Africa-Press – Madagascar. En 2023, l’organisation indépendante Cochrane publiait la méta-analyse la plus complète au sujet des lunettes anti-reflets bleus. Leur conclusion: ces lunettes ne serviraient à rien, ni contre la fatigue visuelle, ni concernant le sommeil. Cela voudrait-il dire que ces lunettes ne font pas assez bien leur travail et qu’elles protègent mal les yeux ? Pas vraiment. En réalité, les effets nocifs de la lumière bleue peinent à être prouvés.
Aucun lien n’a pu être établi entre la lumière bleue de nos écrans et l’insomnie
C’est ce que nous explique le Pr Russel Foster, neuroscientifique spécialisé dans le rythme circadien à l’Université d’Oxford (Royaume-Uni), dans notre entretien à lire ci-dessous. Avec son équipe, il a découvert en 1999 les cellules oculaires qui captent la lumière, et a fortiori la lumière bleue. Il nous explique pourquoi, jusqu’à présent, aucun lien n’a pu être établi entre la lumière bleue de nos écrans et l’insomnie.
Sciences et Avenir: La lumière bleue a-t-elle des effets sur le cerveau ?
Pr Russel Foster: Il faut déjà rappeler que la lumière, tout court, a des effets sur notre cerveau. Plusieurs travaux, les nôtres sur des souris mais aussi d’autres sur le rat, ont montré qu’un petit nombre de cellules du ganglion de la rétine répondaient directement à la lumière. Nous avons appelé ces photorécepteurs les “cellules ganglionnaires rétiniennes photosensibles”, des pRGC. Environ 1% des cellules ganglionnaires sont des pRGC. Ensemble, elles forment une “toile photosensible” dans l’œil, capturant la lumière de toutes les directions afin de mesurer la luminosité ambiante. De plus amples travaux ont montré que la sensitivité des pRGC provient d’une molécule (un photopigment) sensible à la lumière bleue, la mélanopsine.
Pourquoi une telle sensibilité à la lumière bleue ?
Dans plusieurs expériences clé, notre groupe a montré que la mélanopsine et les pRGC sont extrêmement sensibles à la lumière bleue chez tous les animaux, y compris les humains. Probablement parce qu’ils agissent comme détecteur de l’obscurité. Durant la journée, le ciel est dominé par la lumière du soleil, composée de lumière de tout le spectre visible, de violet à rouge. Mais quand le soleil se couche à l’horizon, il laisse place à un spectre de lumière différent. Au coucher du soleil, ne restent que le rouge et l’orange à l’horizon, tandis que le bleu est réparti dans le ciel entier. Nous supposons que les pRCG sont sensibles à la lumière bleue parce qu’elle est dominante au lever du soleil et à son coucher. C’est donc une cible idéale pour bien comprendre où l’on se situe dans la journée.
“On sait que l’exposition à la lumière en fin de journée et en soirée décale notre rythme circadien”
Pourquoi dit-on que la lumière bleue pourrait altérer notre rythme circadien, l’horloge biologique interne du corps humain ?
On sait que l’exposition à la lumière en fin de journée et en soirée décale notre rythme circadien. Cela nous fait nous endormir plus tard et nous réveiller plus tard le lendemain. A l’inverse, la lumière du matin fait avancer notre rythme circadien. On va plus tôt au lit et on se lève plus tôt le lendemain. Ça, c’est prouvé. Et c’est ce qui constitue la base de la théorie qui affirme qu’utiliser notre ordinateur ou notre téléphone avant le coucher perturbe notre sommeil et notre réveil. De plus, ces appareils émettent une lumière plus ou moins enrichie en lumière bleue, ce qui stimule les pRGC, les cellules ganglionnaires rétiniennes photosensibles.
Et donc, que constate-t-on ? Un effet sur la sécrétion de mélatonine dans le cerveau et donc sur l’endormissement ?
