En Provence, l’autre royaume des dinosaures

9
En Provence, l’autre royaume des dinosaures
En Provence, l’autre royaume des dinosaures

Africa-Press – Guinée. Luc Ebbo est un paléontologue amateur qui fouille les terrains de Haute-Provence depuis quarante ans. Sa dernière découverte: un fossile très bien conservé d’un théropode juvénile, sans doute mort de faim il y a 120 millions d’années. Un spécimen unique en Europe.

L’adolescence est une période difficile. Sans doute encore plus pour un jeune dinosaure carnivore “qui a déjà besoin de beaucoup de nourriture mais qui n’a pas encore acquis toutes les techniques de chasse d’un adulte”, confirme Luc Ebbo, paléontologue amateur, mais reconnu, qui fouille les terrains autour de son village de Salignac, dans les Alpes-de-Haute-Provence, depuis près de quarante ans.

C’est ainsi qu’il a déniché, à quelque 30 kilomètres de là, sur la commune de Barret-sur-Méouge (Hautes-Alpes), le fossile d’un théropode juvénile, sans doute mort de faim il y a 120 millions d’années, avec son squelette encore articulé (complet à 70 %) et son crâne avec 95 % de ses petits os presque intacts. Un état de préservation qui en fait un spécimen unique en Europe pour ce groupe. D’autant plus qu’il s’agit d’un quasi-adulte, encore plus fragile. Après cinq années de préparation et d’analyses, le fossile a rejoint son écrin dans la Paléogalerie au sein de laquelle Luc expose quelques-uns de ses trésors.

Pour les dénicher, il faut des yeux “habitués à voir ce que les autres n’ont pas vu”, explique-t-il. Depuis le 18e siècle, les amateurs de fossiles débarquent, en effet, pour découvrir les merveilles du bassin vocontien, dans un paysage presque lunaire constitué de marnes argileuses. La plupart en reviennent avec des fossiles d’ammonites et autres organismes marins. Mais pour dénicher des restes de dinosaures, il faut un regard aguerri capable de distinguer à la surface des roches les structures jaunâtres caractéristiques des os de vertébrés, souvent pas plus grosses qu’une rognure d’ongle.

D’ailleurs, la constitution même de cette zone rend ces découvertes très improbables: depuis Marseille jusqu’à Grenoble, limité à l’est par les massifs des Alpes et à l’ouest par la vallée du Rhône, ce territoire correspond à un ancien bras de mer du paléo-océan qui régnait là, au crétacé inférieur, il y a 145 à 100,5 millions d’années. Une zone constituée à 100 % de dépôts d’origine marine, donc. Sauf que, de temps en temps, presque exceptionnellement même, des carcasses d’animaux terrestres y aboutissaient. Sans doute charriées par des rivières provenant des régions continentales ou même directement happées par la marée si elles gisaient sur les rives d’îlots ou d’archipels.

Des vertèbres profondes comme chez les oiseaux

Le petit juvénile retrouvé par Luc Ebbo est encore figé dans la position dans laquelle il est mort: enroulé sur lui-même à cause de la rétraction de ses muscles et tendons. Les oiseaux finissent aujourd’hui leur vie dans cette posture. C’est cette disposition compacte, avec la colonne vertébrale sertissant le reste du corps, qui a permis de préserver la presque intégralité des os. Et de raconter son histoire: celle d’un animal quasi adulte, comme en attestent ses structures vertébrales pas encore soudées, dont la carcasse a rapidement rejoint l’eau puisqu’elle n’a pas été charognée. En revanche, la dépouille a dû flotter un temps avant de couler. C’est pourquoi certaines des parties qui étaient immergées – le bout de la queue et les jambes – manquent: elles ont probablement été grignotées par de petits poissons. Une fois excavé et nettoyé, le fossile a rapidement été reconnu comme un théropode, un dinosaure bipède carnivore qui, à l’âge adulte, se serait développé pour atteindre la taille d’une autruche, environ 1 mètre de hauteur et 1,60 mètre de longueur.

Mais pour l’identifier avec plus de précision, Luc Ebbo a fait appel à Christian Foth, paléontologue allemand, qui examine depuis plusieurs mois les croquis et les scanners des os: “C’est très difficile d’étudier un juvénile car de nombreuses caractéristiques sont affectées par son degré de maturité. Il faut d’abord préciser son âge “, insiste-t-il. Au départ, il a été supposé que le théropode soit un lointain ancêtre du T. rex, qui a vécu bien loin de là et bien plus tard ; en Amérique du Nord, il y a 68 à 66 millions d’années. Il semble toutefois que ce lien de parenté soit un peu plus éloigné: il pourrait être un ancien représentant d’un autre groupe de gros dinosaures, celui des allosaures.

