À la recherche des espèces perdues

2
À la recherche des espèces perdues
À la recherche des espèces perdues

Africa-Press – Guinée. Le mâle ophrysie de l’Himalaya a des pattes et le bec rouges, une gorge et une face noires et un front blanc. C’est à cette description, établie pour la première fois par le zoologiste britannique John Edward Gray en 1846, que les scientifiques indiens de la Nature Conservation Foundation vont se référer pour retrouver cet oiseau qui n’a plus été vu depuis 1876 en Inde. Près de 150 ans après, la tâche peut paraître ardue. Pourtant, plusieurs exemples récents démontrent que la mission n’est pas impossible. Et l’association Re:wild le prouve régulièrement.

Fondée par un groupe international de scientifiques et l’acteur américain Leonardo DiCaprio, elle dresse et met à jour depuis 2017 une liste des “espèces perdues les plus recherchées”. Elle en compte 25, de tous taxons, zones géographiques et habitats, disparues depuis au moins dix ans dans la nature, sans population en captivité, et piochées dans un inventaire de plus de 2200 espèces. “Il est important de se concentrer sur la redécouverte de celles perdues afin de lever toute incertitude quant à leur état de conservation et de mettre en œuvre une protection avant qu’il ne soit trop tard”, explique Christina Biggs, responsable des espèces perdues chez Re:wild.

Chaque individu contribue à maintenir l’équilibre de la nature

La nature repose en effet sur un équilibre fragile et chaque individu qui y prend place contribue à le maintenir. Même une espèce qui n’est pas la clé de voûte de son écosystème peut en soutenir une. “Et une fois que l’une d’elles disparaît, l’autre s’effondre, puis le système tout entier s’écroule “, prévient la biologiste. “L’effet psychologique est aussi très important, estime Frank Glaw, qui officie à la Collection zoologique d’État de Munich, en Allemagne. Les médias nous annoncent chaque jour beaucoup de mauvaises nouvelles et très peu de positives, notamment en ce qui concerne l’environnement. Les redécouvertes d’espèces perdues peuvent donc nous redonner un peu d’espoir. ”

Justement, la liste de Re:wild facilite la communication auprès du grand public. S’y trouvent des espèces pouvant être protégées par des mesures bien définies si elles venaient à être retrouvées, et porteuses d’une histoire susceptible d’attirer l’attention. C’est le cas de l’échidné à nez long d’Attenborough, disparu depuis les années 1960, qui est l’une des cinq espèces de mammifère qui pond (dits mammifères monotrèmes). De quoi titiller la curiosité du public donc, mais aussi de quelques spécialistes que Re:wild a soutenus en 2023 pour qu’ils débusquent le précieux organisme.

Ces quêtes ne concernent pas exclusivement les espèces animales. Par exemple, le mystérieux ilex de Pernambouc, arbre endémique du Brésil, qui n’est connu que grâce à un échantillon collecté dans un endroit non précisé dans la forêt atlantique, était perdu depuis 1838 avant sa redécouverte en 2023.

Après avoir sélectionné une espèce perdue, l’organisation va estimer un budget et obtenir les fonds nécessaires à sa recherche grâce à des dons de particuliers, des parrainages d’entreprises et des subventions de gouvernements et d’ONG. Ensuite, elle contacte son réseau afin de trouver des partenaires locaux (chercheurs, mais aussi peuples autochtones, communautés, dirigeants…) et surtout l’Union internationale pour la conservation de la nature, dotés de l’expertise nécessaire. Un plan d’action est mis en place afin de maximiser les chances de réussite: matériel, coordination avec les gouvernements locaux, modalités du voyage, sécurité sur place, tout est passé en revue. 14 recherches sont ainsi prévues pour cette année, dont celle de l’ophrysie de l’Himalaya.

Si Re:wild a professionnalisé la quête d’espèces perdues, des découvertes fortuites ont également lieu hors de ce cadre. En 2016, Andy Boyce, un écologue américain, a été surpris d’observer, au cours d’une étude de terrain en Malaisie, un petit-duc de Rajah sur l’île de Bornéo, une sous-espèce d’oiseau qui n’avait pas été documentée vivante dans la nature depuis 1892. Afin de profiter au maximum de sa découverte, le chercheur a observé l’oiseau durant deux heures à plus de 1600 mètres d’altitude et l’a photographié. Mais le hibou ne sera plus aperçu les jours suivants, emportant avec lui toute information pouvant permettre sa protection.

