Millésime 2025: Grains de Raisin Alarmants pour la Vigne

1
Millésime 2025: Grains de Raisin Alarmants pour la Vigne
Millésime 2025: Grains de Raisin Alarmants pour la Vigne

Africa-Press – Guinee Equatoriale. Pour les viticulteurs, l’année 2025 constitue une sorte de repère temporel. C’est l’année où le changement climatique aura montré un impact maximum sur la vigne. Avec en cave, des conséquences prévisibles sur le goût et la qualité du vin. « On n’a jamais vu des grains de raisin aussi petits et avec des degrés de maturité très différents. S’il a fallu vendanger dans le bordelais dès la fin août, c’est parce qu’on a constaté des taux d’alcool très élevés dans la pulpe alors que la peau et les pépins, eux, n’étaient pas mûrs », témoigne Marie-Laurence Porte, œnologue au sein de la société Enosens. Les viticulteurs s’interrogent donc sur la qualité d’une récolte qui devrait par ailleurs être très peu abondante. D’autant que la météo de cet été 2025 sera de plus en plus fréquente dans les décennies qui viennent, selon les rapports du Giec.

Selon le bilan climatique de Météo France, 2025 se situe au 3ème rang des étés les plus chauds, avec une moyenne de 22,2°C. Dans la moitié sud de l’Hexagone, le déficit de pluie a été de 50% tandis qu’on a constaté un excédent d’ensoleillement de 10%. Deux canicules ont frappé la France, l’une exceptionnelle par sa longueur et sa précocité du 19 juin au 4 juillet, l’autre du 8 au 18 août. Au total, le pays a connu 27 jours de vagues de chaleur. Le seuil des 35°C a été atteint sur plus de 80% du territoire. Seule l’année 2022 avait « fait mieux » avec 33 jours de vague de chaleur. 2025 ressemble également beaucoup à 2003 et sa canicule exceptionnelle. Toutes les appellations vinicoles de France ont donc subi ces conditions exceptionnelles, mais le Bordelais en a particulièrement souffert du fait de son encépagement et de pratiques culturales anciennes peu adaptées à la nouvelle donne climatique.

Dans le Bordelais, le climat a déjà radicalement changé

Le célèbre vignoble a en effet connu un changement complet de conditions météo en moins d’un demi-siècle. Sur le site Inrae de Villenave d’Ornon en banlieue de Bordeaux, les chercheurs ont pu mesurer finement l’impact de ces variations météo sur la vigne. Ici, les ceps sont surveillés de près et les instruments de mesure objectivent les ressentis des viticulteurs et des œnologues. « Les baies de notre parcelle instrumentée ont été de 15 à 35% plus petites », confirme ainsi Agnès Destrac Irvine, ingénieur d’études au Centre Inrae de Bordeaux.

Les chercheurs n’ont pas constaté de précocité ou de retard au moment du débourrement (éclosion des bourgeons) ou de la floraison, mais c’est à la véraison, début août, dans cette période charnière où la peau du raisin prend sa teinte sombre, que tout s’est joué. Avec des sorts différents pour les deux cépages phares du bordelais, le merlot et le cabernet sauvignon. « Le merlot est précoce, aussi début août au moment de la canicule, il avait déjà effectué sa véraison, tandis que le cabernet sauvignon, plus tardif, était en plein murissement », poursuit Agnès Destrac Irvine. Résultat: le changement de couleur se bloque, la vigne en stress hydrique devant en priorité préserver son eau. Mais le rayonnement solaire continue son travail et le raisin se charge en alcool. En pleine canicule, les chercheurs ont ainsi enregistré une température de 52,4°C sur des grappes proches du sol. D’où des raisins mûrs mais avec des pépins et une peau qui ne sont pas à maturité. Or, ce sont dans ces parties que se trouvent les anthocyanes, ces molécules qui donnent son caractère tannique au vin.

Ce mûrissement incomplet aura des conséquences dans le chai. Plus que jamais, le vin se fait dans la vigne. « J’ai commencé ce métier en 2007 et à l’époque, la place de l’œnologue était à la cave, une fois la vendange rentrée, se souvient Marie-Laurence Porte. Aller goûter le raisin dans la vigne ne se faisait pas. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui ». Trop chargés en alcool, les raisins ayant subi une température et un ensoleillement plus intenses rendent lors des différentes étapes de la fermentation des arômes de fruits cuits et de saveurs « compotées » qui effacent les subtilités et les originalités émanant des relations de la plante avec le terroir argilo-calcaire du bordelais.

Le goût du Bordeaux se rapproche des vins californiens

« Tout se joue avec les composés organiques volatils (COV) », révèle Alexandre Pons, œnologue et chercheur en œnologie à l’Université de Bordeaux. Le vin libère plus de 15 000 de ces COV. Un peu plus d’un millier ont été identifiés dont une soixantaine seulement contribuent à l’arôme. Parmi les molécules repérées, certaines ont bien été prouvées comme responsable de ces saveurs indésirables. « Le furanéol donne des arômes de confiture de fraise, le massoia lactone des saveurs de figue, le nona-lactone de compote de pêche », donne pour exemple Alexandre Pons. Les organisations viticoles des vins de Bordeaux sont d’autant plus sensibles à ces évolutions qu’elles gomment ce goût qui fait le succès mondial de cette appellation. Depuis le début du 20ème siècle, les œnologues notent ainsi un « rapprochement sensoriel »: les bordeaux glissent vers les vins californiens de la Napa Valley. Ce sont en effet les mêmes cépages, mais au nord de San Francisco, ils sont soumis à des températures qui étaient il y a encore deux décennies bien plus élevées que celles de Bordeaux. Ce qui ne semble de moins en moins être le cas. Et rapproche les qualités organoleptiques des deux appellations.

