Des Médicaments Contre le Cancer Découverts Dans… la Mer !

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Des Médicaments Contre le Cancer Découverts Dans… la Mer !
Des Médicaments Contre le Cancer Découverts Dans… la Mer !

Africa-Press – Guinee Equatoriale. Dans le hall d’accueil, on ne voit que lui, l’aquarium et ses lumières multicolores. Nous sommes à quelques kilomètres de Madrid, dans les locaux de Pharmamar, un laboratoire espagnol qui a choisi il y a 40 ans d’aller chercher dans les profondeurs sous-marines des substances anticancéreuses. Sur les murs de ses locaux immaculés qui se déploient sur près de 4000 m2, d’immenses photos d’organismes marins et des cartes du monde rappelant les lieux des expéditions (plus de 200 menées dans 35 pays en 40 ans) conduites sur toutes les mers et océans du globe.

Spécialisée dans la découverte de traitements anticancéreux d’origine marine, la structure est aujourd’hui pionnière dans son domaine et sa devise résume au mieux son ADN: « Inspiré par la mer, guidé par la science, motivé par les patients ». C’est donc à plusieurs mètres de profondeur sous l’eau que les plongeurs de Pharmamar vont chercher des échantillons d’organismes marins dont certains s’avèreront dotés d’une puissante action antitumorale.

« Tout est parti il y a 40 ans d’une hypothèse: celle de l’immense potentiel thérapeutique des fonds sous-marins »

« Tout est parti il y a 40 ans d’une hypothèse, détaille son fondateur, José Maria Fernandez Sousa Faro, chimiste (et plongeur), celle de l’immense potentiel thérapeutique des fonds sous-marins. Car si les océans recouvrent 70% de la surface terrestre, ils renferment 80% de la biodiversité mais demeurent encore peu explorés.” Le chimiste a donc suivi son intuition, fermement convaincu que les eaux profondes recélaient des substances thérapeutiques aussi importantes que la pénicilline ou la cyclosporine, isolées elles à partir de champignons terrestres.

Pour valider son hypothèse, le laboratoire a investi plus d’un milliard d’euros en recherche et développement (R&D) depuis sa création et s’est concentré sur les invertébrés marins. Une ténacité et des investissements récompensés puisque au final, la pêche au trésor a été plutôt bonne. Aujourd’hui Pharmamar possède trois molécules médicaments (trabectédine, ptilidepsine, lurbinectedine), toutes dotées de propriétés antitumorales puissantes, commercialisées dans plusieurs pays et utilisées face à différents cancers (ovaire, sarcomes – des tumeurs des tissus mous, myélome, poumon) auprès d’environ 150.000 patients à travers le monde.

Si la ptilidepsine (Aplidin) a été isolée entre 40 et 50 mètres de profondeur dans Aplidum Albicans, un animal marin en forme de sac appelé tunicier qui se trouverait uniquement dans les eaux d’Es Vedra (Baléares), les deux autres, la trabectédine (Yondelis) et la lurbinectédine (Zelpeca) proviennent d’une autre espèce de tunicier, Ecteinascidia Turbinata, plus facile d’accès (6 mètres), souvent présent sur les racines des mangroves, en mer des Caraïbes, le golfe du Mexique ou en Méditerranée.

Tout démarre à chaque fois en mer évidemment, mais à une seule condition: la validation des étapes administratives internationales autorisant les prélèvements réalisés selon le protocole de Nagoya, l’instrument d’application des dispositions de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). « Nous travaillons en amont avec des scientifiques et des plongeurs locaux pour la préparation des expéditions, environ cinq par an », précise Santiago Bueno Horcajadas, responsable scientifique des missions (et aussi plongeur).

« Nous ne savons jamais à l’avance ce que nous allons trouver »

Sous l’eau, les plongeurs récoltent précautionneusement de petits échantillons (environ 2 grammes) provenant de différents organismes marins: tuniciers, éponges, coraux mous, algues, a priori les meilleurs candidats pour ce qui constituera peut-être une nouvelle arme anticancer.