L’ADN environnemental, une technique puissante

Il s’agit là de la difficulté de l’exercice: comment trouver et recueillir des données sur une espèce qui n’a plus été aperçue depuis des dizaines d’années et qui cultive l’art de la furtivité ? Malgré sa discrétion, toute espèce animale laisse derrière elle des traces ADN (cellules de peau, poils, urine ou sang…) comme un malfaiteur peu attentionné le ferait sur une scène de crime. C’est ainsi que la taupe dorée de De Winton a conduit une équipe de scientifiques jusqu’à elle.

Alors quand on lui demande si certaines nouvelles pratiques facilitent aujourd’hui la recherche d’espèces perdues, Eli Wyman, entomologiste à l’Université de Princeton (États-Unis), désigne sans hésiter l’ADN environnemental (ADNe), le nom donné à l’analyse de ces traces. “Il faut prélever des échantillons de l’environnement, éventuellement du sol, de l’eau ou même de l’air, puis amplifier d’infimes quantités d’ADN de l’espèce recherchée. Cette technique peut être très puissante pour localiser des populations d’animaux difficiles à trouver “, explique celui qui, en 2019, a été au cœur de la redécouverte, dans l’archipel indonésien des Moluques, d’une espèce perdue depuis plus de trente ans, l’abeille de Wallace, la plus grande du monde.

L’abeille de Wallace, la reine de toutes les abeilles

L’abeille de Wallace (Megachile pluto) peut atteindre une taille quatre fois supérieure à celle de l’abeille à miel. “Elle a été découverte dans les années 1850 par Alfred Russel Wallace, un de mes héros, explique Eli Wyman, entomologiste à l’Université de Princeton (Etats-Unis). Ensuite, elle n’a été documentée à nouveau que dans les années 1980, lorsque sa biologie de nidification et son cycle biologique ont été étudiés pour la première fois”. Elle a à nouveau été perdue de vue durant plus de 30 ans et certains craignaient qu’elle ne se soit éteinte. Jusqu’à ce qu’Eli Wyman et ses collègues la retrouvent en 2019 après une quête exténuante. “Notre redécouverte de Megachile pluto a attiré une énorme attention internationale sur l’espèce et a stimulé de nouvelles recherches sur elle en Indonésie, où elle est endémique. L’investissement des gouvernements locaux et des autres parties prenantes est essentiel si l’on veut espérer sauver l’abeille géante de Wallace de l’extinction”, prévient le chercheur américain.

Quand il ne permet pas de localiser le spécimen convoité, l’ADN peut au moins aider à mieux le situer sur un arbre phylogénétique, avec de potentielles surprises à la clé. “Les méthodes modernes d’ADN permettent d’obtenir celui de spécimens conservés depuis des siècles dans des musées d’histoire naturelle, et montrent parfois que certaines des espèces disparues n’ont jamais existé “, remarque Frank Glaw. C’est le cas de la tortue Pelusios seychellensis supposément endémique de l’île de Mahé (Seychelles), dont les spécimens étiquetés appartenaient en réalité à une autre espèce !

Plus ordinaires mais très efficaces, les pièges photographiques sont aussi de précieux outils. Correctement positionnés, ils se déclenchent au passage d’un animal et les biologistes n’ont plus qu’à visionner les cartes mémoire en espérant y apercevoir la silhouette de l’espèce recherchée. Concernant les végétaux, les équipes peuvent désormais parcourir des herbiers en ligne grâce à la numérisation des spécimens, ce qui permet de recueillir de précieuses informations avant même de lancer l’expédition. Fondamentalement, photos et ADN constituent des preuves majeures de redécouverte.

Une collaboration avec les communautés locales

Mais “les facteurs les plus importants pour redécouvrir une espèce restent les plus traditionnels: collecter toutes les informations connues et pertinentes, avoir une expédition de recherche bien préparée et de la chance “, énumère Frank Glaw, qui a lui-même mis la main en 2018 sur le caméléon Furcifer voeltzkowi, vu pour la dernière fois en 1913 à Madagascar.

