Entre le Cameroun et la Guinée équatoriale, une entente qui sent le soufre

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Entre le Cameroun et la Guinée équatoriale, une entente qui sent le soufre
Entre le Cameroun et la Guinée équatoriale, une entente qui sent le soufre

Africa-Press – Guinee Equatoriale. Alors que les deux voisins ont eu des relations tumultueuses ces dernières décennies, notamment à cause de la question migratoire, Yaoundé et Malabo ont signé, en mars 2023, un accord pour l’exploitation des ressources naturelles situées sur leur frontière commune. Le début du dégel ?

Le 17 mars 2023, à l’occasion de la 15e session de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) organisée à Yaoundé, le Cameroun et la Guinée équatoriale se sont engagés dans un projet commun d’envergure. Les présidents Paul Biya et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo ont signé un accord « pour la coopération dans l’exploitation des champs pétroliers et gaziers transfrontaliers […]. Cet engagement commun entre les deux chefs d’État est une parfaite illustration de la solidarité et de l’intégration sous-régionale », indique un communiqué publié par la présidence de la République du Cameroun.

Cette entente suit le protocole d’accord conclu en 2017, qui prévoit que les deux États exploiteront ensemble les gisements de gaz naturel dont regorgent les zones situées de part et d’autre de leur frontière maritime commune. Selon les estimations de Noble Energy, la compagnie étatsunienne à l’origine des découvertes dans cette zone, lesdites réserves s’élèveraient à 7 079,25 milliards de mètres cubes. « Le pétrole, dont 84 % des réserves sont la propriété du Cameroun et 16 % appartiennent à la Guinée équatoriale, fera aussi partie intégrante de la gestion des ressources », précise le chercheur camerounais Delmas Tsafack, interrogé par Afrique XXI.

L’accord du 17 mars 2023 est censé illustrer la bonne coopération entre Yaoundé et Malabo. Il reste que, ces deux dernières décennies, les rapports entre les deux pays ont été parfois tumultueux.

LA CRAINTE D’UN COUP D’ÉTAT

Le sujet le plus récent qui a divisé les deux voisins a été la question de la frontière terrestre. Soucieuse de lutter contre l’immigration clandestine et l’insécurité, la Guinée équatoriale a entamé en 2019 la construction d’un mur ainsi que de miradors sur sa frontière avec le Cameroun. Obiang Nguema a été accusé par les autorités camerounaises de n’avoir pas respecté le tracé de la frontière. La tension, qui commençait à monter entre les deux « pays frères », a été dissipée lors de la signature d’un accord de coopération transfrontalière de défense et de sécurité, conclu le 21 juillet 2020 à Malabo par les ministres de la Défense des deux pays. La construction du mur s’est arrêtée après qu’ils se sont engagés notamment à assurer de façon conjointe la sécurité sur leur frontière commune. « La prohibition de l’usage de la force entre les deux pays et la non-ingérence dans les affaires intérieures de l’autre » sont les autres engagements précisés dans le résumé du document.

Depuis de nombreuses années, le régime Obiang craint un coup d’État fomenté depuis l’extérieur. Deux tentatives de putsch ont renforcé cette conviction : le « Wonga Coup » de 2004 et le « Coup de Noël » de 2017. Le premier a été mené par le mercenaire britannique Simon Mann et financé en partie par Mark Thatcher, le fils de l’ex-Première ministre britannique Margaret Thatcher. À l’époque, des médias avaient accusé le Cameroun d’abriter un camp d’entraînement de mercenaires pour cette opération. En réaction, Yaoundé avait déclaré, par la voix de son ministre de la Communication d’alors, Jacques Fame Ndongo, que « le Cameroun n’a[vait] jamais servi et ne servira[it] jamais de base de déstabilisation d’aucun pays ».

En décembre 2017, un autre coup de force a été déjoué. Les commanditaires n’ont pas été identifiés. Mais l’on sait que les auteurs du coup ont séjourné au Cameroun, notamment près de la frontière avec la Guinée équatoriale, à Kye-Ossi, où ils ont été repérés et arrêtés par les services camerounais. Leur objectif était d’atteindre la ville de Mongomo, où tout le clan Obiang (les Essangui) se réunit chaque année pour les fêtes. Parmi les membre de ce commando figuraient des Tchadiens, des Centrafricains ou encore des Camerounais… L’un des « chefs » de la bande est un frère de Sani Yalo, un richissime homme d’affaires centrafricain très proche du président Faustin Archange Touadéra. Quelques jours après la découverte du complot, il a été arrêté à Yaoundé. Jugés par le Tribunal militaire de Yaoundé en mars 2022, vint-cinq des membres de la bande ont été condamnés à des peines allant de trente à trente-cinq ans de prison.

