Quand l’Afrique se forme à la chirurgie de pointe

3
Quand l’Afrique se forme à la chirurgie de pointe
Quand l’Afrique se forme à la chirurgie de pointe

Africa-Press – Guinee Equatoriale. Du hublot de l’avion qui amorce lentement ses manœuvres d’atterrissage à l’approche de l’aéroport de Kigali (Rwanda), on pourrait presque compter une à une les mille collines verdoyantes de ce “petit” pays (21.000 km2, la superficie de la Bretagne), toutes reliées par des vallées aussi fertiles que scintillantes.

Le regard est néanmoins très vite attiré par un bâtiment aux lignes originales (voir ci-dessous) posé sur l’une de ces fameuses collines, dans le district de Masaka, à une trentaine de kilomètres du centre-ville de la capitale. Voici l’Institut de Recherche contre les Cancers de l’Appareil Digestif (IRCAD) Africa, une structure tout juste inaugurée le 7 octobre 2023 par le président Rwandais, Paul Kagame.

Sur plus de 5 hectares, le lieu se déploie sur 10.000 mètres carrés répartis en trois niveaux (un auditorium de 200 places, un bloc opératoire doté de 16 tables chirurgicales, des salles de réunion, une cafétéria….). Il prend enfin son envol tout en affichant déjà un objectif pour le moins ambitieux : devenir le centre d’excellence chirurgicale du continent en matière de formation et de recherche en chirurgie de pointe afin de tirer vers le haut la qualité des soins chirurgicaux.

Un lieu où apprendre la chirurgie mini-invasive

Dans la famille IRCAD, voici donc le 6e établissement de la lignée (voir encadré plus bas), la dernière déclinaison internationale du grand frère strasbourgeois né lui en 1994 à l’initiative du Professeur Jacques Marescaux, chirurgien digestif à l’origine de plusieurs premières mondiales de chirurgie dite mini-invasive*.

De quoi s’agit-il ? D’un abord privilégiant soit les voies naturelles (anus, vagin, urètre), soit la réalisation de mini-incisions pour, dans tous les cas, introduire dans le corps caméras et micro-instruments (endoscopes souples, aiguilles). Une pratique radicalement distincte de la chirurgie traditionnelle dite elle “ouverte” et beaucoup plus mutilante.

Dans l’Hexagone, l’IRCAD France forme aujourd’hui environ 8000 chirurgiens par an à ces techniques modernes (robots et endoscopes) présents dans la plupart des établissements de soins. Mais en Afrique, la situation est tout autre. Ici, l’abord dit “classique” – ouvert – avec son lot de complications (infections, douleurs, suites opératoires plus longues) y reste de mise, les techniques sophistiquées étant absentes de la plupart des systèmes de santé. Conséquence, le maniement des outils modernes demeure totalement étranger aux mains des chirurgiens qui n’ont jamais l’occasion de les utiliser.

“Nous disposons d’une trentaine de robots chirurgicaux à l’IRCAD de Strasbourg, il n’y en a deux en Afrique”, résume le Pr Jacques Marescaux. Soit l’un déjà disponible dans un hôpital du Cap (Afrique du Sud) et l’autre désormais ici, à Masaka, mais restant exclusivement destiné à la formation des chirurgiens et non aux soins. Pour cela, il faudra encore attendre que les budgets nationaux soient débloqués pour permettre aux hôpitaux et cliniques de s’en doter.

“Soyons clairs, poursuit, pragmatique, le chirurgien. Les industriels ont tout intérêt à diffuser rapidement leurs technologies. Car, si une complication survient, la rumeur dira toujours que c’est la faute du robot et non pas celle du chirurgien”. Conséquence, les ventes ne décolleront pas et l’image de l’industriel finira par en pâtir. D’où l’importance d’anticiper la maîtrise du geste de ces outils.

On l’imagine facilement, les besoins sont immenses, comme les attentes des jeunes chirurgiens. Pour cette première séance de formation à la chirurgie endoscopique qui vient de se dérouler début octobre, les inscriptions ont été clôturées en à peine 8 jours. Huit chirurgiens Rwandais et une vingtaine de leurs collègues venus d’une quinzaine de pays différents (Kenya, Cote d’Ivoire, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda, Zimbabwe…) se sont tous déplacés ici à Masaka.

Au total, 32 opérateurs formés par 12 experts internationaux, dont certains originaires d’Afrique, pour les accompagner et leur donner confiance dans leurs gestes. Le tout grâce au soutien financier des industriels de l’IRCAD (Medtronic, Karl Storz, Pentax, Intuitive Surgical ), autant d’ acteurs fournissant régulièrement le matériel (robot, endoscopes souples, écrans, matériel jetable…) nécessaire à la réalisation des interventions.

“Pas question de faire en Afrique des cours au rabais”

“Nous espérons former 500 chirurgiens par an”, chiffre le nouveau président de l’IRCAD Africa, le Dr King Kayondo. Et déjà les listes d’attente pour les formations futures s’allongent. “Pour les chirurgiens, ce sera toujours plus simple, plus sûr et moins cher de venir au Rwanda, les obtentions des visa pour l’Europe étant très aléatoires à obtenir”, renchérit le Dr Charles Nsengiyumva, gynécologue obstétricien rwandais exerçant à Strasbourg.

