Désinformation sur la biodiversité : “Dans le contexte actuel de la COP16, ce genre de discours est un véritable danger”

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Désinformation sur la biodiversité : “Dans le contexte actuel de la COP16, ce genre de discours est un véritable danger”
Désinformation sur la biodiversité : “Dans le contexte actuel de la COP16, ce genre de discours est un véritable danger”

Africa-Press – Guinee Equatoriale. Depuis le 21 octobre et jusqu’au 1er novembre 2024 se tient la 16e conférence des États signataires de la convention sur la diversité biologique à Cali (Colombie). Alors que les Etats doivent publier leur stratégie pour réduire les destructions de la nature dès 2030, de nombreux discours continuent de véhiculer de fausses informations concernant l’état actuel de la biodiversité.

Philippe Grandcolas, directeur de recherche et directeur adjoint scientifique national pour l’écologie et l’environnement au CNRS, revient, auprès de Sciences et Avenir, sur les dangers de la désinformation en matière de biodiversité et d’écologie.

Sciences et Avenir: Comment la biodiversité est-elle évaluée scientifiquement aujourd’hui ?

Philippe Grandcolas: Des milliers de travaux sont parus sur la question de la biodiversité et combinent différentes approches. Plusieurs méthodes permettent d’étudier un pan de la biodiversité. Par exemple, certaines espèces sont suivies très précisément sur des données démographiques. On échantillonne de manière statistique les individus présents: les différents âges, les proportions mâles/ femelles, le succès reproducteur des adultes, etc.. Ce qui permet de connaître l’état de la population.

Ensuite, des modèles mathématiques formalisés, exactement comme pour la démographie humaine, permettent d’apporter une prédiction de l’évolution d’une population. D’autres populations issues d’autres espèces moins étudiées sont caractérisées de manière moins détaillée, mais permettant tout de même un diagnostic sur leur état et sur les risques d’effondrement ou d’extinction.

La plateforme internationale IPBES [plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, NDLR] fait une synthèse de cette littérature. On peut faire l’analogie avec le travail que fait le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NDLR] pour le climat, mais elle concerne alors la biodiversité et les services écosystémiques.

Cette plateforme rassemble des dizaines de scientifiques, de tous les pays qui ont accepté de travailler pendant quatre ans pour produire un rapport de plusieurs milliers de pages faisant état de la situation. En 2019, un rapport est paru à la suite d’une réunion plénière portant sur la crise de la biodiversité.

“Cette vision parcellaire pose plusieurs problèmes dont l’absence d’une vision écosystémique”
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) propose une catégorisation des espèces selon leur état qui s’appelle la Liste rouge. Elle a été récemment critiquée, notamment par rapport au découpage géographique des zones à protéger. En quoi est-il important d’avoir des indices de vulnérabilité à différentes échelles ?

Tout simplement pour les gestionnaires. Pour les autorités françaises, il est important de savoir quelles espèces sont en déclin de manière dramatique et où. Cela permet de mettre en place des plans de sauvegarde.

Dans l’espace public, certains discours problématiques ne prennent pas en compte la dimension écosystémique des populations. Les exemples cités sont le grand hamster, dont la survie est menacée en Alsace, mais dont le territoire s’étend jusqu’en Asie centrale. Ou encore le macareux moine qui se raréfie en Bretagne mais est toujours présent ailleurs en Atlantique.

Il y a une idée de “tant pis si cette espèce disparaît en France si elle se porte bien ailleurs”. Au-delà des soucis éthiques, cette vision parcellaire pose plusieurs problèmes dont l’absence d’une vision écosystémique et le manque de référentiel robuste.

“La diversité est une notion plus complexe que ce qu’il n’y paraît”

Pour le problème de référentiel, on pourrait faire un parallèle avec le climat. Ce n’est pas parce qu’il a fait frais en Bretagne cet été qu’on peut généraliser et nier le réchauffement climatique. La crise climatique s’exprime par des changements globaux de circulation atmosphérique. A l’échelle mondiale, on observe une augmentation des températures, un effet de serre. Pour en revenir à la biodiversité, ce n’est pas parce que les populations d’une espèce menacée augmentent à un moment donné que cette espèce n’est plus en danger. Un rebond momentané de certaines espèces peut avoir de nombreuses causes.

