Africa-Press – Guinee Equatoriale. Hydrocarbures, alcools, acides aminés, sucres… L’analyse des météorites tombées sur Terre, mais aussi celle des comètes et des astéroïdes par les missions spatiales, révèlent en leur sein une grande richesse en composés chimiques dont certains constituent aujourd’hui le vivant. Des petits corps qui sont les vestiges de la formation du Système solaire et ont bombardé la jeune Terre en grand nombre. On peut donc imaginer que notre planète, née il y a 4,54 milliards d’années, a vite baigné dans une soupe de molécules…
Et puis, la première forme de vie est apparue. On n’en connaît à ce jour pas de fossile, mais la génétique permet de se faire une idée de ce qu’était Luca (Last Universal Common Ancestor), l’ancêtre commun le plus récent de tous les êtres vivants actuels. “Comment est-on passé de l’inerte au vivant, et en combien de temps ? s’interroge Moran Frenkel-Pinter, chercheuse à l’institut de chimie de l’Université hébraïque de Jérusalem. Comment des molécules simples ont-elles donné des molécules de plus en plus complexes qui ont finalement abouti à la vie ? Reproduire cette histoire en laboratoire est un défi.” Il s’agit en effet d’observer l’émergence d’une ou plusieurs propriétés du vivant, qui se caractérise notamment par une aptitude à se reproduire, à varier et à transmettre ces variations par l’hérédité.
Au 19e siècle, Darwin évoque déjà une chimie préalable à la vie. Puis, dans les années 1920, le biochimiste russe Alexander Oparine élabore le concept de “soupe primitive”. Il imagine que l’atmosphère terrestre est le siège de réactions chimiques conduisant à la formation de molécules organiques (composées majoritairement d’atomes de carbone et d’hydrogène) qui, déposées dans les océans, permettent alors la naissance de la vie. Un scénario qui sera testé en 1953 lors d’une expérience historique, imaginée par les chimistes américains Harold Urey et Stanley Miller.
Le principe en est très simple : pendant plusieurs jours, ils ont soumis de petites molécules, constituants probables de la soupe primitive – méthane, ammoniac, dihydrogène et eau – à de fortes décharges électriques, pareilles à des éclairs. Résultat : il s’est formé quatre acides aminés. Cette famille de molécules, ce sont les “briques” qui, une fois assemblées, constituent les protéines indispensables à tous les systèmes vivants…
“C’est une expérience fondatrice de ce qu’on appelle la chimie prébiotique, souligne l’astrobiologiste Louis d’Hendecourt, du laboratoire de Physique des interactions ioniques et moléculaires à Marseille. Mais Miller n’a jamais réussi à expliquer la formation de ces premières molécules, et n’a pas mené d’observations sur leur évolution ultérieure.” Par la suite, les recherches sur l’atmosphère de la Terre primitive montreront que celle-ci était constituée de gaz carbonique plutôt que de méthane, ce qui rend l’expérience beaucoup moins concluante.
La piste des métaux : le berceau de la vie, métallique et minuscule ?
Pour fabriquer de l’ARN, notre organisme assemble des molécules produites par différents cycles de réactions chimiques. Ces cycles nécessitent l’intervention de nombreuses protéines qui facilitent les réactions, les enzymes. Problème : aux origines de la vie, elles n’existaient pas. Alors, comment le premier ARN a-t-il pu se former ? À l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (Isis) de Strasbourg, Joseph Moran et son équipe ont tenté de se passer d’enzymes : “Pour jouer leur rôle de catalyseur, nous les avons remplacées par des métaux. Et nous avons réussi à faire fonctionner ces cycles, au moins en partie.”
L’équipe a en particulier utilisé du nickel, que contiennent à hauteur d’environ 10 % les météorites ferreuses. Celles-ci sont tombées en abondance sur la Terre primitive. L’apparition de la vie a donc pu être favorisée par des métaux tels le nickel, mais aussi le fer ou l’aluminium. “Cette chimie ne peut se produire que dans des environnements très spécifiques, qui présentent par exemple une variation allant de l’alcalin à l’acide, souligne Joseph Moran. Or cela n’est possible qu’à de très petites échelles, de l’ordre du millionième de mètre, voire moins.”
