Qui se cache derrière le trafic de migrants subsahariens et la traite d’êtres humains ?

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Qui se cache derrière le trafic de migrants subsahariens et la traite d’êtres humains ?
Qui se cache derrière le trafic de migrants subsahariens et la traite d’êtres humains ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Madagascar. Ce dossier tente de se rapprocher le plus possible de la réalité de la situation de la migration irrégulière et de la traite des êtres humains, tout en essayant de présenter le visage laid de l’Europe vis-à-vis de cette dramatique situation, et l’absence des droits de l’homme hors du périmètre du continent, mais tout d’abord :

• Demandons-nous comment la ville d’Agadez au Niger est-elle devenue la première station de trafic d’êtres humains en capturant des immigrés ?

• Et puis demandons-nous comment l’Europe a-t-elle permis à certaines milices d’une zone comme le désert du Sahara d’agir comme gardes-frontières par procuration, même si certains d’entre eux sont des passeurs que les opérations de l’Union européenne tentent de déjouer ?

Toutefois, il faut reconnaître que « les réseaux de traite des êtres humains » choisissent ceux qui souffrent de conditions économiques difficiles, selon ce que certains journalistes d’investigation avaient documenté depuis plusieurs années, lesquels avaient noté que la Côte d’Ivoire se classe au premier rang en termes de pourcentage des principaux acteurs de la médiation et de la traite des êtres humains, avec un taux de 33 %, le Congo suit avec 14 %, la Libye également 12 %, puis le Cameroun et la Tunisie 9 %, tandis que l’Égypte y serait impliquée avec 2 %.

Les migrants clandestins, qui font l’objet de trafic illicite, sont particulièrement vulnérables à l’exploitation, pendant la migration comme à leur arrivée dans le pays de destination, si par hasard ils y réussissent. On ne connaît pas le nombre exact de migrants qui perdent la vie pendant la traversée du Sahara, mais on sait en revanche que des centaines et des centaines meurent chaque année en s’aventurant à traverser la Méditerranée ou encore au large des côtes sénégalaises et mauritaniennes. Tous cherchent à se rendre « invisibles », et c’est souvent ce qui cause leur perte. Parce qu’ils se refusent à signaler aux autorités les mauvais traitements dont ils sont la plupart du temps victimes, ils s’exposent à tous les sévices que les trafiquants sont susceptibles de leur infliger en toute impunité.

D’après les constatations faites, le trafic illicite de migrants opère le plus souvent le long des lignes de clivage qui séparent des régions ayant des niveaux de développement très différents, comme c’est le cas de l’Afrique de l’Ouest ou encore de l’Europe occidentale.

Chaque année, des milliers de clandestins tentent la traversée du Sahara ou de la Méditerranée, en dépit des énormes difficultés qu’elle présente, dans l’espoir d’atteindre les rives sud de l’Europe. Presque tous se font aider, et le fait de fournir cette assistance pour en tirer un gain constitue l’infraction pénale de trafic illicite de migrants.

Comment ce trafic est-il généralement réalisé ?

Les passeurs qui se livrent au trafic de migrants clandestins entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe empruntent traditionnellement, comme tremplin, l’une ou l’autre des cinq grandes voies de passage suivantes :

• la voie terrestre et maritime, en traversant la Méditerranée jusqu’à Malte ou principalement l’île de Lampedusa (Italie), par le biais de la Tunisie,

• la voie terrestre jusqu’aux enclaves espagnoles d’Afrique du Nord (Espagne),

• la voie terrestre et maritime par le détroit de Gibraltar (Espagne),

• la voie terrestre et maritime, en traversant la Méditerranée jusqu’aux côtes grecques,

• sans oublier la voie maritime jusqu’aux Îles Canaries (Espagne).

Dans le bassin méditerranéen existent des réseaux et organisations criminelles qui dirigent des opérations de traite d’êtres humains et de contrebande, et qui sont présents dans toute la région.

Ces groupes profitent des gouvernements faibles, de la corruption qui sévit, des frontières vastes et capables d’être infiltrées, des conditions sécuritaires faibles, et de l’absence de coordination régionale à lutter contre la contrebande et la traite d’êtres humains.

L’ampleur du trafic qui s’opère le long de la Méditerranée, où des courtiers professionnels négocient tous les passages, est soumise à des intermédiaires connus sous le nom de « Connection men », et qui sont originaires d’Afrique de l’Ouest.

Ils sont chargés de récupérer les groupes de migrants et de négocier leur passage avec des propriétaires de bateaux nord-africains, que les migrants appellent les « Arabo men ». Dans certains ports, le trafic est contrôlé par des groupes de nationalité bien définie, impliquant notamment des intermédiaires locaux.