Le principe de la semaine de formation (dont la prise en charge financière est en totalité ou partiellement à la charge du chirurgien) est absolument le même qu’à Strasbourg : le matin des cours théoriques dispensés dans l’amphithéâtre et l’après-midi, au bloc, des séances de manipulations pratiques. “Toujours avec le même souci d’excellence qu’en Alsace, pas question de faire en Afrique des cours au rabais”, insiste le Pr Marescaux.

Exemple cet après-midi : mission gastrectomie, l’ablation de l’estomac, par voie laparoscopique, un geste pratiqué ici sur des animaux (seize cochons) anesthésiés et installés sur chacune des tables opératoires de l’immense bloc opératoire de 245 m2.

Plus tard, des pièces anatomiques, issues de cadavres, seront accessibles. Pour l’instant, autour de chaque animal endormi, un chirurgien senior et deux en formation, tous très motivés et ravis de découvrir de nouvelles procédures. Quant au compagnonnage, il est toujours bienveillant, basé sur la réassurance et l’encouragement.

D’autres spécialités (gynécologie, colo rectal, urologie, arthroscopie du poignet, neurochirurgie) seront rajoutées dans les semaines à venir. “Toujours prendre les experts reconnus par leurs pairs pour apprendre aux plus jeunes le meilleur geste”, répète à l’envie le Pr Jacques Marescaux. Car, en matière de chirurgie, “pas de mystère, poursuit le Dr Olujimi Coker, président de la Société de chirurgie laparoscopique du Niger, il faut pratiquer beaucoup, s’entraîner souvent”.

Ce chirurgien passé par l’université Sheffield (Royaume Uni) sait de quoi il parle. Quand il exercait Outre-Manche, il réalisait chaque semaine 5 à 10 laparoscopies, soit une petite ouverture de la paroi de l’abdomen pour observer l’intérieur de la cavité abdominale ou pelvienne. Au Niger, ce même geste se compte encore sur les doigts d’une main.

Un “quoi qu’il en coûte” made in Rwanda

Mais au fait, pourquoi et comment le Rwanda a-t-il pu s’offrir ce petit bijou de technologie ? Parce que son président Paul Kagame l’a voulu, décidé et financé. Tout a commencé en 2017 par un coup de fil direct à l’IRCAD France, Jacques Marescaux avouant lui-même qu’à l’époque, il ne croyait pas vraiment à l’aboutissement du projet. Mais c’était sans compter sur la ténacité présidentielle et le savoir faire du fils du chirurgien, Guillaume Marescaux.

Ce dentiste, présent dans le pays dès 2017 pour des missions humanitaires, a incontestablement su tisser des liens entre les nombreux acteurs du projet. Et ainsi renforcer la détermination inébranlable du président à importer dans son pays l’expérience alsacienne. Au-delà de l’ambition du plus haut personnage de l’Etat, il y a bien sûr eu le “quoi qu’il en coûte” made in Rwanda.

Le gouvernement a en effet largement contribué (près de 26 millions de dollars) au financement total (40 millions de dollars) de l’opération. Il a même promis de pérenniser son soutien financier et de l’adapter selon l’évolution future des besoins.

Sept ans après, le résultat est donc enfin sorti de terre et le rêve du président s’est réalisé. Tragique ironie de l’histoire et du calendrier : c’est bien ici, en 1994, alors que s’ouvrait en France le premier IRCAD, que s’est déroulé l’un des génocides les plus terribles du XXe siècle, le plus rapide (1 million de morts en 100 jours).

Près de trente ans après ce cauchemar, le pays, hier encore totalement chaotique, s’est incontestablement relevé, se projetant comme un futur Silicon Valley africain, avec néanmoins quelques cicatrices. Déjà, juste en face de l’IRCAD Africa, des chantiers de construction sont en cours et ont remplacé les champs d’avocat. Le drapeau chinois flotte sur les bâtiments tout proches destinés à loger les nombreux ouvriers et artisans mobilisés pour toutes ces constructions : hôpital, centre cardiologique de pointe, université, futur Kigali Health city, hubs technologiques…

Autant de projets d’envergure, tous voulus par Kagame, qui y voit la condition sine qua non de la stabilité politique. Une exigence qui se situe bien au-delà du degré de précision des mains des chirurgiens.

*2001, première intervention de téléchirurgie, une cholécystectomie (le retrait d’une vésicule biliaire) réalisée à distance, le chirurgien était à New York, la patiente à Strasbourg. En 2007, même intervention, mais cette fois par voie vaginale et sans inciser la peau, avec zéro cicatrice.

La famille IRCAD

Et de 6. Après Strasbourg (1994), Taïwan (2008), Sao Paulo ( 2011), Rio de Janeiro (2017) et Beyrouth (2019), voici la naissance du 6e IRCAD Africa. Quelque soit leur emplacement géographique, ces structures basées sur des fonds privés, proposent toutes une formation d’excellence au geste chirurgical en matière de chirurgie mini-invasive et mènent en parallèle des activités de recherche. Trois autres futurs membres de la famille IRCAD (Chine, Etats Unis, Inde) sont en préparation. Et pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer, il existe une alternative : Web Surg ( World electronic Book of surgery), une université en ligne gratuite crée en 2000 avec plus de 4000 vidéos (techniques chirurgicales, procédures) en libre accès.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinee Equatoriale, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here