C’est à la surface des roches, dans de minuscules cavités, que ces réactions ont pu se produire. À ces échelles, les conditions globales jouent peu, ce qui aurait permis à ces réactions de se développer alors même que la jeune Terre subissait d’intenses bombardements. “Notre objectif est maintenant de créer des micro-environnements capables de fabriquer la totalité de ces cycles chimiques, conclut Joseph Moran. Mais réaliser cela à l’échelle nanométrique et analyser les molécules fabriquées dans d’aussi petits volumes est un très grand défi technique. Nous n’en sommes qu’au début.”
Micmoc 2.0
C’est dans la lignée des travaux de Miller que l’équipe marseillaise a conçu l’expérience Micmoc (Matière interstellaire et cométaire, matière organique complexe) visant à étudier en laboratoire la chimie de la glace interstellaire qui recouvre de minuscules grains de poussière regroupés en vastes nuages entre les étoiles. Sa composition chimique (eau, ammoniac, méthanol, monoxyde de carbone) était déjà connue. Les scientifiques ont fabriqué une glace semblable, puis l’ont bombardée avec un rayonnement ultraviolet pareil à celui émis par les étoiles. De nombreuses molécules organiques sont apparues, très semblables à celles retrouvées dans les astéroïdes et comètes.
Micmoc 2.0, qui débute, vise à aller plus loin. “Si l’on reproduit plusieurs fois de suite l’expérience de Miller, un état d’équilibre s’établit et les mêmes réactions chimiques se reproduisent indéfiniment. Ce que nous voulons, c’est que l’expérience ne soit jamais à l’équilibre, afin de forcer les molécules à toujours réagir entre elles pour en former de nouvelles plus complexes, ayant des propriétés semblables à celles que l’on trouve dans le vivant. Pour cela, nous faisons varier les conditions expérimentales. Sur la Terre primitive, de tels changements ont pu être causés par la chute d’astéroïdes ou de comètes. Quant à nous, nous rajouterons régulièrement des molécules au mélange.”
Problème : le processus a pu durer des millions d’années… Mais avec des concentrations de molécules plus élevées qu’aux origines – et un “facteur chance”, souligne Louis d’Hendecourt -, Micmoc 2.0 pourrait porter ses fruits. L’expérience doit en particulier permettre de tester un concept énoncé par deux chimistes, l’Israélien Addy Pross et le Français Robert Pascal : un milieu “abiotique” – c’est-à-dire sans forme de vie – peut obéir à une forme de “sélection naturelle” pour passer de l’inerte au vivant. Autrement dit, certaines des molécules apparues sont spontanément favorisées par rapport aux autres et peuvent se multiplier. Parce qu’elles sont plus stables dans les conditions de l’environnement à un moment donné (la température ou l’acidité, par exemple). Mais aussi, explique Louis d’Hendecourt, parce que certaines sont “autocatalytiques” : après qu’elles se sont formées, elles assistent la formation de leurs semblables, la rendant beaucoup plus efficace.
La piste des lipides : des cellules nées au fond des océans ?
De la bactérie à la baleine, toutes les cellules vivantes, qu’elles soient uniques ou constituantes d’un imposant animal, possèdent une membrane formée notamment de longues molécules, les phospholipides. “Sans cette membrane, la cellule ne peut pas survivre longtemps, car elle n’est pas protégée du milieu extérieur. De plus, à l’intérieur de celle-ci, il existe des compartiments, de même composition, qui isolent des processus chimiques vitaux”, explique Michele Fiore, chercheur à l’Institut de chimie et de biochimie moléculaires et supramoléculaires (ICBMS) de Lyon.
Les scientifiques ont mis au point depuis une vingtaine d’années un scénario de formation des phospholipides dans un milieu prébiotique. Une réaction chimique simple a pu tout d’abord se produire dans des régions chaudes (100 à 300 °C) de la Terre primitive, comme les sources hydrothermales, conduisant à la formation de molécules de lipides à partir de gaz comme le méthane ou l’éthane. “Ces molécules sont très stables dans les conditions hydrothermales. Leur formation puis leur utilisation pour former des membranes ont pu s’étaler sur des centaines de milliers d’années … , imagine Michele Fiore. Mais ceci est purement théorique.”