Il n’y a pas de « portrait » stéréotypé de l’immigré subsaharien, certes, car les situations sont multiples et peuvent changer plusieurs fois pour une même personne, contrairement à ce que pensent la plupart des observateurs étrangers.

Néanmoins, la traite des êtres humains et le trafic de migrants sont des problèmes majeurs qui posent de nombreux défis dans les régions concernées. Le facteur le plus important qui distingue le trafic de migrants de la traite des êtres humains est que les trafiquants ont l’intention d’exploiter leurs victimes, tandis que les passeurs cherchent à réaliser un profit en facilitant le mouvement des migrants clandestins.

La route de Rome passe par Carthage car la Tunisie reste le principal pays de transit pour les Africains

L’Afrique du Nord est une région qui se caractérise par son unité géographique, car située, comme son nom l’indique, sur la frange septentrionale du continent et parce qu’elle est bordée par la rive Sud de la Méditerranée. Ces deux indicateurs géographiques contribuent à sculpter la configuration migratoire d’ensemble de la région, même si les profils migratoires de chacun des pays de la région sont différents, voire parfois profondément différents. Les trois pays du Maghreb central, précisément le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, ont des profiles très proches. Ils ont toujours été, et le demeurent, des pays de départ, mais sont devenus depuis le début du nouveau millénaire des pays de transit et de destination.

En effet, ce groupe de pays maghrébins continue d’être un important point de transit pour les Africains subsahariens, en particulier ceux qui traversent la Libye et la Méditerranée centrale pour tenter de rejoindre l’Europe.

Pourquoi choisir la Tunisie ?

La Tunisie joue la quasi-totalité des rôles migratoires : pays d’origine pour les migrants et de destination pour certains d’entre eux, et depuis deux décennies, elle est aussi un pays de transit pour des milliers de migrants africains d’Afrique subsaharienne cherchant à traverser la Méditerranée vers le « Paradis européen ».

Ce phénomène, qui a commencé à la fin du XXe siècle, s’est progressivement développé au début du troisième millénaire et s’est amplifié avec les effets d’amplification du séisme du « printemps arabe » qui a pris naissance principalement en Tunisie, et le durcissement des politiques européennes d’immigration.

• Tout d’abord, une chose doit être claire

La plupart du temps, les immigrés africains n’ont pas de « feuille de route » claire et définitive. Une grande partie d’entre eux quittent leurs villages et villes d’Afrique de l’Ouest, et leur premier objectif est de traverser le désert. Après cela, entrer dans un pays maghrébin, et après ça ils décident au gré des circonstances et du hasard. Le voyage peut durer des mois, parfois des années, et l’itinéraire change plusieurs fois au cours de celui-ci. Il est donc possible pour l’immigré de choisir la Tunisie parce qu’il a rencontré un médiateur tunisien en Libye ou en Algérie, ou même par nécessité, comme cela s’est produit lorsque la guerre a éclaté en Libye en 2011. Bien sûr, ce n’est pas toujours un hasard, mais il y a plusieurs facteurs qui ont fait de la Tunisie un pays de transit dans le mouvement des migrations de l’Afrique vers l’Europe.

• Facilité d’entrée en Tunisie

Il existe près de 100 pays dont les citoyens sont exemptés de visa d’entrée en Tunisie et sont autorisés à résider pour une période égale ou inférieure à trois mois. Plus d’une vingtaine de pays africains (y compris les pays du Maghreb) figurent dans cette liste :

Côte d’Ivoire, Sénégal, Gambie, Gabon, Mali, Niger, Comores, Cap-Vert, Seychelles, Guinée équatoriale, Guinée-Bissau, Namibie, Afrique du Sud, Guinée, Centrafrique.

Cela signifie que ceux qui souhaitent immigrer en Europe peuvent passer à l’avant-dernière étape (Tunisie) en quelques heures, ce qui lui permet de gagner du temps et de s’éloigner des dangers des routes sauvages du désert.

• La multiplicité des petits ports

L’extension des côtes tunisiennes et sa proximité avec les côtes européennes, notamment les îles italiennes, rendent les choses faciles et abordables.

Par exemple, l’île de Lampedusa est à moins de 150 milles des côtes sud et centre-est (Médenine, Sfax, Mahdia et Monastir), tandis que l’île de Pantalaria est à environ 50 milles de la côte nord-est de la Tunisie (gouvernorat de Nabeul). Cette proximité signifie un accès plus rapide et moins de risques, d’autant plus que les moyens de transport utilisés sont généralement non sécuritaires et non destinés aux longues distances.

