Fusion nucléaire, photosynthèse artificielle, biocarburants : énergies de demain ou de jamais ?

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Fusion nucléaire, photosynthèse artificielle, biocarburants : énergies de demain ou de jamais ?
Fusion nucléaire, photosynthèse artificielle, biocarburants : énergies de demain ou de jamais ?

Africa-Press – Guinee Equatoriale. Depuis des décennies, c’est le même refrain. On nous promet un nucléaire plus sûr et sans déchets, des systèmes capables de transformer l’énergie solaire en énergie chimique comme le font les plantes, des carburants neutres en carbone. Et des solutions existent, du moins dans la littérature scientifique. Alors, pourquoi ne sont-elles pas sur le marché ?

En matière de développement technologique, dire “eurêka” ne suffit pas. Entre une idée et son déploiement, le parcours est long, souvent sinueux, toujours incertain. Prenons la fusion nucléaire: on en parle depuis les années 1950. À l’occasion de la première conférence Atoms for Peace, en 1955, le physicien nucléaire indien Homi J. Bhabha l’assurait: “J’ose prédire qu’une méthode sera trouvée pour libérer l’énergie de fusion de manière contrôlée dans les deux prochaines décennies.” Soixante-dix ans plus tard, on n’a toujours pas “mis le soleil en bouteille” de manière industrielle.

Thierry Pussieux, directeur délégué à la coordination du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour le projet Iter instrument expérimental de fusion, explique: “Il a fallu imaginer les technologies capables de créer les conditions de la réaction thermonucléaire et de les maintenir dans la durée.” Tout en consommant moins d’énergie que la réaction n’en produit. Un tel système n’existe pas encore…

Fusion nucléaire

Contrairement à la fission nucléaire, qui casse les atomes, il s’agit de fusionner des atomes légers, des variants – ou isotopes – de l’hydrogène (deutérium et tritium) pour former des atomes plus lourds (de l’hélium) et des neutrons, c’est-à-dire de l’énergie. Pour cela, il faut créer un plasma, un état de la matière où les atomes sont très libres et peuvent s’entrechoquer pour fusionner. Il apparaît lorsque la matière est chauffée à 150 millions de degrés Celsius, c’est-à-dire lorsqu’on lui impose une très grande pression. Deux méthodes le permettent: le confinement magnétique – avec des machines appelées “tokamak” ou “stellarator” – et le confinement inertiel – où des lasers produisent des ondes de choc qui compriment la matière par inertie.

Le premier plasma d’Iter ne verra pas le jour avant… 2033

Le premier système de recherche à vocation de production énergétique était européen: Joint European Torus (JET), un réacteur par confinement magnétique installé à Abingdon (Royaume-Uni). En novembre 1991, il a produit la première fusion contrôlée de l’histoire de l’humanité. Elle a duré une seconde. En 1997, JET a battu ses propres records en produisant 22 mégajoules avec une réaction de 5 secondes. Le ratio entre l’énergie injectée pour produire le plasma et l’énergie générée par la réaction thermonucléaire était alors de 0,65 ; bien loin des résultats supérieurs à 1 indispensables à tous les systèmes de production énergétique.

Le meilleur ratio a été enregistré au National Ignition Facility (NIF) de Livermore (Californie), une installation militaire du département de l’Énergie américain. Il utilise le confinement inertiel pour produire la fusion. “Le NIF n’a pas pour vocation première de produire de l’énergie. Il s’inscrit dans le programme de dissuasion nucléaire des États-Unis”, précise Thierry Pussieux. Il a généré 1,5 fois plus d’énergie qu’il n’en avait reçue, par deux fois, en décembre 2022 et juillet 2023. Mais la réaction n’a duré que quelques milliardièmes de seconde…

Prochaine étape: Iter. Basée à Cadarache (Bouches-du-Rhône), cette installation de recherche rassemble 35 nations déterminées à construire le premier réacteur capable de produire une fusion pendant plus de 400 secondes, avec un ratio d’efficacité de 10. “C’est le premier du genre ! Et c’est là que réside toute la difficulté. Personne n’a jamais construit une telle machine”, insiste Thierry Pussieux. Le chantier, titanesque, connaît des retards, liés au développement technologique, à des pièces défectueuses, à l’assemblage de structures produites indépendamment, car chaque nation contribue au projet en fabriquant certains éléments. “Le génie des procédés, c’est-à-dire la science de la manière dont on rend possibles les choses, est souvent oublié”, analyse Claire Le Renard, sociologue à l’École nationale des ponts et chaussées.

