Africa-Press – Guinee Equatoriale. Sursauter face à un serpent, être attiré par l’odeur de pain chaud devant les boulangeries, ou encore se décaler de quelques mètres en passant devant la fromagerie du coin. Les odeurs guident souvent nos réactions. Mais comment ces réactions sont-elles modifiées dans la dépression ?
La dépression est une maladie qui se caractérise, entre autres, par une tendance à percevoir de façon excessivement négative les stimuli sensoriels, comme les odeurs, et de manière générale les situations de la vie quotidienne. Une équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec des psychiatres du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, de l’Inserm et du CEA ont observé les modifications d’une région du cerveau induites par la dépression.
Leurs résultats, publiés dans la revue Nature-Translational Psychiatry en septembre 2024, alimentent la recherche fondamentale en neurosciences, et pourraient aider à mettre au point de nouveaux médicaments pour les 30% de patients résistants aux traitements antidépresseurs classiques.
L’amygdale, système d’alertes du cerveau
Face à des éléments visuels, auditifs, olfactifs ou gustatifs, “la première réaction de notre organisme est de classer le stimulus, explique Mariana Alonso, chercheuse à l’Institut Pasteur. Le cerveau va par exemple classer une odeur comme plaisante ou déplaisante, avant même d’identifier qu’il s’agit de l’odeur de la cannelle.”
Cet ajout d’une valeur positive ou négative à un état émotionnel, ou à un stimulus, est appelé “valence émotionnelle”. C’est l’amygdale, une région cérébrale surtout connue pour son rôle de régulation face à des situations effrayantes, qui a la charge de cette valence émotionnelle, et détermine en premier lieu si les stimuli sont plaisants ou déplaisants.
La perte de plaisir, la sensation de négativité dans son interaction avec l’environnement sont des symptômes bien connus de la dépression. “Et sans plaisir, difficile d’avoir de la motivation, et donc de se mettre en action, poursuit le Dr Chantal Henry, psychiatre au GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, professeur à l’Université Paris-Cité et directrice de la Fondation Deniker. S’ensuit un cercle vicieux qui fait de la dépression une véritable maladie”. Au-delà de la tristesse, la chercheuse souligne l’importance d’étudier les mécanismes qui perturbent l’attribution de la valence émotionnelle lors d’épisodes dépressifs, et modifient chez les patients la perception globale de leur environnement.
“Il est impossible d’étudier la tristesse chez l’animal”
Pour la première fois, les chercheurs ont étudié les circuits neuronaux de l’amygdale chez les souris. “Il est impossible d’étudier la tristesse chez l’animal mais on peut évaluer l’attribution de la valence émotionnelle à des stimuli”, explique Chantal Henry.
Pour la première fois, les chercheurs ont étudié les circuits neuronaux de l’amygdale impliqués dans l’attribution de la valence dans un modèle de dépression chez la souris.
Les chercheurs ont mis au point un test de préférence olfactive, qui consiste à présenter des odeurs à une souris, et mesurer le temps passé sur la zone d’odeur. Les souris passent beaucoup plus de temps sur la zone quand l’odeur est plaisante, et fuient les odeurs déplaisantes. “Nous avons utilisé des odeurs de prédateurs pour les faire fuir, et des odeurs d’urine de femelle pour les attirer, décrit Mariana Alonso. On a remarqué que les souris déprimées réagissaient beaucoup moins aux odeurs associées à quelque chose de plaisant (urine de femelle) et évitaient davantage les odeurs déplaisantes (odeur de prédateurs), que les souris du groupe contrôle, non déprimées.”
Que se passe-t-il dans l’amygdale pendant une dépression ?
Pour comprendre ce qui se passe dans le cerveau lorsque l’animal est confronté aux diverses odeurs, le groupe de Mariana Alonso a observé les circuits neuronaux en action dans l’amygdale, afin d’étudier le degré d’activation de ces neurones.
“En observant les images du tissu cérébral des souris, on a vu une réduction de l’activité des neurones impliqués dans la perception agréable des stimuli positifs, et au contraire une suractivation de ceux responsables de la perception des stimuli négatifs chez la souris dite dépressive”.
Il y a donc bien une altération de l’activité neuronale des réseaux de cette région chez les souris déprimées, mais les chercheurs ne savent pas encore en expliquer les mécanismes. “On poursuit nos recherches pour tenter de comprendre pourquoi certains neurones associés à une émotion positive s’éteignent en cas de dépression”, ajoute la chercheuse.
Restaurer la valence émotionnelle
“Notre deuxième résultat montre qu’il est possible de restaurer l’activation des neurones liés à une valence émotionnelle positive”, dévoile Mariana Alonso. Pour contrôler l’activité des neurones de l’amygdale, les chercheurs ont utilisé une technique de chémogénétique.
“Le principe de cette technique est d’inoculer des vecteurs viraux, des virus qui n’ont pas la capacité de se propager, mais qui modifient le matériel génétique des neurones ciblés pour les rendre sensibles a certaines molécules chimiques”, explique la chercheuse.
Les chercheurs sont ensuite capables d’activer ces neurones grâce à une molécule. “La molécule joue un rôle d’interrupteur des neurones. De cette manière, on réussit à augmenter l’activité des circuit neuronaux impliqués dans la perception des stimuli positifs, poursuit-elle. Par contre, nous n’avons pas réussi à inhiber les neurones responsables de la perception des stimuli négatives.”
Une fois les bons réseaux activés, les souris mâles ne présentent plus de symptômes dépressifs, et réagissent positivement à l’odeur d’urine de femelle devenue à nouveau attractive.
“30% des patients dépressifs ne répondent pas aux antidépresseurs”
Sont-elles pour autant guéries de la dépression ? Difficile à dire, car il existe plusieurs types de dépression. “Il faut faire des progrès dans la différenciation des patients dépressifs en clinique humaine, cette étude pourrait contribuer à mettre en place de nouvelles approches pour le diagnostic de cette maladie”, poursuit Mariana Alonso.
“Aujourd’hui, 30% des patients dépressifs ne répondent pas aux traitements antidépresseurs classiques, affirme Chantal Henry, psychiatre. Est-ce que pour qu’une molécule antidépressive soit efficace, elle doit nécessairement restaurer la valence émotionnelle et corriger ce biais négatif ? C’est la question que nous posons avec cette étude.”
Les équipes de Mariana Alonso et Chantal Henry poursuivent leurs recherches chez les souris, et chez les patients dépressifs, et cherchent à voir si la restauration de la valence émotionnelle est une voie obligatoire à la guérison du phénotype dépressif.
En décrivant la fluctuation de l’activité neuronale de l’amygdale chez l’animal déprimé, leurs travaux ouvrent la voie à de nouvelles thérapeutiques contre la dépression.
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