Alpha Condé, les « frondeurs » et les ambitions déçues

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Alpha Condé, président de la République de Guinée, en 2016, au palais présidentiel à Conakry

Africa-PressGuinéeLa reconduction du gouvernement de Kassory Fofana par Alpha Condé a été contestée par plusieurs militants du parti au pouvoir. Une fronde minoritaire, mais qui s’exprime alors que le parti s’apprête à connaître une restructuration profonde.

C’est devenu une tradition au Rassemblement du peuple de Guinée (RPG-Arc-en-ciel) : chaque nomination d’un nouveau gouvernement suscite son lot de commentaires et de remous internes. Cela avait déjà été le cas en janvier 2014, lorsque l’ancien Premier ministre Mohamed Saïd Fofana avait été reconduit. Puis, deux ans plus tard, lorsque ce dernier fut remplacé par Mamady Youla. En 2018, Ibrahima Kassory Fofana avait dû, pour obtenir la Primature, fondre son parti Guinée pour tous (GPT) dans le RPG, afin de satisfaire à l’exigence des militants du parti au pouvoir, excédés que le poste leur échappe. Car si les trois Premiers ministres qui l’ont occupé depuis l’accession d’Alpha Condé au pouvoir sont de Forécariah, dans le sud-ouest du pays, tous n’étaient pas des militants du RPG arc-en-ciel.

L’annonce de la reconduction du Premier ministre Kassory Fofana, le 15 janvier, et celle, par la suite, de celle de la plupart des ministres de son gouvernement, n’a pas échappé à la règle. Deux jours plus tard, plusieurs des cadres du RPG-Arc-en-ciel ont mené ce qui s’apparente à une fronde interne. À l’issue d’une rencontre organisée au siège du parti jeudi 21 janvier, cinq membres du bureau politique du parti présidentiel ont adressé un « mémorandum » à l’intention du chef de l’État, dans lequel ils critiquent « la reconduction systématique des ministres sortants malgré le slogan “gouverner autrement” ».

Un « mémo » au vitriol

Dans ce document, que Jeune Afrique a pu consulter, ces cadres du parti au pouvoir réclament au président guinéen d’ »associer davantage les structures du parti dans le choix des hauts cadres afin de dissiper les tensions actuelles et rendre le processus plus inclusif » tout en lui enjoignant de « remettre plus de discipline autour de [lui] afin de préserver le caractère discrétionnaire de vos décisions ».

Les signataires du mémo accusent également certains cadres de couper Alpha Condé de sa base politique, en maintenant l’omerta sur la grogne de certains militants. S’inquiétant de voir « les guerres de clans qui apparaissent désormais au grand jour », ils s’en prennent en particulier à Zénab Dramé, ministre de l’Enseignement technique, de la Formation professionnelle et de l’Emploi.

Accusée par des organes de presses de détournements de fonds, notamment à une époque où elle n’était pas encore ministre, celle-ci a porté plainte pour diffamation. Une insistance qui fait dire à un membre du parti présidentiel qu’il s’agit là, en fait, d’une « forme de règlement de comptes » et que la ministre paie une « ascension fulgurante qui suscite des jalousies. »

Le bureau national du RPG n’a pas tardé à réagir à ce « mémo » au vitriol. « Des cadres connus de tous, contrariés dans leurs ambitions ou leurs projets d’accéder à de hautes fonctions, nourrissant une certaine déception, essaient d’alimenter des polémiques ou de nuire à l’image du parti par certaines déclarations », accusent ses membres dans une déclaration intitulée « halte à la confusion! », avant de réitérer leur soutien aux « actes et décisions de son leader historique et légitime, le professeur Alpha Condé ».

Outre le contenu du texte, c’est aussi la manière dont il a été rendu public qui a fait bondir au sein des instances du parti : celui-ci a en effet été largement partagé via la messagerie WhatsApp avant même que l’intégralité des membres du bureau politique n’en ai pris connaissance. « La voix officielle du parti est bien connue, ce n’est pas l’agitation de deux ou trois militants qui va l’engager », martèle le député Souleymane Keïta.

Cadres suspendus

Les auteurs du fameux « mémo » n’ont d’ailleurs pas tardé à voir la sanction tomber. Cinq cadres ont été suspendus de leurs fonctions politiques et administratives au sein du parti pour une période de 90 jours : Lansana Komara, secrétaire général permanent du RPG, Mbany Sangaré, secrétaire à la jeunesse et responsable de l’Office guinéen des chargeurs (OGP), Alhassane Diakité, chef de cabinet au ministère de l’Éducation, Sékou Souapé Kourouma, membre du bureau politique du RPG, et Sory Sow, député et proche de Kassory Fofana. Tous ont, selon nos informations, adressé par la suite une lettre d’excuse à Alpha Condé.

Mais les motifs de colère semblent toujours vivaces. « Il y a au sein du parti un malaise qui ne dit pas son nom, dans la façon de choisir ceux qui gouvernent, mais aussi dans celle de gouverner, affirme à Jeune Afrique l’un des frondeurs ayant participé à la rédaction du texte. Il ne s’agit pas d’un règlement de comptes. Face à ces inquiétudes de la base, nous avons voulu attirer l’attention du chef de l’État. »

Les ambitions déçues de certains cadres du parti semblent, aussi, avoir pesé dans la balance. « Ceux qui ont fait dix ans en tant que ministre doivent céder la place à d’autres talents plus jeunes, plus dynamiques, afin de produire plus de résultats », considère ce cadre du RPG. Des frustrations qui s’expriment avec d’autant plus d’amertume que « tout le monde se sent ministrable » et que « quand il y a remaniement, chacun attend que son nom sorte », s’amuse un autre cadre du parti présidentiel.

Le 30 janvier, dans une adresse à la nation, Alpha Condé a pour sa part livré le détail de ce qu’il entendait par « gouverner autrement », un programme qu’il fait reposer sur quatre axes : restructurer l’administration, contrôler les ressources affectées aux collectivités, améliorer la qualité de vie à Conakry et initier des programmes pour les jeunes et les femmes. « Gouverner autrement » pourrait aussi bientôt se traduire jusque dans les instances du parti présidentiel.

« Après les élections de 2010, on est passé du RPG au RPG Arc-en-ciel, en fusionnant avec la plupart des partis qui ont accompagné notre candidat. Avec le souhait exprimé par beaucoup de nos alliés, il a été décidé de travailler de manière à les intégrer dans le parti », avance ainsi Souleymane Keita. Déjà entamée avec le référendum constitutionnel, la restructuration du parti « à la base » est « irréversible » et va se poursuivre, assure le député. Pour lui, c’est une certitude : « Nous allons tout droit vers un congrès ».

 

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