Le premier plasma, initialement prévu en 2025, ne verra pas le jour avant 2033. Pour la production d’énergie à plein régime, la nouvelle échéance est 2036. Et les habitants de la région n’en verront pas un électron. “Ce n’est pas un démonstrateur de production énergétique, mais une installation de recherche visant à en prouver la faisabilité”, rappelle Thierry Pussieux. Ses données permettront à d’autres de démarrer les premiers démonstrateurs industriels, les “démos”.

En Chine, on devine sur les images satellite que les fondations du projet Best sont creusées. Au Royaume-Uni, la construction du démo Step est annoncée à West Burton à partir de 2030. Quant au programme européen, il a déjà un nom original !, Demo. Et les nations ne sont pas les seules à s’engager. “De très nombreuses start-up se lancent dans la fusion. Cela accélère les développements, mais les promesses avant 2050 ne semblent pas réalistes”, tempère Thierry Pussieux. Suivez son regard vers Commonwealth Fusion System, une entreprise qui a levé plus de 1,5 milliard d’euros auprès de Bill Gates et Google et qui claironne que la construction de son réacteur commercial débutera en 2025.

La feuille artificielle est restée un objet de laboratoire

“Fake it until you’ll make it” (“Faites semblant jusqu’à ce que ça marche”), dit l’aphorisme. Car en matière de développement technologique, les promesses n’engagent que ceux qui y investissent. Les supporteurs de la feuille artificielle de Daniel Nocera ne diront pas le contraire. Ce chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a fait les gros titres de la presse scientifique au début des années 2010 avec un système de photosynthèse artificielle.

Éric Puzenat, chimiste à l’Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon (IrceLyon), se souvient: “Il était très prolixe sur son concept, apportant de nombreuses explications théoriques. Mais quand on a essayé de reproduire ses expériences, on n’a pas obtenu les mêmes rendements.” Et la feuille artificielle de Daniel Nocera est restée un objet de laboratoire…

Le concept n’est pas enterré pour autant. Les promesses de la photosynthèse artificielle sont trop belles. Alors qu’un panneau photovoltaïque convertit environ 20 % de l’énergie solaire reçue, “avec la photosynthèse artificielle, il n ‘y a pas de limites physiques fondamentales, assure Yulia Pushkar, biophysicienne au Collège des sciences de l’Université de Purdue (Indiana). On peut très facilement imaginer un système efficace à 60 %, car il existe déjà un précédent avec la photosynthèse naturelle.” Mais de nombreux problèmes demeurent.

D’abord, la photosynthèse produit du dioxygène, ce qui oxyde les systèmes électroniques. Pour y remédier, il est possible d’évacuer rapidement les produits de la réaction, avec des membranes par exemple, mais cela réduit le rendement global. Autre écueil: la lumière. Contrairement aux plantes, les matériaux disponibles pour fabriquer des réacteurs de photosynthèse sorte de puces non pas électroniques, mais photochimiques n’utilisent pas la quasi-totalité du spectre lumineux. “La plupart de nos matériaux captent bien la lumière entre les UV et les longueurs d’onde de lumière bleue, mais avec de mauvais rendements, précise Éric Puzenat. On peut aussi utiliser des semi-conducteurs qui incorporent une plus large gamme de longueurs d’onde, mais dans ce cas, une partie de l’énergie est dissipée sous forme de chaleur ou d’onde acoustique.” Pour le spécialiste, “il faut une rupture, une découverte incroyable, très probablement de nouveaux matériaux ou composés”.

Et désormais, on doit penser à l’impact environnemental des innovations. “Aujourd’hui on prête attention à la disponibilité des éléments que l’on utilise, à leur facilité d’accès géologique ou géopolitique. Si l’on imagine déployer de la photosynthèse artificielle à grande échelle, il faudra de grandes surfaces, de grandes quantités de matériaux. Il est essentiel de l’anticiper”, admet Éric Puzenat.

