Africa-Press – Madagascar. En juin, Tamatave était l’épicentre de la pandémie de Covid-19 à Madagascar. Aujourd’hui, la ville portuaire compte très peu de nouveaux cas. Parmi les raisons avancées : l’immunité collective.
C’est le soulagement à Tamatave. « Nous sommes revenus au train-train habituel du service, raconte un médecin urgentiste de cette grande ville côtière de Madagascar. Ces derniers temps, on voit à peine un cas de Covid tous les quatre jours ». « Les malades atteints du virus se font très rares », confirme un autre praticien hospitalier.
Même constat chez le docteur Amélie Andrianavony, généraliste : « En moyenne, j’ai deux cas de syndrome grippal par jour contre quatre ou cinq au mois de juin », compare-t-elle. « Pour ce mois d’août, nous avons eu dix nouveaux cas dont deux hospitalisés et aucune forme grave », a précisé le 12 août à Jeune Afrique la communication de la Direction régionale du ministère de la Santé.
Conséquence logique, le 9 août, le président Andry Rajoelina a annoncé le déconfinement total de cette ville d’environ 400 000 habitants, cruciale pour l’économie malgache car elle abrite le principal port et voit passer toutes les marchandises vitales, y compris le carburant.
C’est un véritable retournement de situation sanitaire pour la ville. En juin, Tamatave concentrait toutes les attentions et abritait le principal foyer de Covid-19 de Madagascar. Le président Rajoelina avait dépêché des médecins et des centaines de soldats pour appliquer un confinement à partir de 13 h. Des mesures fermes, voire brutales pour les contrevenants, avec des privations de liberté pour des asymptomatiques.
Mais aujourd’hui, Tamatave semble débarrassée du virus. L’immunité collective pourrait en être la cause. Et l’amélioration sensible du contexte sanitaire dans la ville pourrait donner un avant-goût à d’autres localités de la Grande Île, mais aussi à l’étranger.
À Tamatave, l’institut Pasteur de Madagascar se trouvait aux premières loges. L’équipe avait dépêché un laboratoire mobile pour réaliser les analyses sur place, entre le 7 mai et le 19 juillet. « On a vu cette épidémie se développer puis régresser dans la ville, se souvient le Professeur André Spiegel, directeur de l’Institut. Pour s’en rendre compte, on peut regarder le taux de positivité des échantillons prélevés, qui est corrélé à l’évolution de l’épidémie. »
Le directeur de l’institut raconte la nette augmentation de cet indicateur à partir de la semaine du 27 avril avec plus de 20% de résultats positifs. Le pic épidémique a probablement eu lieu la semaine du 18 mai, avec près de 42% de positifs. Ce taux a ensuite régressé pour repasser sous les 10% au cours de la semaine du 22 juin.
La forte régression d’une épidémie, à Tamatave comme ailleurs, vient du fait que le taux de reproduction de la maladie passe en dessous de 1, c’est-à-dire qu’une personne contaminée transmet, en moyenne, le virus à moins d’une autre personne.
Pour expliquer ce phénomène, la première des raisons avancées est l’immunité collective. « Lorsque qu’environ 50% à 60% de la population a déjà été malade et donc possède des anticorps, le virus rencontre des personnes résistantes et sa propagation se fait de plus en plus difficilement », explique Arthur Lamina Rakotonjanabelo, directeur du cabinet du ministre de la Santé.
Une hypothèse probable. Car 29,5% de la population de Tamatave aurait déjà été infectée, au 15 juin, selon une étude sérologique du ministère de la Santé – jamais publiée, mais consultée par Jeune Afrique. L’étude affiche une méthodologie statistique claire, se base sur un échantillon de 210 personnes résidentes répartie dans toute la ville, et admet une marge d’erreur de 10%. Elle conclut que sur les 210 personnes testées, 62 possédaient des anticorps (dont 74% asymptomatiques).
Toujours selon le document : « Sur 415 307 habitants, la population totale de Tamatave, au moins 122 000 personnes ont déjà été en contact avec le virus. »
« Le virus a beaucoup plus circulé qu’en Europe, c’est clair », résume le Professeur André Spiegel. En comparaison, une étude sur l’Espagne, publiée le 6 juillet, et une autre sur la France, publiée le 11 mai, estiment toutes les deux à environ 5% la proportion de personnes porteuses d’anticorps.
Alors aujourd’hui, peut-on affirmer que la proportion de la population tamatavienne possédant des anticorps est supérieure au seuil d’immunité collective ? « Nous manquons de données et envisageons de refaire des études sérologiques, admet Arthur Lamina Rakotonjanabelo. Car si nous n’avons pas atteint l’immunité collective, la maladie pourrait revenir. »
Le directeur de cabinet avance aussi une autre cause à cette baisse de l’épidémie : les mesures sanitaires comme les gestes barrières, l’isolement de malades, le confinement des populations…
« Il faudra aussi évaluer l’influence d’une possible immunité croisée avec d’autres coronavirus, prévient Arthur Lamina Rakotonjanabelo. Et nous manquons de recul pour évaluer la durabilité de l’immunité des individus. »
Quant au Covid-Organics, la tisane à l’artemisia « préventive et curative » selon le Président Rajoelina, les données font encore défaut pour évaluer son effet réel. Dans tous les cas, dans les rues de Tamatave, les masques tombent de plus en plus. Et la fête a fait son retour dès le lendemain du déconfinement, comme le raconte cet étudiant : « La plage était pleine de monde en train de se détendre et de siroter des boissons. »
« La situation est très hétérogène, aussi bien en termes de nouveaux cas qu’en termes de mortalité », constate le procès-verbal d’une réunion conjointe de l’Académie de médecine et du ministère de la Santé, daté 9 août et consulté par Jeune Afrique. Le document recommande ainsi de prendre des mesures très localisées, par district.
La région Boeny et sa capitale Majunga, au Nord-Ouest, connaissent par exemple la plus forte augmentation, avec près de 160 cas actifs (et un faible nombre de tests). Sur l’ensemble du pays – sachant qu’une grande majorité de tests viennent de la capitale, le taux de positivité a atteint un sommet la semaine du 13 juillet, avec 48,19%, pour retomber à 31,19% quinze jours plus tard. Le pays pourrait donc avoir dépassé un pic épidémique. Au 13 août, Madagascar totalisait 13 522 cas, dont 1 580 en traitement, et 162 décès.