Carioqa : l’échelle quantique appliquée à la masse gravitationnelle de la Terre

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Carioqa : l’échelle quantique appliquée à la masse gravitationnelle de la Terre
Carioqa : l’échelle quantique appliquée à la masse gravitationnelle de la Terre

Africa-Press – Madagascar. Prédire la prochaine survenue d’un séisme ou d’une éruption volcanique, évaluer les pertes de glace ou d’eau à l’aune du changement climatique… Ces défis scientifiques pourraient être relevés grâce à des instruments quantiques orbitaux actuellement à l’étude. Initiée en décembre 2022, l’ambitieuse mission de démonstration technologique Carioqa est entrée le 16 janvier “dans la phase A de faisabilité, explique Christine Fallet, chef du projet au Centre national d’études spatiales de France (Cnes). Pendant un an, nous allons non seulement étudier l’instrument mais aussi le satellite et le segment sol qu’il faut mettre en place pour cette mission. L’objectif est de mettre la mission en orbite avant la fin de la décennie, soit à l’horizon 2030.”

Un accéléromètre atomique pour la première fois à bord d’un satellite

Concrètement, la mission Carioqa PMP (pour Cold Atom Rubidium Interferometer in Orbit for Quantum Accelerometry – Pathfinder Mission Preparation) vise à embarquer, pour la première fois à bord d’un satellite, un accéléromètre atomique. Les accéléromètres font aujourd’hui partie de notre quotidien en mesurant par exemple, avec notre smartphone, notre nombre de pas effectués ou de kilomètres parcourus et la vitesse de déplacement.

Pour cela, ils mesurent en trois dimensions les accélérations linéaires d’un objet mobile. “Qu’il s’agisse d’accéléromètres classiques ou quantiques, le principe est le même: on mesure avec des capteurs de position les déplacements d’une masse-test au cœur de l’instrument de manière à en déduire l’accélération, explique Thomas Lévèque, responsable de l’instrument Carioqa au Cnes. Dans les accéléromètres classiques, cette masse-test est une masse macroscopique, un petit cube en métal par exemple. Pour les accéléromètres atomiques, dits quantiques, le rôle de cette masse-test est joué par un gaz d’atomes de rubidium ralentis dans une enceinte à vide par des faisceaux laser. Ils sont ainsi extrêmement refroidis jusqu’à quelques picokelvins au-dessus du zéro absolu.” Cette petite boule d’atomes “congelés” va alors se comporter de manière parfaitement balistique, soumise uniquement à la force gravitationnelle et va jouer à l’échelle nanoscopique le rôle du petit cube de métal, dont on pourra mesurer l’accélération grâce aux ondes de matière associées aux atomes – selon les lois de la mécanique quantique.

Au centre, nuage d’atomes de rubidium refroidis par laser à quelques dizaines de microkelvins, piégés dans un champ magnétique. Crédits: Paul-Eric POTTIE/LPL/CNRS Photothèque

Carioqa, c’est aussi aujourd’hui un consortium scientifique de seize partenaires européens de cinq pays différents, ainsi que des industriels, financé en grande partie par la Commission Européenne dans le cadre du programme Horizon 2030. C’est aussi l’occasion de valoriser l’expertise académique mondiale développée dans les laboratoires français et dans une moindre mesure allemands. Une excellence qui explique pourquoi l’Union européenne s’est naturellement tournée vers les agences spatiales de ces deux pays, le Cnes et le DLR, lorsqu’elle a décidé de faire du quantique une priorité européenne.

Concevoir un instrument spécifique aux conditions spatiales

Mais avant de réaliser des prévisions sismiques fines, le chemin sera long. “Aujourd’hui, les accéléromètres quantiques fonctionnent bien au sol, indique Thomas Lévèque. Ces instruments sont produits de manière industrielle depuis une dizaine d’années et sont utilisés au sol pour la géophysique, par exemple. Mais pour utiliser cette technologie dans l’espace, il faut concevoir un instrument compact pour une plate-forme satellitaire. Il faut que les composants soient compatibles avec l’environnement spatial, les vibrations, les chocs, les radiations et les variations thermiques.” Autre écueil à contourner: sur terre, les micro-cubes de nos smartphones et les boules d’atomes frigorifiés des accéléromètres quantiques sont soumis à la gravité. Mais en orbite, dans un environnement de microgravité, “les atomes ne bougent plus, remarque Thomas Lévèque. De ce fait, la manière de les interroger va être complètement différente. Cela nous oblige à concevoir un instrument spécifique aux conditions spatiales.”

Cartographier la gravité terrestre avec une précision améliorée d’un facteur 10 ou 100

“Nous fondons de gros espoirs sur cette technologie tout à fait nouvelle, qui a déjà révolutionné l’instrumentation pour des usages terrestres, remarque Félix Perosanz, responsable du programme Terre-Solide au Cnes. Les accéléromètres permettent en effet de mesurer la gravité terrestre pour répondre à des questions scientifiques, mais aussi pour de nombreuses applications dans le domaine de l’observation de la Terre. Pour la prospection minière, par exemple, les matériaux ayant des signatures gravifiques différentes selon leur densité.” De même, il y a une signature gravifique propre aux mouvements de magma sous les volcans avant une éruption, aux zones de subduction avant un séisme, à la perte de masse d’une calotte glaciaire ou d’un glacier due à leur fonte, etc.

Si la démonstration technologique de Carioqa atteint ses objectifs, elle ouvrira la voie à des missions qui devraient révolutionner la gravimétrie spatiale dans la décennie 2030-2040.

“Les accéléromètres mesureront non pas la gravité directement, précise Félix Perosanz, mais les accélérations du satellite dont on déduira la gravité terrestre. Il sera ainsi possible de cartographier depuis l’espace la gravité terrestre avec une précision améliorée d’un facteur 10 ou 100 peut-être par rapport à ce que l’on fait aujourd’hui, ce qui permettra de détecter les phénomènes liés aux éruptions, séismes, fontes, non plus in situ mais au travers d’une cartographie globale de Ta terre.”

Depuis 2002, les satellites de la mission Grace (Gravity Recovery And Climate Experiment) puis Grace-FO de la Nasa et du DLR produisent mensuellement des cartes du champ de gravité de la Terre 1000 fois plus précises que celles qui existaient jusque-là. Ces données permettent de mieux comprendre des processus naturels à grande échelle: la circulation des grands courants océaniques, la répartition des eaux dans les grands bassins hydrographiques, l’évolution des glaces polaires ou encore les écoulements des roches magmatiques du manteau terrestre.

15 ans d’observations terrestres avec la mission Grace de la Nasa (en anglais):

Reste que “depuis l’espace, on observe surtout la gravité de la globalité de la Terre, remarque Félix Perosanz. Réussir à distinguer la signature d’un glacier qui fond, c’est être capable de séparer ce signal par rapport à la masse de la Terre dans sa globalité, soit quelques millions de tonnes sur les milliards de milliards de tonnes de la masse de la Terre !” Si l’on y parvient, il serait alors possible, par exemple, d’évaluer l’intensité des sécheresses et des inondations en fonction des changements de masse d’eau.

Avec Carioqa, l’Europe prend une longueur d’avance sur ses concurrents en Chine et aux États-Unis. “Un avantage lié à un investissement académique de longue date, des experts reconnus notamment par des prix Nobel, souligne Félix Perosanz. Il s’agit maintenant de conserver et de concrétiser cette avance.”

Centre national d’études spatiales (CNES)

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