Obiang Nguema a accusé la Centrafrique et le Tchad d’avoir commandité et soutenu la tentative de coup d’État, et le Cameroun d’avoir été la base arrière des mercenaires. Le président centrafricain, Faustin Archange Touadéra, a dû s’expliquer. Feu Idriss Déby Itno a, quant à lui, évacué le problème assez rapidement en faisant condamner une vingtaine de Tchadiens impliqués dans cette affaire. Cette crise régionale a mis un coup d’arrêt au projet d’ouverture des frontières au sein de la Cemac, le président équato-guinéen estimant que les frontières étaient une question de survie politique autant que de sécurité nationale.

UN PAYS QUI FAIT DES ENVIEUX

Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est persuadé que tout le monde en veut à ses ressources naturelles (ce qui n’est pas entièrement faux). Si la production de la Guinée équatoriale a chuté ces dernières années – le pays est aujourd’hui le 8e producteur d’Afrique subsaharienne, le 11e du continent –, l’autocrate mise beaucoup sur le gaz pour se refaire une santé. Peu peuplée, la Guinée équatoriale a l’un des PIB par habitant les plus élevés d’Afrique (7 053,5 dollars US, selon le rapport 2022 de la Banque Mondiale).

À cette crainte sécuritaire s’est ajoutée la question des flux migratoires. La relation entre le Cameroun et la Guinée équatoriale s’est souvent tendue ces vingt dernières années du fait de la migration (essentiellement pour des raisons économiques) de nombreux ressortissants du premier pays vers le second. Les candidats à l’exil camerounais espèrent améliorer leur niveau de vie en travaillant dans ce pays riche en pétrole. Les opérations d’expulsions visant ces migrants (notamment en 2004, 2007, 2009 et 2015) ont été mal perçues par l’opinion publique camerounaise.

La dernière vague d’expulsion a eu lieu en octobre 2022, dans un contexte marqué par la préparation de l’élection présidentielle équato-guinéenne prévue un mois plus tard. Durant ce dernier épisode, les Camerounais en situation irrégulière ont été arrêtés et renvoyés dans leur pays dans des conditions que certains ont jugé inacceptables. « Le gouvernement équato-guinéen a fait ce que tout pays aurait fait : se protéger pour préparer les élections. Ce qui est regrettable, c’est que les expulsions ont été faites sans respect des droits de l’homme. Il y a des règles internationales d’expulsion, et la Guinée équatoriale ne les pas respectées », regrette Caroline Ngo Mbamseck Bayiha, une Camerounaise de la diaspora qui défend les droits des Camerounais chassés de Guinée équatoriale et milite au sein du parti d’opposition camerounais Peuple uni pour la rénovation sociale (PURS). « C’est ce qui me désole le plus. Il y a tous les outils juridiques et administratifs internationaux pour se faire respecter, il faut les connaître et les faire appliquer », ajoute-t-elle, précisant qu’il y a eu environ 2 200 Camerounais expulsés de 2021 à 2023, sur une diaspora qu’elle évalue à 18 000 personnes.

L’activiste en veut au gouvernement camerounais, coupable à ses yeux de n’avoir pas fermement pris le parti de ses ressortissants. « La direction des Camerounais de l’étranger au ministère des Relations extérieures doit faire son travail de sensibilisation et intervenir dans ce genre de cas. Cette direction a le devoir, comme les missions diplomatiques accréditées en Guinée équatoriale et ailleurs dans le monde, de protéger les intérêts des Camerounais et de leurs biens », estime-elle.

DES CRISES À RÉPÉTITION

Spécialiste de l’histoire et de la politique étrangère de la Guinée équatoriale et auteur d’une thèse sur ses relations avec le Gabon et le Cameroun, Delmas Tsafack tient à rappeler le contexte dans lequel est intervenu cet épisode. « Il faut aussi intégrer le fait que l’opération équato-guinéenne ne visait pas seulement les Camerounais, mais plusieurs ressortissants en situation irrégulière dans le pays. Je déplore juste le fait que certains Camerounais en règle aient aussi été victimes de ces expulsions », explique-t-il.