Il faudra patienter encore quelques mois pour avoir plus de renseignements sur son identité précise. Mais déjà, les premiers examens indiquent qu’au niveau des vertèbres, il possédait des ouvertures assez profondes, une caractéristique commune chez les dinosaures théropodes et les oiseaux. “Chez les oiseaux modernes, ces ouvertures sont associées à des sacs aériens qui font partie du poumon. Ainsi, ce spécimen nous indique que les dinosaures théropodes avaient probablement des poumons assez similaires à ceux des oiseaux modernes “, précise Christian Foth.

Marcher, toujours marcher en découpant le terrain comme lors d’une battue. Au fil des ans, Luc Ebbo a enchaîné les kilomètres et collecté des milliers de fossiles. Il en cède certains – ceux qui ont été retrouvés en de multiples exemplaires et qui ont moins d’intérêt pour ses archives – à des collectionneurs. Une activité qui, conjuguée aux revenus de sa galerie, lui a permis d’abandonner sa courte carrière d’instituteur de campagne. C’est en 2012 qu’il tombe sur la plus grosse pièce de son exposition: le fossile d’un ankylosaure, vieux d’une centaine de millions d’années. Ces dinosaures sont bien connus en raison de l’armure qui protège le dessus de leur corps. Ici, 95 % de cette dernière a été retrouvée ainsi que 70 % de son squelette, qui est complet jusqu’aux vertèbres cervicales. En revanche, le crâne a été perdu.

Luc Ebbo a dû endurer le soleil du midi en plein mois d’août pour dégager les morceaux du squelette au milieu desquels un pin et ses racines avaient eu la mauvaise idée de s’incruster. Afin de ne pas les abîmer davantage, le paléontologue a prélevé un bloc de roche de 2 mètres sur 2 mètres, divisé en plus petites portions de 50 cm sur 50 cm qu’il a transportées en sac à dos, sur plusieurs kilomètres. En tout, ce sont plusieurs tonnes de matériaux qui ont été déplacés. Une fois nettoyés, les os formaient un amas sans connexions qu’il a fallu référencer et réarranger afin de reconstituer le fossile. “Un travail qui a été particulièrement fastidieux pour ordonner les plaques de l’armure qui ont chacune une forme unique. C’était comme résoudre un puzzle de plus de 300 pièces, sans modèle, mais avec, heureusement, le concours d’un spécialiste des ankylosaures “, explique François-Xavier Blouet, technicien-préparateur en paléontologie, qui a besogné plusieurs mois dessus.

À Salignac, il trône désormais avec son armure dressée sur une arche métallique, un soclage qui relève autant de la ferronnerie que de l’orfèvrerie. Luc Ebbo attache d’ailleurs une attention toute particulière à la présentation de ses pièces: “La nature livre des objets qui portent une information scientifique à ne pas perdre, mais ils ont aussi une force artistique incroyable et il faut toujours allier les deux “, insiste-t-il. Un parti pris qui se lit dans l’arrangement des spécimens, qui s’affichent tantôt sur le substrat sur lequel ils ont été trouvés ou animés d’un mouvement presque naturel.


Des créatures marines côtoient des dinosaures terrestres

Durant ces pérégrinations, dans ce qui était autrefois le fond d’un océan, Luc Ebbo a réussi à dénicher les traces de deux autres dinosaures bien terrestres: le squelette partiel d’un second théropode, un abélisauridé, et le crâne d’un titanosaure de 8 mètres de long, une petite taille par rapport à ses cousins d’Amérique du Sud. Mais il eût été anormal de ne pas faire la part belle aux créatures marines dans la galerie: celle-ci s’ouvre sur une magnifique scène présentant une gigantesque ammonite autour de laquelle des centaines de plus petites ainsi que d’autres créatures marines ont été préservées, un véritable cimetière marin qui a nécessité plus de 6000 heures de préparation.

Un peu plus loin, c’est une autre immense créature qui trône: un ichtyosaure de 5 mètres de long avec sa longue tête enroulée vers le bas et tournée en direction du corps. Ce reptile marin est sans doute l’un des plus complets retrouvés pour la période du crétacé, et bien que le bassin vocontien corresponde à une ancienne mer, y trouver des fossiles de gros vertébrés marins “reste tout de même rarissime”, se réjouit Luc Ebbo.

Après les dinosaures et les ichtyosaures, il compte maintenant consacrer une bonne partie de son temps à préparer le bon millier de pièces qu’il possède déjà et parmi lesquelles il espère dénicher des crocodiles marins, autres anciens habitants de ce milieu, qu’il mettra en avant lors de prochaines expositions.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinée, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here