Ikala Paingotra
Africa-Press – Madagascar. Comme il faut s’y attendre, chaque semaine apporte son nouveau scandale dans le paysage médiatique de Madagascar. Depuis quelques jours, c’est la cabale menée par le pouvoir et ses partisans contre les journalistes Gaelle Borgia (TV5) et Pauline le Troquier (RFI). Il leur est reproché de s’être éloignées de la version officielle concernant l’affaire d’Ambohimalaza, et d’avoir fait honnêtement leur travail de journaliste à la recherche de la vérité. Cela est inacceptable pour un pouvoir habitué aux médias vassalisés par les felaka ou l’intimidation, et aux journalistes qui posent les questions qu’on leur a soufflées pour les talk-shows avec le Chef de l’État. Rappelons que Madagascar occupe actuellement la 113ème place du classement sur la liberté de la presse dans le monde établi par Reporters sans frontières (RSF), après avoir perdu 13 places par rapport à 2024. Fait intéressant: au moment où le Président Rajaonarimampianina avait quitté le pouvoir (2019), Madagascar occupait la 54ème place. Le pays a donc perdu 59 places depuis que Rajoelina est revenu au pouvoir.
Les manoeuvres contre Gaelle Borgia et Pauline Le Troquier ont attiré l’attention de RSF et du Committee to Protect Journalists. Selon RSF, le Gouvernement malgache aurait écrit à RFI et TV5 pour se plaindre et demander le rappel immédiat des deux journalistes. Gaelle Borgia a ensuite relaté dans un post récent dur Facebook avoir fait l’objet d’une filature. Ces faits ne doivent pas étonner. Le contrôle de la presse permet le contrôle des opinions, et « encourager » les journalistes à courber l’échine et filer droit est une tactique bien connue des dictateurs apprentis et confirmés. Le but est d’empêcher les questions qui fâchent, les points de vue divergents, et les avis qui risquent de faire tache d’huile dans l’opinion publique. La fermeture de la Gazette de la Grande île en-dehors de tout cadre légal, les emprisonnements de journalistes pour des motifs plus ou moins fallacieux, ou les leçons de journalisme données par le général Ravalomanana au sujet de l’affaire des Boeing 777 sont des exemples supplémentaires du comportement des autorités actuelles envers les gens de presse.
Il ne s’agit pas que de la presse. La page d’Amnesty international a alerté à de nombreuses reprises sur les tracasseries subies par des lanceurs d’alerte qui ont dénoncé des incongruités. Les tentatives de faire taire la société civile sont connues, comme lorsque les intérêts économiques de la filière letchi s’étaient irrités des prises de position publiques de Transparency International – Initiative Madagascar, et avaient tenté leur habituel cirque judiciaire. Fait suffisamment rare pour être rappelé: la communauté internationale, par un communiqué conjoint des ambassadeurs en poste à Antananarivo, a tapé du poing sur la table.
D’autres histoires circulent sous le manteau, dont des coups de téléphone des autorités auprès de patrons pour se plaindre des prises de position de certains de leurs employés sur les réseaux sociaux. Certains de ces patrons n’en ont pas tenu compte, mais d’autres se sont couchés. On se souvient du renvoi pour raisons fallacieuses d’Alban Rakotoarisoa (Babà) d’Air France, peu de temps après sa prestation lors d’un talk-show télévisé durant lequel il avait humilié les représentants du pouvoir. Il y a également le cas d’une dame étrangement forcée de démissionner d’une multinationale, sans avoir commis de faute professionnelle. Y a-t-il eu « incitation » ou chantage auprès de ces patrons pour mettre ces citoyens au chômage? Ce ne seraient pas des cas isolés. Rappelons aussi qu’il y a quelques mois, le créateur de contenu Koto Lilahimahitsoambo avait révélé que des esprits malintentionnés avaient envoyé une lettre anonyme à son patron pour le dénigrer et obtenir son renvoi. À l’intérieur ou en-dehors des frontières malgaches, les tentatives tordues pour faire taire les voix discordantes se suivent et se ressemblent, reflétant la bassesse de la mentalité de gens qui ont pourtant justifié leur coup d’État de 2009 au nom de la défense de la démocratie.
Bonne nouvelle pour Rajoelina, mais jusqu’à quand?
Ce phénomène de répression contre la presse, la société civile, les lanceurs d’alerte, les opposants et les simples citoyens ne pourra que croitre avec le temps, car les choses vont de mal en pis dans le pays malgré les efforts pour cacher les défaillances derrière le werawera. En effet, les lacunes en matière de gouvernance économique ou démocratique sont de plus en plus visibles, et la propagande de Rajoelina convainc de moins en moins de personnes. Le personnage, qui a utilisé avec succès la subversion pour délégitimer le Président Ravalomanana en 2009 afin de le renverser, se méfie donc de toute mèche allumée qui risque de mettre le feu aux poudres, et s’arrange pour étouffer toute contestation dans l’œuf. Il lui en effet nécessaire de mettre au silence ceux qui pourraient mener la fronde dans l’opinion publique afin de protéger l’accès de son clan aux prébendes économiques, et surtout empêcher qu’après son éventuel départ du pouvoir, des esprits pas nécessairement conciliants ne se mettent à enquêter sur tous les abus et dérapages lors de son mandat.
Il y a toutefois une bonne nouvelle pour Rajoelina. Pour le moment, sa méthode CRI (corruption / répression / intimidation) fonctionne à Madagascar. Les seules voix qui peuvent encore s’élever sont donc celles de la diaspora, car les voix locales sont mises ou se mettent volontairement sous l’éteignoir. Leur impact est toutefois limité, car vociférer à 10.000 kilomètres a peu d’impact sur le terrain, d’autant plus qu’il n’y a que trois millions de personnes présentes sur Facebook à Madagascar, ce qui est peu dans un pays de 30 millions d’habitants. En outre, du moins pour beaucoup d’entre eux, les outrances destinées à assurer l’audience leur ôtent toute crédibilité. Pas évident que les Malgaches aient envie de se débarrasser de certains voyous politiques pour tomber dans les bras d’autres. Ceux qui ont cru à la révolution orange de 2009 ont appris la leçon. L’opposition politique est donc quasi désertique, faute de leader charismatique ayant la capacité de rassembler largement.
Encore une fois, l’Histoire montre que le confort fourni par l’arrogance et la confiance dans l’usage de la force a toujours des limites, une fois que toutes les conditions sont réunies. C’est pour cela que l’élection du Pasteur Zaka Andriamampianina à la tête de la puissante église protestante FJKM a été accueillie favorablement, après son sermon de janvier 2023 qui en avait fait un héros dans l’opinion publique. Les autorités actuelles vont-elles essayer d’appeler son patron? On se souvient qu’au moins à deux reprises (pour éloigner le mauvais temps et lors d’un match de football), Rajoelina avait prétendu que ses prières étaient écoutées par Dieu avec effet immédiat.
Source: Madagascar-Tribune.com
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