Photosynthèse artificielle

Pour vivre, les plantes utilisent une énergie chimique produite par photosynthèse, en associant du CO2, une molécule d’eau et la lumière du soleil. La photosynthèse artificielle s’inspire de cette réaction. Il s’agit de produire une molécule contenant davantage d’énergie que les composés initiaux avec un mélange de CO2, d’eau et de lumière. En anglais, on résume ce procédé par l’expression “power to chemical”, la conversion de l’énergie en produits chimiques, faciles à stocker et à intégrer dans l’industrie, comme du méthanol ou de l’hydrogène.

Un premier vol transatlantique propulsé intégralement aux biocarburants

Les énergies de demain ne sont à l’évidence pas confrontées aux mêmes défis que celles d’hier. Elles doivent concurrencer les systèmes existants. C’est ce qui entrave l’arrivée des biocarburants dits “de troisième génération”, produits à partir d’algues ou de déchets organiques. Lorsque le prix du pétrole était à son maximum, en 2008, d’importants résultats scientifiques ont été établis. Le défi n’est plus là. “Techniquement, on y est”, résume ainsi Dorothée Laurenti, chimiste à IrceLyon. On sait même produire des carburants durables d’aviation, comme l’illustre le premier vol transatlantique (Londres-New York) propulsé intégralement aux biocarburants (à base d’huile de cuisson usagée), le 28 novembre 2023. Tout est prêt ? Non.

“Ces techniques coûtent très cher, reconnaît la chercheuse. Et si l’on prend en compte tout le procédé, on émet autant de CO2 qu’avec des énergies fossiles.” Jean-Paul Cadoret, spécialiste des microalgues, précise: “La réglementation et les financeurs imposent des normes très strictes quant à l’impact environnemental. Impossible de concurrencer le pétrole dans ces conditions.” Les nouveaux procédés doivent démontrer leur supériorité sur les fossiles sur tous les plans, y compris économique. “Produire, à partir de microalgues, des huiles à 30 ou 40 euros le litre pour les brûler, ça n’a pas de sens”, reconnaît Jean-Paul Cadoret.

“Une solution est d’exploiter les algues pour élaborer un produit à forte valeur ajoutée, comme un principe actif cosmétique, et d’utiliser le reste pour les biocarburants”, complète Dorothée Laurenti. De très nombreuses start-up se sont engagées dans cette voie. Les procédés de transformation demandent aussi à être optimisés. “Nous avons besoin de la volonté industrielle pour nous projeter dans les prochaines étapes du développement des biocarburants, tel le changement d’échelle”, souffle la chercheuse.

Les pétroliers sont en ligne de mire. Non seulement les biocarburants peuvent remplacer certains de leurs produits, mais ils leur empruntent aussi des infrastructures, comme à la Mède, près de Marseille, où TotalEnergies a reconverti une de ses raffineries en bioraffinerie. Ils présentent les biocarburants comme une clé de leur avenir. “Mais les industriels ne publient pas leurs résultats, donc ne sait pas trop ce qu’ils font. Est-ce qu’ils effectuent des recherches solides ? On n’en sait rien”, poursuit la chimiste. On peut se demander à quel point ces entreprises préparent vraiment la transition. Entre défis scientifiques et concurrences stratégiques, difficile de savoir quelles solutions aboutiront demain.

Biocarburants de 3e génération

Après les biocarburants issus des plantes cultivées à cette fin (première génération), après ceux qui utilisent les rares déchets agricoles (deuxième génération), la recherche mise tout sur les biocarburants de troisième génération, produits à partir d’algues ou d’autres micro-organismes. L’avantage des algues: elles sont riches en lipides – autant de réserves d’énergie – et se développent rapidement. Elles épargnent les terres agricoles, leur culture n’entrant pas en compétition avec le système alimentaire. Pour les transformer en carburants, il existe deux solutions: soit par digestion enzymatique, comme n’importe quelle forme de biomasse, pour produire du méthane ou d’autres composés énergétiques ; soit en détournant leur métabolisme pour qu’elles produisent elles-mêmes des molécules à haute valeur énergétique.

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