Le chemin ardu vers un système alimentaire bas carbone

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Le chemin ardu vers un système alimentaire bas carbone
Le chemin ardu vers un système alimentaire bas carbone

Africa-Press – Madagascar. Au moment où les agriculteurs bloquent les routes pour demander moins de normes et de meilleures rémunérations et où distributeurs et industriels de l’agroalimentaire (IAA) s’écharpent dans de très peu transparentes négociations sur les prix des produits alimentaires, le rapport sur l’alimentation du Haut Conseil pour le climat (HCC) semble tomber comme un cheveu sur la soupe. Pourtant, on pourrait regarder ces propositions dont “l’étoile du Nord” est la neutralité carbone en 2050 comme une feuille de route plausible pour mettre un peu d’ordre dans le capharnaüm que sont devenues la production, la transformation et la consommation des aliments en France mais aussi un peu partout dans le monde.

Le système alimentaire “de la fourche à la fourchette” représente 22% des émissions de gaz à effet de serre. Il devra être neutre en carbone en 2050, comme tous les autres secteurs d’activité de la France selon les engagements nationaux et internationaux pris par le pays. Si l’on y ajoute les secteurs de l’industrie agro-alimentaire et de la distribution, la part monte à 22%. Sur ces 140 millions de tonnes émises par le secteur (2,1 tonnes par Français), la production en elle-même en représente 60%, celles de la transformation par l’industrie de 6 à 18% selon la méthode de comptage employée, le commerce et la restauration hors du domicile 12% et le transport de 6 à 14%. Les produits d’origine animale sont responsables de 51% de la consommation d’aliments, loin devant les boissons (15%).

Le méthane des rots des vaches et le protoxyde d’azote des engrais chimiques

85% des 77 millions de tonnes émises par l’agriculture proviennent de deux gaz à effet de serre: le méthane et le protoxyde d’azote. Soit la fermentation entérique des bovins et l’épandage des engrais chimiques. Deux postes que les agriculteurs et éleveurs ne peuvent réduire seuls. Il impose que les consommateurs réduisent d’au moins 30% leur consommation de viande et se convertissent majoritairement aux produits biologiques. Entre les deux, cela suppose que l’industrie agro-alimentaire cesse de fabriquer des produits transformés majoritairement composés de viande et que la grande distribution fasse l’effort de ne plus les proposer prioritairement aux consommateurs et les incitent au contraire à acheter “bas carbone”.

“C’est un bouleversement profond qui impose qu’on aide les agriculteurs à changer de modèle grâce à un accompagnement technique personnalisé et un soutien financier pour qu’ils ne soient pas seuls à supporter les risques, a résumé Corine Le Quéré, climatologue et présidente du HCC. Aussi, nous recommandons de privilégier une vision stratégique multidimensionnelle qui prenne en compte la santé humaine, les impacts sur les écosystèmes, la vulnérabilité du secteur agricole et la nécessité d’une transition juste incluant tous les acteurs du système jusqu’au consommateur.” Vaste programme où cohabitent solutions techniques, réformes économiques et volonté politique. Beaucoup de courage donc.

L’agriculture émet du CO2 dont elle est victime

L’agriculture est dans une situation paradoxale. Elle est émettrice nette de gaz à effet de serre qui provoquent un changement climatique dont elle est la première victime. La hausse des températures a réduit la croissance de la productivité totale de l’agriculture mondiale d’environ 21% depuis 1961. La France ne fait pas exception. “Le stress thermique entraîne des difficultés pour l’alimentation des troupeaux, et la chaleur a un impact négatif sur la santé animale, la nutrition, le comportement, le bien-être et la productivité des animaux, et la qualité des produits. Les sécheresses comme en 2003 et 2022 ont eu des impacts sur de nombreux types de cultures sous forme de baisses de rendement. Les inondations comme en 2010, 2016 et 2023 ont entraîné de lourds dégâts pour l’agriculture et l’élevage en France”, égrène le rapport du HCC.

Un rapport européen publié également ce 23 janvier 2024 rappelle que depuis 2014, la Commission européenne a débloqué 2,5 milliards d’euros pour soutenir dans l’urgence des producteurs touchés par une perte de production, une réduction des prix ou une augmentation des coûts de production. Et ce en sus des aides d’urgence accordées par les États à leurs agricultures nationales. “Le seuil de 2,6 milliards d’euros de dommages liés à la sécheresse serait dépassé en moyenne tous les 10 ans si toutes les exploitations agricoles de métropole étaient assurées”, note le rapport.

Toutes les techniques permettant une agriculture plus résiliente face aux aléas météo sont bien connues: agroécologie, plantations de haies et d’arbres, semis de populations variétales et de variétés adaptées au nouveau climat, assolements incluant des légumineuses pour améliorer les teneurs des sols en azote, couverture des parcelles par des plantes entre deux cultures, etc. “Ce sont des techniques qui marchent, qui se développent mais dont il faut accélérer la diffusion notamment par le conseil technique, l’aide aux travaux, un support financier pour que l’agriculteur ne soit pas seul”, plaide Marion Guillou, membre du HCC et l’un des auteurs du rapport. La voie de l’agriculture intensive est écartée: trop gourmande en engrais et pesticides, destructrice de haies et de nature, attirée par les marchés à l’export plutôt que par la satisfaction des besoins locaux et nationaux.

La baisse de la production de viande en France a entraîné une hausse des importations

Mais rien ne peut se faire sans le lien avec les autres acteurs du système. Un exemple l’illustre bien, celui de la consommation de viande. Le nombre de bovins en France a baissé de 12% ces 20 dernières années et 33 000 fermes d’élevage ont disparu entre 2010 et 2020, soit 30% des exploitations. “Les causes principales, ce sont des départs à la retraite non compensés et le découragement d’exploitants qui ont du mal à vivre de ce métier”, déplore Marion Guillou. Mais côté consommateur, si la consommation de viande est également en diminution pour des raisons principalement de coût, cette baise est beaucoup plus faible que celle de la production. Conséquence: la part d’importation de viande de pays hors Union européenne a fortement augmenté, aggravant les émissions de gaz à effet de serre. “Cet exemple montre qu’il faut une action coordonnée tout au long de la chaîne, notamment en montrant au Français les bienfaits d’une alimentation moins carnée”, poursuit Corinne Le Quéré.

Dans ce paysage, des acteurs sont rarement sollicités: l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution. “L’industrie a deux options, résume Marion Guillou. La principale, c’est de réfléchir à son approvisionnement, s’interdire les produits importés très émetteurs de carbone, tant dans leur production que dans leur acheminement, et relocaliser autant que faire se peut la provenance des produits qu’ils utilisent. La seconde, c’est de décarboner leurs procédés industriels et leurs transports.” La grande distribution, elle, se voit rappeler son rôle pédagogique auprès des consommateurs. “Les magasins doivent mettre l’accent en priorité sur les produits bas carbone afin d’orienter les gestes d’achat des consommateurs”, prône Corinne Le Quéré.

L’agriculture française a diminué ses émissions de 13% depuis 1990. Selon la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), elle devra accomplir un nouvel effort de réduction de 22% en 2030 par rapport à son niveau de 2015. A mi-parcours, elle est à -8%. Un tiers seulement du chemin est accompli. Il faudra donc mettre les bouchées doubles pour être à l’heure en 2030. Tous les moyens techniques existent, mais cet effort ne pourra pas être accompli par une profession à bout de souffle et empêtrée dans ses propres contradictions, la pression des filières et l’indifférence des consommateurs.

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