« L’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe pour les 50 ans à venir »

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« L’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe pour les 50 ans à venir »
« L’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe pour les 50 ans à venir »

Africa-Press – Guinee Equatoriale. « Agenda 2063 : à la recherche du business model africain ». Vaste programme que celui choisi par l’Institut Aspen France présidé par Jean-Luc Allavena, en partenariat avec la Banque mondiale, à l’occasion des 14es Rencontres Europe-Afrique qui viennent de se dérouler (du 25 au 27 novembre) au centre des Pensières de la Fondation Mérieux à Annecy.

Jean-Luc Allavena, diplômé de HEC, a été au service direct du prince Albert entre deux postes dans la banque et l’industrie. Son parcours international riche lui permet de pérenniser les nombreux chantiers d’Aspen France qu’il préside depuis 2017.

« Initiative pionnière d’un dialogue solidaire entre les deux continents », ces Rencontres ont vu la participation de personnalités africaines et européennes de premier plan. Ex-directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, président du Forum de Paris sur la paix et membre du conseil d’administration de la Fondation Mo Ibrahim, Pascal Lamy a répondu aux questions du Point Afrique.

Le Point Afrique : En quoi est-il pertinent de réfléchir aujourd’hui au business model africain ?

Pascal Lamy :

Parce que je crois que c’est du développement des entreprises africaines que dépendra le gagnant de la course entre la démographie et l’économie.

Quel prérequis prendre en considération pour mettre en place des outils fiables et viables pour le développement de l’Afrique ?

Je reconnais volontiers qu’il y a des environnements réglementaires, juridiques et politiques qui sont plus ou moins favorables au développement des entreprises. Cela dit, dans le cas africain, je crois que c’est une erreur de penser que ce sont des prérequis absolument indispensables. Mon expérience me dit que le développement du tissu d’entreprises ne se fait pas de manière mécanique mais de manière beaucoup plus organique. Je connais pas mal d’endroits en Afrique où les entreprises se sont développées sans les prérequis que j’ai appris à l’école. Il faut changer notre regard sur ce processus, faire davantage confiance aux entrepreneurs et ne pas toujours faire confiance aux théories.

Quand je dis prérequis, je pense à une approche différente, à un regard différent qui tienne compte des éléments culturels et sociaux locaux dans l’économie…

Là, on n’est pas d’accord sur la notion de prérequis. Pour moi, « prérequis », cela signifie des conditions sans lesquelles l’économie ne se développe pas. Je constate qu’il y a d’autres conditions que celles qu’on a classiquement enseignées dans la théorie du développement.

Quels leviers mettre en œuvre pour créer un environnement le plus inclusif possible en Afrique ?

Dans ce domaine, je me replie sur des recettes classiques. Si « environnement plus inclusif » est perçu au sens social du terme, les deux clés sont, d’une part, l’éducation, et, d’autre part, des systèmes de réduction de l’insécurité sociale. Cela suppose des ressources publiques qui ne peuvent être assises que sur la croissance de l’économie et en particulier du secteur formel. C’est très difficile de prélever des impôts ou des cotisations de sécurité sociale sur le secteur informel par définition. Donc cela renvoie à la question de la fiscalité et des prélèvements obligatoires.

Ex-premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou, président de la banque d’investissement Southbridge, a une analyse très recherchée des problématiques économiques africaines.

Pour l’éducation, c’est un peu différent parce que l’expérience montre qu’il y a des mix de systèmes d’éducation publics et privés et que le coût de l’investissement étatique collectif, régalien dans l’éducation, est très lourd alors que, dans un certain nombre de pays, que cela soit en Afrique de l’Est, en Afrique de l’Ouest ou en Afrique australe, on a vu des systèmes d’enseignement privé se développer dans de bonnes conditions.

Quelles méthodes préconiseriez-vous pour bâtir en Afrique des institutions politiques auxquelles les populations adhéreraient avec moins de retenue qu’actuellement ?

C’est diplomatiquement dit ça (rires) ! Malgré tout ce que j’ai dit sur la confiance qu’il faut accorder au développement organique de l’entrepreneuriat, même si dans certains cas cela se fait en dépit, contre ou à côté d’institutions politiques parfois fragiles, il reste que le cadre politique compte, et là, les réponses à votre question résident dans les progrès de la démocratie, le meilleur système pour légitimer l’existence de pouvoirs politiques qui soient là pour organiser la cité. Et la démocratie elle-même implique de la bonne gouvernance, le respect des constitutions, la lutte contre la corruption, en gros tout ce que nous faisons à la Fondation Mo Ibrahim, qui, comme vous le savez, est dédiée au progrès de la bonne gouvernance en Afrique. Elle publie tous les deux ans maintenant cet indicateur très fouillé, qui permet de voir où ça va mieux et où ça va moins bien et qui récompense, quand il y a suffisamment de candidats, des chefs d’État qui se sont comportés conformément aux canons de la bonne gouvernance, par exemple quand ils ont quitté le pouvoir en respectant leur Constitution. En gros, on revient à l’idée de démocratie.

Je pense que les populations adhèrent à des systèmes politiques qu’elles peuvent reconduire quand cela va bien et renvoyer quand cela va mal. Quand les populations ont le sentiment que ce sont elles qui légitiment le pouvoir, elles y adhèrent ; quand elles ont le sentiment que ce sont d’autres qui détiennent le pouvoir, le prennent, le conservent ou l’utilisent pour eux, il est assez normal qu’elles se sentent beaucoup plus détachées.

