Sekouba Marega
Africa-Press – Guinée. Depuis le 5 septembre 2021, la République de Guinée vit sous un régime militaire conduisant une transition politique. Le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD), a promis une rupture avec les pratiques du passé, une refondation de l’État, et une restauration de la confiance entre gouvernants et gouvernés dès les premières heures de sa prise du pouvoir.
Cependant, deux ans après ses engagements, certains de leurs actes politiques suggèrent de s’interroger sur la sincérité de ses engagements. À travers une série de gestes récents — l’indemnisation des victimes du massacre du 28 septembre 2009, lancement de projets économiques majeurs (Simandou 2040, la raffinerie d’aluminium SPIC), la grâce présidentielle à une figure condamnée (Dadis)— le CNRD semble s’engager dans une logique de construction d’une légitimité politique durable, bien au-delà du mandat de transition.
Cette analyse propose une lecture politique de cette séquence, selon une approche qualitative et interprétative propre aux sciences politiques: quelle stratégie de légitimation est à l’œuvre ? À qui ces gestes profitent-ils ? Et quelle est la trajectoire réelle du pouvoir en place ?
I. Théâtralisation du geste politique: la transition comme scène de reconquête
Dans les régimes de transition, le geste politique devient un langage à part entière. En Guinée, les décisions du CNRD prennent souvent une forme hautement symbolique, où l’émotion collective est mobilisée à des fins politiques. L’indemnisation des victimes du 28 septembre 2009, par exemple, peut être interprétée comme un acte de justice réparatrice. Mais elle est aussi — et surtout — une tentative de repositionnement moral du régime.
Ce n’est pas seulement un rattrapage historique, c’est un message fort envoyé à l’opinion: “Nous ne sommes pas comme les autres. Nous réparons là où d’autres ont fermé les yeux.” Il s’agit d’un usage politique de la mémoire collective, qui cherche à transformer une décision administrative en un levier de reconnaissance sociale et, potentiellement, en un acte fondateur d’un nouveau « contrat social ».
II. Le développement comme outil de légitimation anticipée
La deuxième strate de cette stratégie est économique. Le lancement de la raffinerie d’alumine SPIC s’inscrit dans une logique de transformation locale des ressources et de souveraineté industrielle. Sur le plan du discours, le CNRD se positionne en bâtisseur: “Nous ne faisons pas que gérer, nous développons.” Mais là encore, l’analyse politique révèle une instrumentalisation du développement à des fins de légitimation électorale.
Ce projet est médiatisé, valorisé et mis en scène, il devient ainsi une preuve d’efficacité, une sorte de promesse silencieuse d’un avenir meilleur. Or, dans les transitions classiques, les gouvernements évitent les engagements économiques à long terme. Ce choix du CNRD, à l’inverse, suggère une volonté de s’ancrer dans le temps, d’installer une dynamique qui survivra à la transition… ou que la transition se prolongera d’elle-même.
III. Le jeu des identités: la réhabilitation de Moussa Dadis Camara comme manœuvre électorale
Le troisième volet de cette lecture politique concerne la grâce présidentielle accordée au capitaine Moussa Dadis Camara. Cette décision, fortement chargée en symbolique, dépasse largement le cadre juridique ou humanitaire. Elle est un acte de communication identitaire. Dadis reste, dans la Guinée forestière, une figure respectée, presque mythifiée. Le réhabiliter, même partiellement, revient à rétablir un lien politique fort avec cette base territoriale spécifique.
En science politique, ce type de geste correspond à une stratégie de mobilisation périphérique: on consolide son influence dans les zones réputées instables ou négligées par le pouvoir central, en y activant les leviers de l’appartenance régionale ou communautaire. Ce n’est donc pas une simple décision de grâce, mais une opération politique ciblée, adressée à un électorat potentiel en quête de reconnaissance.
IV. De la reconversion politique: du pouvoir militaire à la quête de légitimité électorale
Pris isolément, chacun de ces actes pourrait relever d’une volonté sincère d’apaiser, de réparer, de construire. Mais mis ensemble, ils dessinent une trajectoire. Une trajectoire dans laquelle le pouvoir militaire ne se contente plus de “gérer” la transition, mais commence à “bâtir” une base politique future. C’est une dynamique connue dans les transitions ambiguës: on gouverne au nom de la refondation, mais on agit comme si l’on voulait durer.
Il s’agit là d’un processus de légitimation par l’action: des actes forts, des gestes symboliques, des projets structurants. Tout cela vise à installer une image — celle d’un régime proche du peuple, efficace, réconciliateur. Et derrière cette image, se profile la possibilité d’une reconversion politique, qu’elle soit assumée ou camouflée.
Conclusion
Le peuple guinéen n’est pas inattentif. Il a appris à décoder les gestes, à comprendre les messages implicites derrière les décisions officielles. Aujourd’hui, une grande partie de la population perçoit que la transition a glissé vers autre chose: une phase de construction d’un pouvoir durable, porté par une stratégie de conquête lente, mais méthodique, les discours de certains hauts fonctionnaires et militaires sont illustratifs.
En adoptant une posture de “sauveur”, en misant sur la mémoire, l’économie et l’identité, le CNRD ne prépare pas seulement une sortie de crise: il prépare une éventuelle entrée en politique (c’est déjà perceptible même par des profanes). Et certainement même une entrée en scène électorale.
La vigilance citoyenne, le débat public et la responsabilité des institutions restent les seules garanties pour éviter qu’une transition ne se transforme en captation du pouvoir. La démocratie ne peut pas naître de l’ambiguïté. Elle exige de la clarté, de l’engagement sincère, et du respect des engagements initiaux.
Source: Vision Guinee
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinée, suivez Africa-Press