Une espèce de caméléon perdue depuis plus de 100 ans

“La redécouverte d’une espèce qui n’a pas été observée depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, est toujours un défi passionnant et le sentiment s’apparente probablement à celui d’une chasse au trésor”, suppose Frank Glaw, qui dirige la Collection zoologique d’État de Munich, en Allemagne. Avec son équipe, il a retrouvé, dans le nord-ouest de Madagascar, le discret caméléon Furcifer voeltzkowi, décrit pour la première fois en 1893 et perdu 20 ans après. “A Madagascar, il est bien plus difficile de redécouvrir une espèce perdue que d’en découvrir une nouvelle”, assure le chercheur. Mais grâce à l’expédition qu’il a menée avec ses collègues et aux analyses ADN qui ont suivi, il a pu définitivement prouver que le caméléon de Voeltzkowi se trouve toujours sur l’île et qu’il s’agit bien d’une espèce à part entière.

Un avis partagé par Sergio Henriques, coordinateur de la conservation des invertébrés au zoo d’Indianapolis (États-Unis). “La science de la conservation est inextricablement liée à l’expérience et à la grande résilience des biologistes de terrain, ainsi qu’aux fortes collaborations avec les communautés locales “, indique-t-il. Leurs membres peuvent activement aider les chercheurs ou les guider grâce à des savoirs ancestraux. “C’est ainsi que nous avons pu trouver une espèce aussi rare et timide “, assure-t-il, évoquant sa redécouverte au Portugal de l’araignée Nemesia berlandi, introuvable durant 90 ans.

Nemesia berlandi, la discrète araignée portugaise

L’araignée Nemesia berlandi a été décrite en 1931 au Portugal et n’avait plus été revue ensuite. “C’est la seule espèce endémique du Portugal continental qui n’a pas fait l’objet d’une observation documentée depuis près d’un siècle ou plus”, explique Sergio Henriques, coordinateur de la conservation des invertébrés au zoo d’Indianapolis. Le chercheur, particulièrement motivé, a entrepris de la retrouver. “Je suis Portugais, je ressens donc le besoin d’être un bon intendant de la terre de mes ancêtres et je suis très fier de protéger le patrimoine naturel de mon pays”, confie-t-il.

C’est en 2021, dans le village de Fagilde (centre), que Sergio Henriques a finalement retrouvé la trace du précieux arachnide qu’il espère préserver dans les années à venir. “L’avenir de cette espèce et des habitats dont elle dépend restera incertain sans un investissement important de la prochaine génération. C’est pourquoi nous avons discuté avec des centaines d’écoliers de la région et travaillé avec des enseignants pour développer des projets autour de cette espèce”, explique le chercheur, qui ne compte pas ménager ses efforts pour protéger Nemesia berlandi.

Lorsqu’une espèce est retrouvée, une autre est sélectionnée pour prendre sa place dans la liste de Re:wild. Depuis son lancement en 2017, 12 espèces ont pu être localisées. Mais des résultats avaient déjà été obtenus auparavant. Une étude publiée dans Plos One en 2011, concernant amphibiens, mammifères et oiseaux, relatait déjà qu’au cours “des 122 dernières années, au moins 351 espèces ont été redécouvertes, la plupart se trouvant sous les tropiques”, avec un temps de disparition moyen de 61 ans.

Une fois localisées, il convient de comprendre pourquoi elles ont disparu et si elles sont en danger, ce qu’une espèce “discrète” n’est pas forcément. Si c’est le cas, Re:wild peut travailler avec des partenaires locaux pour, par exemple, établir une nouvelle zone protégée ou appuyer la promulgation de lois dédiées à la protection de l’espèce. Les redécouvertes viennent aussi nourrir la communauté scientifique avec des publications en bonne et due forme.

“C’est le moyen prédominant pour transmettre des informations au Système mondial d’information sur la biodiversité et à l’Union internationale pour la conservation de la nature, confirme Christina Biggs. Nous avons un dicton qui dit que vous ne pouvez pas protéger ce que vous ne connaissez pas. La description doit donc être partagée pour garantir la sauvegarde de l’espèce. ” Et afin que disparition ne rime pas avec extinction.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinée, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here