Quelle fiscalité mettre en place pour permettre aux États de remplir au mieux leur mission de service public en tenant compte des spécificités politiques, économiques et sociales du continent ?

Qu’est-ce qu’une mission de service public ? Là, il y a un choix de périmètre à faire. Je pense qu’on est tous d’accord sur le fait que cela commence par des fonctions régaliennes : la justice, la police, les armées, tout ce qui tourne autour de l’ordre public au sens de la sécurité des personnes et des biens ainsi que du bon fonctionnement de la règle de droit. Voilà pour le noyau commun à toutes les conceptions. Après, il y a des débats sur le fait de savoir si la collectivité va plus loin dans l’éducation, la sécurité sociale, l’économie, la santé ou la culture.

Spécialiste du numérique, présidente fondatrice de Janngo Capital, membre du conseil d’administration d’Aspen France, Fatoumata Bâ est très active dans le développement du nouvel écosystème économique de l’Afrique.

Dans tous les cas, il faut des ressources publiques et on sait que les systèmes africains sont aujourd’hui faiblement dotés parce que les prélèvements obligatoires rapportent peu et parce que l’économie formelle est insuffisamment développée. Et là, je reviens à mon point de départ : on ne peut pas tondre un œuf. Si on veut que les services publics, quelle que soit la conception qu’on a de leur périmètre, soient basés sur des ressources, il faut les prélever, et, là où vous pouvez les prélever, c’est dans le développement de l’économie, c’est-à-dire dans la croissance de la valeur ajoutée.

Cela ramène au problème du développement des entreprises et du secteur formel. Donc ce ne sont pas les ressources publiques qui créent l’économie, c’est l’économie qui crée les ressources publiques. Je pense donc qu’il faut prendre les choses dans le bon sens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, inévitablement, la séquence qui consiste à passer du secteur informel au secteur formel est longue parce que c’est souvent dans le secteur informel que naissent des initiatives entrepreneuriales, et il faut leur laisser le temps de se développer. Et porter attention à ce que le business model » ou le « market model » africain a de spécifique, comme nous le faisons au forum Aspen Afrique-Europe.

Quelles sont les tailles des marchés de référence ? Quelle est la bonne mise en capital-risque ? Les champions sont-ils des entreprises plurinationales, des entreprises régionales, des entreprises continentales ? Est-ce qu’elles ressemblent aux trusts américains du XIXe siècle ou aux chaebols coréens, aux empires japonais ou aux modèles européens plus décentralisés ? Il y a quelque chose de très spécial et qui, je crois, est utile à identifier pour mieux comprendre comment on peut s’appuyer davantage sur le développement des entreprises.

Éducation, santé, sécurité, économie : comment l’Afrique et l’Europe peuvent-elles jouer de leur complémentarité pour rééquilibrer leurs rapports et constituer un pôle important de la géopolitique et de la géo-économie mondiale ?

C’est aux Africains de dire si l’Europe est leur problème géopolitique ou géo-économique n°1. Ils ont aussi d’autres options. Par contre, ce que je sais, c’est que, pour l’Europe, l’Afrique est le problème géopolitique ou géo-économique n° 1.

Pourquoi dites-vous problème et pas solution ?

Parce que, quand on regarde les choses à long terme, on s’intéresse d’abord aux problèmes pour trouver des solutions. Les questions géopolitiques et géo-économiques doivent d’abord être aussi correctement identifiées que possible. Je commence par cela car il y a là une asymétrie. En gros, les Africains ont le choix de ce qu’ils considèrent comme leurs partenaires géopolitiques ou géo-économiques essentiels. Cela peut être la Chine ou les États-Unis. La réponse leur appartient, et pas à nous Européens, mais je pense que, pour les Européens, il n’y a pas de choix. Pour les cinquante prochaines années, l’Afrique est le sujet n° 1 de l’Europe sur le plan géopolitique ou géo-économique.

Bien sûr, la Chine, les États-Unis, la Russie sont importants pour l’Europe. Mais je crois qu’ils ne sont pas plus importants que l’Afrique. C’est sur ce constat qu’il faut rééquilibrer, redresser, refonder ce que l’on appelle maintenant, et à juste titre, le partenariat. Un partenariat, cela consiste à identifier qu’on a des problèmes communs et à décider de les traiter ensemble, au moins en partie. Quand vous regardez la liste des problèmes d’avenir de l’Europe et la liste des problèmes d’avenir de l’Afrique, ce sont souvent les mêmes. Ça commence par la transition écologique ; ensuite, cela passe par la démographie, puis les défis de la digitalisation et les questions de sécurité.

Comparer nos réponses à ces défis d’avenir et trouver un accord pour des solutions communes est un paradigme totalement différent du précédent qui consistait à se demander comment on va aider ces pauvres Africains à se développer parce que la colonisation y est pour quelque chose et parce que, si cela ne marche pas, on va avoir un problème. Cette révolution copernicienne est tout l’enjeu du prochain sommet Union européenne-Afrique au mois de février prochain à Bruxelles, à supposer que la Covid prête vie à ce sommet, ce que j’espère.

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