Il faut donc chercher des solutions pour contrer ces impacts sur la typicité du vin. La parcelle instrumentée de Villenave d’Ornon est ainsi le cœur du programme « Vit’Adapt ». Ici, 52 cépages, 31 rouges et 21 blancs sont suivis depuis 2007, soit 2600 ceps étudiés à la loupe. Les dates de débourrement, de floraison, de véraison, y sont précisément notées, la résistance des différentes variétés à la sécheresse et aux températures élevées est décrite, l’évolution des teneurs en sucre et en acidité suivies, et des micro-vinifications permettent de caractériser le goût du millésime issu de la plante, de son sol, et de la météo. L’évolution des cépages bordelais y est ainsi caractérisée de la façon la plus objective possible, au-delà des connaissances empiriques – précieuses mais peu expliquées – des vignerons. « Nous voulons ainsi savoir pourquoi et comment la vigne réagit à des températures de plus en plus élevées pour anticiper les récoltes futures et préserver ainsi la qualité des vins tels qu’ils sont définis par les cahiers des charges de l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO) », poursuit Agnès Destrac Irvine.

Des « variétés d’intérêt à fin d’adaptation » commencent à être cultivées

Parmi les cépages étudiés figurent des variétés plus exotiques provenant d’Espagne, de Grèce, de Géorgie, de Bulgarie. Ces cépages, cultivés dans un climat méditerranéen plus chaud, pourraient constituer une solution d’adaptation au changement climatique. Ils pourraient en effet être utilisés pour diminuer les degrés d’alcool des moûts sans pour autant modifier les équilibres de l’assemblage traditionnel du bordelais entre merlot et cabernet sauvignon. « Ces variétés d’intérêt à fin d’adaptation (VIFA) sont désormais reconnus par l’INAO et les organismes professionnels comme une solution possible à l’évolution néfaste des récoltes actuelles et futures », explique Kees van Leewen, professeur de viticulture à Bordeaux Sciences Agro. L’Arinarnoa, le Castets, le Marselan, le Touriga nacional, commencent à être cultivés mais pour l’instant sur moins de 5% de la surface du vignoble et leur jus ne peut excéder 10% des assemblages en cuves. C’est l’une des pistes explorées pour garder au Bordelais son originalité.

A l’Inrae, on investigue également la voie des porte-greffes. Du fait de la présence du puceron phylloxéra dans les sols depuis son introduction accidentelle dans la deuxième partie du 19ème siècle, les cépages sont greffés sur des variétés résistantes à l’insecte. 31 variétés de porte-greffes sont utilisables en France par les pépiniéristes. « Il est possible de créer de nouvelles variétés plus résistantes à la sécheresse, mais c’est très long, assure Elisa Marguerit, chercheuse en viticulture à Bordeaux Sciences Agro. Aussi, nous avons décidé d’étudier plus précisément les qualités et défauts des porte-greffes actuels pour améliorer les critères de choix associant un porte-greffe à un cépage donné dans une région et un climat donné ». Le dispositif comporte ainsi 275 combinaisons de porte-greffes et cépages, ce qui en fait un lieu d’expérimentation unique au monde. Vingt-cinq porte-greffes étrangers tolérants à la sécheresse sont également étudiés.

Des températures toujours plus élevées vont bousculer des appellations connues dans le monde entier

Une dernière voie d’adaptation consiste à favoriser de nouvelles pratiques agricoles. Les méthodes de taille, la gestion de l’enherbement des rangs, l’agroécologie, de nouvelles techniques de gestion et d’enrichissement des sols ou des apports azotés foliaires et des biostimulants peuvent fortifier les plantes et les rendre plus résistantes face aux sécheresses. La difficulté, c’est que le changement climatique va trop vite pour cette plante pérenne, du moins dans le bordelais. « Jusque dans les années 1980, le raisin avait du mal à mûrir dans le bordelais aussi les vignerons plantaient jusqu’à 10 000 pieds par hectare pour avoir une protection grâce à la densité de végétal, avec des raisins près du sol pour bénéficier de sa chaleur. Tout ce qu’il faut aujourd’hui éviter », regrette Marie-Laurence Porte. Aujourd’hui, la grande question pour la profession, c’est l’irrigation. Faut-il arroser la vigne? C’est aujourd’hui interdit pour les parcelles de plus de trois ans. Mais cette année, les appellations « Lalande de Pomerol », « Pomerol » et « Pessac Léognan » ont demandé – et obtenu – le droit d’irriguer.

Le chamboulement climatique va donc trop vite pour les plantes pérennes en général, la vigne en particulier. Bordeaux en est l’exacte illustration avec son classement des grands crus datant de 1855. « Grâce aux nombreux capteurs et stations météo qui couvrent désormais densément le vignoble, nous pouvons créer des cartes de sensibilité à la sécheresse, raconte Kees Van Leewen. En faisant ce travail, nous nous sommes aperçus que les zones les plus chaudes sont celles de Pauillac, Saint-Julien, Saint-Estéphe en Médoc, de Saint-Emilion, du Sauternais. En 1855, c’était là que le raisin mûrissait le mieux, d’où leur place en tête de classement. Cette qualité d’autrefois pourrait devenir un grave inconvénient demain ».

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinee Equatoriale, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here