En fait, les recherches montrent que non. Une des études les plus solides sur ce sujet a été menée par l’Université d’Harvard (Etats-Unis) sur l’utilisation des e-books. Les participants ont été maintenus toute la journée dans la lumière tamisée, à environ 90 lux (l’unité de mesure de la lumière, ndlr), puis on leur a fait lire un livre sur un e-book pendant quatre heures d’affilée, avec la luminosité maximale, pendant cinq jours de suite.
Les résultats ont montré que l’endormissement n’était décalé que d’une dizaine de minutes. En parallèle, ils ont remarqué un effet sur la mélatonine, qu’on considère souvent comme l’hormone du sommeil. Et c’est vrai que cette expérience a fait baisser le niveau de mélatonine des participants. Mais l’endormissement n’a pas été perturbé. De la même façon, il n’existe aucune preuve que l’utilisation toute la journée de filtres de lumière bleue, comme on peut en télécharger facilement sur internet, n’ait d’impact sur le rythme circadien. On sait qu’ils ont, au mieux, un petit effet sur l’éveil. Peut-être ces programmes ont-ils eu un tel succès en raison du confort visuel qu’ils apportent.
“Il faut se méfier de l’exposition à la lumière tout court”
Vous diriez donc qu’il n’y a aucun problème, finalement, à lire son e-book ou à regarder un film en soirée avant d’aller dormir ?
Pas tout à fait. Je dirais que si en journée, la lumière à laquelle on a été exposée est assez forte, qu’elle a un effet direct sur votre taux d’éveil, alors oui. Quand on a une exposition raisonnable à la lumière du jour, alors les lumières faibles auxquelles on est exposés le soir, dont la lumière bleue, ne sont pas un problème. Pour que le rythme circadien soit perturbé, il faut vraiment être exposé longtemps à une très forte lumière en soirée. Le problème, c’est qu’il n’existe pour l’instant pas d’étude qui prouve cela.
Vous parlez de lumière assez forte, de lumière tamisée… A quoi cela correspond-il ? Comment savoir si on a été assez exposé à la lumière du jour ?
Je suggère à vos lecteurs de télécharger une application sur leur smartphone qui mesure le nombre de lux dans la pièce. Et de comparer un peu les différents environnements de la journée. Vous allez voir que dans une pièce ensoleillée, près de la fenêtre, on est à peu près à 3.000 lux. Si vous vous éloignez de la fenêtre, on retombe déjà quelques centaines de lux, pas plus. Et si vous sortez dehors au soleil, alors ce sont 40.000 lux !
“Rester 30 minutes dans la salle de bains avant d’aller se coucher est bien plus négatif que de consulter son portable”
Donc en fait, c’est la lumière tout court en soirée qui affecte notre sommeil ?
Oui, il faut se méfier de l’exposition à la lumière tout court. Avez-vous remarqué que juste avant d’aller au lit, nous faisons un tour dans la pièce où la lumière est la plus forte et la plus intense de tout notre logement, la salle de bains ? Rester 30 minutes à la lumière crue des spots de votre salle de bains avant d’aller se coucher est bien plus négatif que de consulter son portable.
Je peux donc faire ce que je veux sur mon portable avant de tomber dans les bras de Morphée ?
Alors non, pas vraiment. En parallèle de la lumière bleue, des travaux ont montré que le type d’activités sur l’écran jouait un rôle. Ce n’est pas la même chose si l’on regarde une vidéo de façon passive ou si l’on est actif. Une étude a montré qu’aller sur les réseaux sociaux, jouer à un jeu vidéo, ou encore traiter ses mails renforçait l’éveil cérébral des participants et retardait l’endormissement. Entraînant une envie de dormir et des performances moins bonnes durant la journée. Dans ce cas-là, ce n’est donc pas la lumière bleue mais l’activité qui nuit au sommeil: le stress du travail, l’effet galvanisant des réseaux sociaux… Cela montre qu’il faut aussi être dans le bon état d’esprit avant d’aller se coucher. Commencer à se détendre avec des activités douces de 30 minutes à deux heures avant le coucher.
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