En 2017, le chercheur lyonnais et son équipe ont mélangé en laboratoire des lipides, un composé du phosphore et une molécule très simple et abondante dans l’Univers, l’urée. Résultat : “Des phospholipides se sont formés en quantité, et ce sans avoir recours à un catalyseur.” Certains se sont même assemblés pour former des vésicules, minuscules sphères enfermant au passage de l’eau et des molécules en solution. Un modèle évocateur de ce qu’ont pu être les premières cellules.
ADN ou protéines : qui est arrivé en premier ?
Cette notion d’autocatalyse est fondamentale dans tous les travaux menés sur les origines de la vie. Elle sous-tend une question : qui est arrivé en premier ? L’ADN – le support de notre code génétique – dont la formation nécessite l’intervention de protéines ? Ou les protéines, indispensables à la fabrication de l’ADN… mais qui, pour être fabriquées, nécessitent la “lecture” de ce code ? Pour résoudre ce problème de l’œuf et de la poule, une hypothèse a été avancée dans les années 1980 par le biologiste américain et prix Nobel Walter Gilbert : celle du monde ARN, pour “acide ribonucléique”, qui serait apparu le premier.
Dans le vivant, l’ARN est notamment l’intermédiaire qui permet de convertir notre code génétique, inscrit sur notre ADN, en protéines indispensables à la vie. Mais il possède aussi des propriétés catalytiques : il favorise certaines réactions chimiques. “Nos expériences ont par exemple montré que des fragments d’ARN de différentes tailles peuvent s’assembler pour créer de nouveaux fragments, plus grands”, explique Philippe Nghe, du laboratoire Biophysique et évolution à l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESCPI). Le graal serait l’apparition, dans ce mélange, d’un ARN capable de se copier lui-même… autrement dit de se reproduire. “Ce serait une première étape indispensable à l’évolution au sens de Darwin, qui signerait le processus d’apparition de la vie, imagine le chercheur. On tente de la réaliser en laboratoire. Mais on n’a pas découvert d’ARN qui présente cette propriété dans la nature aujourd’hui.”
Autre problème pour ce monde ARN : la complexité de cette molécule, dont la synthèse, dans le vivant, nécessite plusieurs étapes. Comment est-elle apparue ? Les scientifiques du domaine explorent des pistes originales : métaux jouant le rôle de catalyseurs, coopération entre ARN et protéines… et lipides protégeant ces premières réactions chimiques. “On est encore très loin d’avoir établi le continuum entre la chimie et la biologie”, souligne cependant Philippe Nghe. Près de soixante-dix ans après l’expérience de Miller, recréer de la vie en laboratoire reste un défi.
La piste des protéines : quand les molécules collaborent
La météorite tombée en 1969 à Murchison, en Australie, renferme pas moins de 70 acides aminés différents. Alors que le vivant n’en utilise que 22 pour la fabrication des protéines… Moran Frenkel-Pinter, chercheuse à l’Institut de chimie de l’Université hébraïque de Jérusalem (Israël), a voulu comprendre ce “choix”.
Au laboratoire, son équipe a comparé des acides aminés issus du vivant et d’autres présents seulement dans les météorites quant à leur aptitude à se lier entre eux pour former des chaînes de protéines. Elle a constaté que les acides aminés ayant une charge électrique positive – ceux du vivant s’assemblent de manière plus efficace. Une première sélection a pu ainsi s’opérer à partir de la matière inerte. Mais ensuite ?
“Sur la Terre primitive, tous les éléments nécessaires étaient présents pour former de l’ARN et des protéines. Chercher qui est apparu en premier ne me paraît donc pas la bonne approche. ARN et protéines ont très certainement cohabité, et même d’une certaine manière coopéré”, explique-t-elle. En 2020, son équipe a assemblé des acides aminés pour fabriquer des peptides (petites protéines), et observé dans un mélange leur interaction avec de l’ARN. Résultat : “La présence de l’ARN stoppe la dégradation naturelle des peptides dans l’eau. De leur côté, les peptides augmentent la stabilité de l’ARN”, explique la chercheuse. Des peptides fabriqués… sans eau. Des alternances de périodes sèches et humides ont en effet pu se produire sur la Terre primitive, favorisant tour à tour les protéines et l’ARN.
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