Djibril Tamsir Niane, un Guinéen entré dans l’Histoire

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Djibril Tamsir Niane, un Guinéen entré dans l’Histoire
Djibril Tamsir Niane, un Guinéen entré dans l’Histoire

Africa-Press – Guinée. Médiéviste renommé, intellectuel universel, le Guinéen Djibril Tamsir Niane était la mémoire vivante de l’Afrique de l’Ouest. Il est décédé le 8 mars, à Dakar, à 89 ans. L’un des collaborateurs de JA se souvient de sa première rencontre avec le professeur.

Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré le « Pr Tamsir Niane ». Ce fut comme une apparition. Silhouette longiligne, il m’attendait dignement, devant la bibliothèque flambant neuve qui porte son nom à Conakry.

Droit comme un i, vêtu d’un grand boubou beige, il était fier, devant cette caverne du savoir qu’il avait portée à bout de bras : un bâtiment de trois étages reconstruit – après avoir été emporté par un incendie en 2012 –, à côté du rond-point de l’Éléphant, au cœur du quartier populaire de La Minière.

Le grand homme avait aussitôt tenu à me montrer l’entrepôt voisin abritant les cartons de livres calcinés, un peu comme on va s’agenouiller sur la tombe d’un parent au cimetière avant de célébrer la vie.

Au camp Boiro

Nous passâmes ensuite par sa villa de toujours – située juste en face –, où je croisais le beau regard de son épouse, Aïssatou, si bienveillante avec cet homme qui avait tout connu : le mépris colonial, le goulag tropical de Sékou Touré, le long exil au Sénégal et, surtout, la perte d’une enfant – sa fille aînée, le top-model Katoucha, disparue tragiquement à Paris en 2008.

J’avais alors repensé à la touchante confession que m’avait faite Fifi, son autre fille, ex-actrice de Jean Rouch, privée à sa naissance de son père, qui purgeait alors sa peine pour conspiration au camp Boiro. « J’avais 3 ou 4 ans lorsque je l’ai vu pour la première fois. Il m’en reste une sensation de force, de mouvement autour de moi. »

Historien et médiéviste

Djibril Tamsir Niane m’emmena ensuite visiter sa nouvelle bibliothèque, dirigée par son fils Daouda – aussi doux que lui –, où quelques jeunes étudiants silencieux lisaient, assis derrière de grosses piles de livres. « C’est peut-être le seul centre de lecture privé en Guinée ! » J’avais aimé sa manière de me signifier ensuite, avec une touche d’impatience : « Bon, je suis prêt, on commence l’entretien ? »

Il faut dire qu’alors, avant que Conakry devienne la « Capitale mondiale du livre » de l’Unesco (de 2017 à 2018), les médias avaient un peu oublié l’éminent historien.

Lui, l’ami proche du Sénégalais Léopold Sédar Senghor et du Burkinabè Joseph Ki-Zerbo, lui, le médiéviste reconnu, a été l’un des premiers intellectuels africains à se réapproprier l’histoire du continent. Car Soundjata ou l’épopée mandingue, son ouvrage majeur publié en 1960, était bien plus qu’une volonté d’apporter des précisions sur ce grand pan de l’histoire sous-régionale transmise oralement durant sept siècles par les griots. C’était d’abord un acte militant.

Tamsir Niane était un « décolonialiste » avant l’heure, mais sans esprit de revanche. Je lui avais parlé de ma grande-tante Germaine Le Goff, institutrice visionnaire qui avait œuvré pour l’éducation et l’émancipation des femmes africaines en 1938. Non seulement il la connaissait, mais il avait salué son travail, citant aussitôt le nom de l’une de ses anciennes élèves : Jeanne Martin Cissé, première femme ministre de Sékou Touré.

Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle

Avec sa mort, à 89 ans, le 8 mars, la célèbre phrase de son autre grand ami, le Malien Amadou Hampâté Bâ, résonne plus que jamais : « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » Intellectuel universel, Tamsir Niane avait compris que dans ce monde moderne par trop façonné par l’Occident, une trace écrite permet de graver à jamais une grande page de l’histoire orale africaine. Cette histoire, c’était toute sa vie.

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