Une pêche qui s’effectue toujours à la main, afin de préserver l’environnement naturel. Une fois remontés à bord, « les prélèvements sont précisément identifiés avec leurs coordonnées GPS, le niveau de profondeur du recueil, photographiés pour un premier classement avant d’être conservés au froid dans une glacière », poursuit le responsable des missions. Autant de données qui seront plus tard à Madrid enregistrées dans la base de données, Nautilus, afin de pouvoir à tout moment établir la traçabilité totale des échantillons.

Une fois les glacières remplies à bord du bateau, les échantillons partent à Madrid pour y être conservés à basse température. Mais avant de savoir si les organismes marins récupérés possèdent des propriétés antitumorales, un travail colossal de chimie et de biologie s’imposera. « Nous ne savons jamais à l’avance ce que nous allons trouver, détaille Carmen Cuevas, responsable de la R&D. Les tests ont lieu au retour dans un premier temps in vitro sur des cultures de cellules cancéreuses pour détecter une éventuelle action antitumorale ».

« Il nous faut en moyenne analyser 10.000 échantillons pour aboutir à un seul essai clinique »

« Notre collection est unique avec plus de 500.000 échantillons, poursuit Santiago en ouvrant le grand congélateur. A l’intérieur, sur plusieurs niveaux, de petits bocaux colorés tous étiquetés disposant d’un code barre qu’il suffit de scanner pour interroger Nautilus. En cas d’activité antitumorale évaluée positive, chimistes, biologistes et ingénieurs (plus de 400 personnes travaillent au siège madrilène) prendront alors le relais pour conduire les différentes étapes d’analyse chimique et d’identification (fractionnement, purification, isolement) pour identifier cette fois le principe actif.

Restera encore à affiner la structure chimique précise, à l’atome près grâce aux outils de résonance magnétique nucléaire installé dans une pièce dédiée, avant d’en lancer la synthèse et démarrer les essais. Dans un premier temps chez l’animal (un rongeur et un autre animal selon les décisions des autorités réglementaires) puis chez l’humain en cas d’efficacité et d’absence de toxicité. « Le plus important n’est pas de tuer les cellules lors des essais in vitro mais de parvenir à réduire les tumeurs lors des tests précliniques chez les animaux », explique le fondateur du laboratoire.

En parallèle, d’autres chercheurs mènent des travaux visant à décrypter le ou les mécanismes d’action, pour savoir par exemple s’il peut être associé en combinaison avec d’autres molécules. ”Il nous faut en moyenne analyser 10.000 échantillons pour aboutir à un seul essai clinique”, précise Carmen Cuevas.

Les résultats de deux essais en cours de phase 3 très attendus

En ce début 2025, ce sont les résultats de deux essais en cours de phase 3, Lagoon et IM forte, qui sont attendus avec une grande impatience par l’équipe. Ils concernent plusieurs centaines de patients à travers le monde et sont menés sur plusieurs centaines de sites (dont l’institut Gustave Roussy à Villejuif).

Menés face à une certaine forme particulièrement agressive de cancer du poumon (15% des cas), celle dite des cancers « à petites cellules » (en anglais Small Cell Lung Cancer – SCLC), ils reposent sur les propriétés de la lurbinectedine, une molécule ayant déjà reçu en 2020 le feu vert de la Federal Drug administration dans le traitement dit de 2e ligne du SCLC, c’est-à-dire après l’échec des sels de platine prescrits eux en première intention. Les résultats présentés lors de conférences internationales comme le congrès américain Asco ont présenté des chiffres de survie globale moyenne de près de neuf mois supplémentaires.

Déjà disponible dans 17 pays, la molécule est utilisée seule ou aussi en association avec une immunothérapie (atezolizumab, Tecentriq, laboratoires Roche, Jazz Pharmaceuticals) comme dans les deux essais en cours suivis de très près par les équipes.

« Ces résultats sont très importants car ils conditionneront la distribution de la molécule sur le marché français », précise Maxime Jacob, le directeur de la filière française de Pharmamar. En fait, les indicateurs sont déjà au vert, mais reste à savoir quelle en sera l’appréciation précise de l’Agence Européenne du Médicament sur le positionnement de la molécule en seconde ligne du traitement de ces cancers. Patience donc, une qualité essentielle chez les pêcheurs.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinee Equatoriale, suivez Africa-Press

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