces observations soulignent la double nature de la visibilité. Elle sert de symbole de richesse et de statut tout en constituant un atout tactique dans les stratégies défensives. Alors que les Marothodi avaient besoin d’être visibles pour faciliter le commerce, les Kaditshwene dissimulaient leurs kraals pour être plus en sécurité pendant les conflits.
En résumé, les modèles de visibilité de ces établissements ont été influencés par une combinaison de facteurs liés au paysage, ainsi qu’à des besoins sociaux, économiques et défensifs.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinée, suivez Africa-Press