Africa-Press – Guinée. Télédétection, nom féminin: technique d’acquisition à distance d’informations sur la surface terrestre ou de surveillance d’un point d’intérêt. Voilà maintenant plusieurs décennies que l’archéologie exploite ce vaste champ technologique qu’est la télédétection pour collecter des données sur des sites sans avoir besoin de fouiller physiquement le terrain. Le lidar (light detection and ranging), un appareil qui utilise des faisceaux laser pour mesurer les distances et créer des cartes en 3D de la surface terrestre, les radars à pénétration de sol, la photogrammétrie, l’imagerie aérienne ou satellite ou encore l’analyse thermique ont ainsi rendu possibles d’incroyables découvertes parmi lesquelles, en 2017, celles de tombes, vestiges de temples et autres structures enfouies dans la vallée de Saqqarah, en Égypte, qui avaient échappé aux fouilles traditionnelles. En 2018, le lidar avait là encore permis de mettre au jour un immense réseau de cités mayas cachées sous la jungle guatémaltèque, avec plus de 60.000 structures identifiées.
Néanmoins, si elle a su se rendre indispensable dans le domaine, la télédétection a vite posé une limite: la quantité de données qu’elle fournit est bien trop importante pour les archéologues qui se doivent de visualiser et d’interpréter eux-mêmes les images. C’est pourquoi, depuis quelques années, plusieurs projets de recherche ont été consacrés à la mise au point de systèmes d’intelligence artificielle capables d’aider à faire ce « tri » dans les informations collectées par télédétection. Et même si aucun d’entre eux n’exclut, là encore, l’intervention humaine – que tous les chercheurs qualifient d’indispensable pour arriver à des résultats satisfaisants -, ces IA sont en passe d’allonger de façon vertigineuse la liste des sites archéologiques identifiés mais encore inexplorés.
Luca Casini, chercheur en intelligence artificielle à l’université de Bologne, en Italie (aujourd’hui affilié au KTH Royal Institute of Technology de Stockholm, en Suède), fait partie des scientifiques qui ont réfléchi au cours de ces dernières années au potentiel de l’apprentissage automatique – ou deep learning – en matière d’archéologie. Entraîné à détecter des sites archéologiques déjà connus sur des images satellitaires couvrant une zone de 66.000 kilomètres carrés dans la plaine inondable du sud de la Mésopotamie, son algorithme a obtenu un taux de précision de près de 80 % lorsqu’il s’agissait de répondre à la question: « À quel endroit les archéologues devraient-ils fouiller ? »
« Notre objectif n’était pas de créer un système parfait, mais plutôt un système capable de sélectionner rapidement les endroits qui ‘ressemblent à des sites’, de sorte que l’expertise et l’énergie humaines ne soient pas gaspillées dans l’étude de zones extrêmement vastes, explique Luca Casini. Bien sûr, l’intervention humaine reste indispensable, de nombreux facteurs entrant en ligne de compte pour décider que ce qui ressemble à une petite colline sur une photo satellite est en fait un site archéologique. »
Depuis 2021, le projet Cultural Landscapes Scanner (CLS), né de la collaboration entre l’Institut italien de technologie, à Gênes, et l’Agence spatiale européenne (ESA), œuvre lui aussi à affiner la détection de sites par l’IA à partir d’images satellitaires. Prévu pour durer jusqu’à la fin de l’année 2024, CLS devrait communiquer ses résultats prochainement. Certains projets, néanmoins, ont déjà fait concrètement leurs preuves et conduit très récemment à d’extraordinaires découvertes.
Une myriade de nouveaux géoglyphes de Nazca
Le 23 septembre 2024, lors d’une conférence de presse organisée à l’ambassade du Japon à Lima, au Pérou, Masato Sakai, archéologue à l’université de Yamagata (Japon), annonçait l’une des plus grandes avancées de ces dernières années dans le domaine de l’archéologie précolombienne. « La recherche accélérée par l’IA a permis d’identifier 303 nouveaux géoglyphes de Nazca en six mois de travail sur le terrain « , lançait-il. Un chiffre qui donne le vertige lorsque l’on sait que depuis leur découverte il y a près d’un siècle dans le désert de Nazca, à 400 kilomètres au sud de Lima, 430 figures avaient été répertoriées. En somme, le nombre connu de ces mystérieux dessins tracés dans le sable il y a plus de 2000 ans par les Nazcas, civilisation pré-inca qui s’est développée entre le 3e siècle avant notre ère et la fin du 8e siècle, a doublé en quelques mois !