Parfois, ce sont des circonstances aléatoires, stochastiques. Aussi, le dérèglement climatique provoque des déséquilibres qui peuvent être favorables à certaines espèces. Et elles peuvent avoir un rebond démographique grâce à un plan de sauvegarde. Dans tous les cas, si vous regardez ces petites fluctuations, vous n’avez pas une vision de la tendance globale. C’est comme si vous regardiez la météo au jour le jour: évidemment, vous allez voir des fluctuations qui ne vont pas forcément toutes dans le sens d’un dérèglement. Mais lorsque vous regardez la tendance, vous allez voir qu’il y a effectivement une augmentation de la fréquence des aléas. C’est pareil pour la biodiversité: il est nécessaire de prendre de la hauteur.

De plus, cette vision essentialiste d’une espèce ne prend pas en compte la notion de diversité génétique. Au sein d’une espèce, il y a de la diversité génétique. Cela signifie qu’au sein d’une même espèce, une population n’est pas forcément l’égale d’une autre population. Sur une aire de répartition assez large, il peut y avoir des sous-populations qui sont assez différenciées. Donc, il y a un risque de perdre une partie importante de la diversité si une sous-population de grand hamster disparaît, et même s’il reste des grands hamsters en Eurasie. La diversité est une notion plus complexe que ce qu’il n’y paraît.

“Il y a aussi des informations qui font consensus dans la communauté scientifique”
Est-ce qu’on peut dire que la biodiversité en Europe ne décline pas ?

Non, justement. Au titre de la diversité génétique, de la richesse en espèces et de la structure des écosystèmes, la biodiversité en Europe décline. Bien sûr, on ne peut pas dire que toute la biodiversité décline, ni que toutes les espèces ont des problèmes génétiques, des problèmes de population ou des problèmes d’écosystèmes.

En sciences du climat, le discours n’est plus aussi naïf. On comprend que la température ou la pluviosité peut varier d’un jour à l’autre et d’un endroit à l’autre. Mais quand on parle de la biodiversité, on a plus de mal à voir le tableau global. L’idée n’est ni de se focaliser sur les mauvaises nouvelles, ni sur les bonnes. Il ne suffit pas d’utiliser des chiffres ou des moyennes de manière superficielle. Aujourd’hui, l’objectif est de réussir à avoir une analyse globale et intégrative de la situation. D’où l’importance de structures comme l’UICN ou l’IPBES qui publient des évaluations qui permettent de prendre du recul.

Cela dit, il y a aussi des informations qui font consensus dans la communauté scientifique et qu’il faut mettre en avant. On sait qu’on a beau essayer de les replanter, 20.000 km de haies disparaissent chaque année. Les zones humides se dégradent sans arrêt. On n’arrive pas à ralentir le cycle de l’eau. Et l’effondrement de populations de pollinisateurs dans de nombreux endroits commence à limiter des productions agricoles, même si certaines de ces espèces d’insectes pollinisateurs à large répartition eurasiatique ne sont pas à proprement parler en risque d’extinction.

“Il faut se méfier du cherry-picking”
Quelle serait, selon vous, la démarche à adopter pour lutter contre la désinformation en termes d’écologie et de biodiversité ?

La biodiversité est un bien commun. À partir du moment où on alerte sur une crise, c’est-à-dire un changement brutal global, c’est anxiogène, cela génère des frustrations et cela peut aussi cristalliser des conflits d’usages ou contrarier des opinions politiques dissonantes. En tant que scientifique, c’est donc plus difficile de parler de ces sujets sans être qualifié de militant politique, de décroissantiste, de bobo écolo, etc. D’autant plus qu’aujourd’hui le mot “écologie” désigne à la fois une science et puis une activité politique. Les deux sont respectables, mais elles ne sont pas de même nature.

Certains articles aujourd’hui essaient de convaincre qu’il n’y a pas de crise de la biodiversité en France en se focalisant sur des espèces bien visibles qui ont des rebonds de population, ou en oubliant la diversité génétique et le fonctionnement des écosystèmes. Il faut se méfier du cherry-picking [procédé de présentation des faits qui sélectionne uniquement les informations ou les exemples qui soutiennent un point de vue tout en ignorant ceux qui le contredisent, créant ainsi une représentation biaisée de la réalité, NDLR], surtout quand il est intentionnel et vise à de la désinformation. Dans le contexte actuel de la COP16, ce genre de discours est un véritable danger.

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