Durant cette crise, les autorités camerounaises ont opté pour le dialogue avec Malabo. « On peut être ferme sans violence ni brutalité, solution souvent privilégiée par le président Paul Biya », relève Barthélemy Elouna, un chercheur inscrit à l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric). Mais cela n’a pas toujours été le cas.

En mars 2004, le Cameroun avait réagit aux expulsions de ses citoyens en rappelant pour consultation son ambassadeur en poste dans la capitale équato-guinéenne. Dans le communiqué qui annonçait cette décision, le gouvernement expliquait son choix par une situation « contraire aux idéaux de solidarité et d’intégration sous-régionale » qu’il « s’effor[çait] de promouvoir dans ses relations avec les pays voisins et frères ». Les responsables de la mission diplomatique de Guinée équatoriale au Cameroun avaient en outre été sommés de s’expliquer auprès des autorités camerounaises.

« Il faut dire que Yaoundé a rarement réagi avec une telle vigueur depuis que les Camerounais font l’objet de telles mesures d’expulsion dans les pays voisins, commente à l’époque le journal camerounais Le Messager. Que ce soit au Nigeria, en Centrafrique, au Gabon ou en Guinée équatoriale, qui endosse le maillot jaune des expulsions de Camerounais depuis que le pays d’Obiang Nguema a fait une entrée fracassante dans le cartel des pays pétroliers. C’est dire que les graves exactions dont les Camerounais sont victimes dans un pays étranger, voisin de surcroît, ont fortement touché le gouvernement. » Certains observateurs s’étaient interrogés : la découverte du pétrole sur ses terres, en 1995, aurait-t-elle rendu la Guinée équatoriale arrogante avec son voisin ? Rien à voir, estime Delmas Tsafack. Le docteur en relations internationales préfère parler d’un « esprit d’émancipation » de Malabo « au sein de la sous-région ». Il ajoute qu’avec la découverte du pétrole dans le pays, celui-ci a revendiqué et obtenu des positions au sein de la Cemac, mais qu’il « voudrait être [mieux] considéré dans la sous-région ».

LA REVANCHE DE MALABO

Historiquement, la relation entre les deux pays est décrite par Delmas Tsafack comme « très fraternelle et amicale ». Le Cameroun a joué un rôle dans la décolonisation de l’ancienne colonie espagnole en accueillant certains de ses combattants pour la liberté. Après son indépendance, acquise en 1968, Yaoundé fut un soutien précieux du petit État (28 051 kilomètres carrés pour 1,6 million d’habitants, selon le rapport 2022 de la Banque mondiale). Le premier président équato-guinéen, Francisco Macías Nguema, au pouvoir de 1968 à 1979, voyageait souvent à bord de l’avion présidentiel camerounais. Certains enfants des dignitaires équato-guinéens sont nés dans des hôpitaux camerounais.

Avant l’exploitation du pétrole, la Guinée équatoriale était méprisée par ses voisins. Très pauvre, elle ne jouait aucun rôle au sein des instances régionales et continentales. Sous la sanguinaire dictature de Francisco Macías Nguema, le pays s’est coupé du reste du continent. Les Équato-Guinéens vivaient dans « un camp d’extermination à ciel ouvert », selon un diplomate onusien, sur le modèle de la Corée du Nord. Macías Nguema était un fervent lecteur de l’œuvre complète de Kim Il-song, le dictateur nord-coréen (1912-1994) – sa seule littérature, lui qui n’aimait pas les « intellectuels ».

Quand Teodoro Obiang Nguema Mbasogo prend le pouvoir par les armes, en 1979, et impose sa propre dictature, il se tourne vers le narco-trafic, selon plusieurs organismes, dont l’Observatoire géopolitique des drogues. Mais le véritable virage économique s’effectue à partir de la moitié des années 1990 avec la découverte d’hydrocarbures. Les pétrodollars propulsent le pays en position de force pour négocier des postes dans toutes les institutions (la Cemac, mais aussi la Banque des États de l’Afrique centrale).

L’accord de la mi-mars inaugure-t-il une relation plus apaisée entre la Guinée équatoriale et le Cameroun ? Delmas Tsafack ne le croit pas : « Ce n’est pas totalement un signe de détente. C’est juste une gestion au cas par cas des questions d’intérêt commun entre les deux pays. En signant ces accords, les deux pays ont pris l’option de la gestion concertée et donc de l’apaisement dans cette gestion. Les questions de gestion frontalière pourraient resurgir. Cet accord vient juste éviter qu’il y ait ouverture d’un autre front entre les deux pays », conclut l’universitaire.

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