L’équipe de Masato Sakai, qui étudie la zone de 630 km2 depuis 2004, l’a photographiée morceau par morceau en haute résolution et en vue aérienne grâce à des avions et des drones. Elle a ensuite soumis ces clichés à un programme d’apprentissage artificiel mis au point avec IBM pour débusquer des tracés difficilement détectables par des yeux humains. Plus spécifiquement, pour identifier des géoglyphes figuratifs linéaires, c’est-à-dire représentant des animaux, des humanoïdes, des objets ou des plantes (d’autres motifs sont seulement des lignes ou des formes géométriques et sont dénommés géoglyphes géométriques). Hélas, l’IA n’est pas encore apte à percer le mystère de leur signification, l’un des plus grands qui subsistent aujourd’hui en archéologie.
Des vestiges sous le sable du désert saoudien
Fouiller des dunes est un véritable cauchemar pour les archéologues. D’abord parce qu’il est difficile de distinguer à leur surface des indices de présence de vestiges ; ensuite parce que creuser le sable renvoie au mythe de Sisyphe: presque aussitôt faits, les trous finissent par se remplir à nouveau. Par ailleurs, dans un environnement aussi extrême, les méthodes traditionnelles d’exploration par relevés de terrain sont fastidieuses et, hélas, souvent inefficaces. Le désert de Rub al-Khali (péninsule Arabique), le plus grand désert de sable du monde avec ses 650.000 kilomètres carrés, est donc un casse-tête archéologique.
Pour tenter de mettre la main sur quelques-uns des trésors qu’il recèle encore, une équipe de l’université Khalifa d’Abu Dhabi a développé une méthode d’investigation inédite: la combinaison d’une imagerie par radar à synthèse d’ouverture (SAR) – une technologie qui utilise des ondes radio pour détecter des objets dissimulés sous différents types de surface – et d’un algorithme de machine learning. La prospection a été concentrée sur Saruq al-Hadid, un site archéologique proche de Dubai (Émirats arabes unis) où des traces d’activité remontant à 5000 ans ont été découvertes.
L’algorithme a permis d’y localiser avec une précision de 50 centimètres de nouvelles zones d’intérêt qui n’ont pas encore été explorées, et a même pu générer des modèles 3D des objets enfouis. Ainsi, une véritable cartographie de structures architecturales, de céramiques et même d’artefacts métallurgiques a été obtenue sur une surface d’un kilomètre carré. Des fouilles devraient prochainement débuter pour sortir du sable ces trésors.
De probables tombes de rois dans les steppes eurasiennes
En 2019, à partir d’images satellite, des chercheurs des universités de Sydney (Australie) et de Berne (Suisse) ont exploité des réseaux neuronaux convolutifs (CNN) pour détecter des vestiges de l’âge du fer ancien dans les steppes de Russie, de Chine et de Mongolie, des régions difficiles d’accès en raison notamment de restrictions administratives et de conflits locaux. Contrairement aux méthodes d’apprentissage automatique classiques, les CNN exploitent les relations entre pixels adjacents, permettant de détecter des motifs subtils dans des images complexes.
Gino Caspari, archéologue et premier auteur de l’étude, a ainsi pu repérer ce qui ressemble à des tumulus funéraires encore non répertoriés, dont certains pourraient abriter la dépouille d’anciens rois nomades ayant régné il y a plus de 3000 ans. Bien sûr, seules des investigations sur le terrain permettront de confirmer ou d’infirmer la nature royale de ces reliefs.
D’autres champs d’investigation prometteurs
Si elle ne permet pas encore de déclencher systématiquement des fouilles dans les endroits où elle est exploitée, l’intelligence artificielle a dernièrement mis les archéologues sur plusieurs pistes qu’ils pourraient être amenés à suivre. Grâce à l’analyse automatisée de cartes lidar, des réseaux de fossés et des structures datant du néolithique ont été mis en évidence en Europe de l’Est et en Allemagne. De la même manière, l’Amérique centrale est une zone archéologique au sein de laquelle l’intelligence artificielle s’apprête à jouer un rôle considérable. Au cours de la dernière décennie, l’usage croissant des satellites équipés de lidar ont permis de révéler, sous la dense végétation de la péninsule du Yucatán (Mexique), au Guatemala ou encore au Belize, des dizaines de milliers de structures et traces d’aménagement du territoire liées à la civilisation maya.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinée, suivez Africa-Press