Des neurones dans votre ordinateur ?

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Des neurones dans votre ordinateur ?
Des neurones dans votre ordinateur ?

Africa-Press – Guinee Equatoriale. Un segment blanc en guise de raquette, un pixel pour une balle. C’est une partie de Pong, le tout premier jeu d’arcade sorti en 1972… Mais en 2021, ce n’est pas un joueur humain qui manipule le curseur, ni même une intelligence artificielle… C’est une intelligence organoïde (IO), c’est-à-dire un petit amas de neurones dans une boîte de Pétri, connecté par une électrode à l’ordinateur sur lequel le jeu tourne. Une anecdote de laboratoire ? Non, les prémices d’une nouvelle forme d’informatique, dans laquelle les processeurs électroniques et les systèmes mémoires seraient remplacés par des organoïdes cérébraux, des cultures en trois dimensions de tissus du cerveau.

Ces organoïdes sont obtenus en reprogrammant des cellules humaines de la peau en cellules souches dites induites, qu’on sait guider vers différents destins cellulaires : non seulement des neurones, mais aussi de la microglie et des astrocytes, cellules cérébrales essentielles pour entretenir et protéger ces derniers. Avec le bon cocktail de signaux moléculaires, les cellules souches induites produisent des amas de quelques milliers de cellules – moins de 100.000 – organisées en couches. Ils frôlent alors le demi-millimètre de diamètre, pour les plus grands.

Cependant, ces cultures de pointe ne suffisent pas seules à créer une nouvelle informatique. Il faut engager dans l’aventure d’autres disciplines, exploiter d’autres technologies émergentes. Par exemple, un nouveau type de dispositif électronique permettant à ces organoïdes de recevoir et de transmettre des informations. En 2018, des biologistes des universités de Louvain, en Belgique, et Johns Hopkins, aux États-Unis, ont conçu des électrodes souples en forme de cage qui englobent les cultures 3D.

Non seulement elles délivrent l’activité électrique indispensable au développement des organoïdes – un cerveau, même immature, ne se développe que s’il travaille -, mais elles collectent les signaux électrochimiques produits en réponse. Or ces systèmes produisent de très grands volumes de données. Pour les interpréter, les biologistes veulent y associer des algorithmes d’intelligence artificielle (IA). “L’IA permettra d’explorer ce que l’IO pourrait faire” , résume Thomas Hartung, toxicologue à l’université Johns Hopkins et l’un des principaux promoteurs du concept. Mais tout cela reste encore théorique.

Perfuser les organoïdes pour les faire grossir

Pour développer cette informatique organique, il faut en effet changer d’échelle. Les plus grands organoïdes cérébraux peinent à atteindre la taille d’un cerveau de mouche. Comment les aider à grossir ? “En les perfusant , répond Thomas Hartung. Une technologie existe, mais elle n’a pas encore été transposée aux organoïdes cérébraux. C’est une première étape indispensable.”

En effet, si un neurone vient à manquer d’oxygène, et donc de sang, il meurt en quelques minutes. In vivo, le cerveau se forme avec un important réseau de veines et d’artères. In vitro, des systèmes microfluidiques, c’est-à-dire de canaux microscopiques, pourraient à la fois apporter les nutriments indispensables et aider à l’évacuation des déchets cellulaires.

Mais qui peut croire qu’un amas de cellules dans une boîte de Pétri est en mesure de rivaliser avec un cerveau humain, nourri d’expériences sensorielles et cognitives complexes par l’ensemble du corps ? Un article signé par Sergiu Pasca, de l’Université américaine Stanford, met en garde quant à l’utilisation des termes sensibilité, intelligence ou douleur. “Nous encourageons les auteurs à définir explicitement les activités cellulaires, y lit-on, plutôt qu’à les utiliser pour déduire que les organoïdes sont des corps doués d’apprentissage ou de sensibilité.”

“L’expression ‘intelligence organoïde’ fait écho à celle d”intelligence artificielle’, précise Harri Rheinallt Parri, neuropharmacologiste à l’Université Aston de Birmingham, au Royaume-Uni. Il ne s’agit donc pas d’intelligence au sens où nous l’entendons habituellement, mais de traitement de l’information. Les organoïdes sont de petits assemblages de cellules dotés de certains réseaux, mais ils ne reflètent pas la complexité du cerveau humain qui génère l’intelligence.” D’ailleurs, ils ne ressemblent pas à des cerveaux miniatures : 50 % des neurones d’un cerveau humain sont enrobés de myéline, ce lipide qui protège leurs prolongements – les axones – et améliore la transmission du signal nerveux. Dans les organoïdes cérébraux, ce taux peine à atteindre les 40 %, ce qui évoque les cerveaux immatures.

“En juin 2022, un super ordinateur a atteint une capacité de 1,1 exaf lop (capable de calculer 1,1×1018 opérations par seconde, ndlr) correspondant à celle du cerveau humain. Cette machine nécessite 10 mégawatts pour fonctionner alors qu’un cerveau humain n’a besoin que de 20 watts…” , souligne Thomas Hartung. Une parcimonie que l’intelligence organoïde veut exploiter, tout comme la faculté de raisonner à partir de peu de données. Les organoïdes joueurs de Pong ont achevé leur apprentissage en seulement cinq minutes… Moins qu’une IA.

Mais les organoïdes cérébraux ne sont pas envisagés uniquement en tant qu’ordinateurs. C’est tout un champ d’exploration du cerveau qui en espère beaucoup, notamment pour mieux comprendre les processus neurologiques normaux et pathologiques et tester de nouveaux médicaments. L’informatique organique bénéficiera elle aussi des avancées technologiques suscitées par ces recherches. Mais la perspective de faire raisonner des cultures de tissu cérébral en boîte soulève aussi un grand nombre de questions éthiques. Pour prévenir toute dérive, une quarantaine de chercheurs investis dans cette quête de l’intelligence organoïde ont signé la Déclaration de Baltimore. Celle-ci les engage à développer, au même titre que les progrès techniques, une réflexion éthique ouverte.

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