• Le durcissement des politiques d’immigration de l’Union Européenne, et sa conclusion de plusieurs accords/deals avec les régimes maghrébins pour les obliger à contrôler les frontières et faire face à l’afflux de migrants africains.

Avec le début du troisième millénaire, l’Europe et ses « alliés » méditerranéens ont commencé à fermer les routes maritimes empruntées par les passeurs et les migrants irréguliers :

La route du détroit de Gibraltar entre le Maroc et l’Espagne, la route atlantique reliant l’Afrique de l’Ouest aux îles Canaries, la Route libyco-italienne.

Les armateurs ont cherché d’autres solutions, dont la route tuniso-italienne, qui jusqu’à la fin des années 1990 était réservée aux « harragas » tunisiens et à quelques Maghrébins.

• L’évolution du nombre d’Africains résidant en Tunisie depuis 2003 en raison du transfert temporaire du siège central de la « Banque Africaine de Développement » d’Abidjan vers la Tunisie (suite au déclenchement de la situation en Côte d’Ivoire en 2002), ainsi que l’afflux de milliers d’étudiants dans les universités privées tunisiennes.

Cela signifie qu’il existe une sorte d’« environnement propice » pour l’immigrant en situation de transit. La plupart du temps, les immigrés africains n’ont pas de « feuille de route » claire et définitive. Une grande partie d’entre eux quittent leurs villages et villes d’Afrique de l’Ouest, et leur premier objectif est de traverser le désert puis d’entrer dans un pays maghrébin. Puis il décide en fonction des circonstances et des coïncidences. Le voyage peut durer des mois et parfois des années, et l’itinéraire change plusieurs fois au cours de celui-ci.

Tous ces attraits ne signifient pas que la Tunisie est une destination en or :

1- Le coût de la « Harga » en Tunisie est le plus élevé du Maghreb (selon la saison, le nombre d’immigrants et l’état de l’embarcation), surtout si on le compare au tarif appliqué en Libye.

2- La Tunisie traverse une crise économique suffocante qui fait grimper les prix des biens de consommation, des services et des loyers.

3- L’émergence d’organisations terroristes en Tunisie et l’explosion de la situation sécuritaire en Libye et dans les régions sahéliennes et subsahariennes ont mis les services de sécurité en état d’alerte permanente, que ce soit dans les zones frontalières ou dans les villes (contrôles routiers, vérification des papiers d’identité et même de résidence).

4- Bien sûr, il ne faut pas oublier les pressions européennes sur la Tunisie en matière de traitement de l’immigration, qui se traduisent par des lois locales plus strictes et une plus grande motivation des services de sécurité.

Rien ne prédit que l’hémorragie migratoire africaine s’arrêtera bientôt. Rien ne présage également que la Tunisie tirera profit de sa dépendance vis-à-vis de l’Union européenne et du rôle de garde-côtes. Renforcer les relations avec les pays subsahariens et se tourner davantage vers l’Union africaine est la solution logique. Cette tendance doit être fondée sur l’égalité, et non sur le fait de considérer l’Afrique comme de simples marchés vers lesquels les biens et compétences tunisiens sont exportés. Cela signifie que l’État tunisien doit amender les lois sur l’immigration, la résidence et le travail, et les rendre plus flexibles.

Qui sont les « patrons » du trafic de la traite des êtres humains ?

Il n’est point facile de découvrir quelles sont les parties impliquées dans tout ce trafic ni de connaître nominativement les « patrons » de ces réseaux multiples qui gagnent des sommes mirobolantes d’argent en envoyant beaucoup de migrants clandestins vers…« la mort ».

Toutefois, les réseaux de trafic illicite de migrants peuvent être représentés sous la forme d’une hiérarchie pyramidale du point de vue « responsabilités » :

• Au bas de l’échelle, on trouve des acteurs dont la participation au trafic n’est que temporaire ou accessoire, parmi lesquels un certain nombre de migrants.

• Au niveau intermédiaire, figurent les nombreux rabatteurs et passeurs qui sont souvent d’anciens migrants eux-mêmes, et qui gagnent leur vie grâce à ce trafic.

Le niveau intermédiaire de la pyramide, qui est aussi la face visible du trafic de migrants, regroupe les passeurs à plein temps. Il s’agit dans nombre de cas d’anciens clandestins qui ont réussi à rejoindre l’Europe et gagnent leur vie en mettant à profit leur expérience de la migration. À Kano, on les appelle les burgers, en référence à leur séjour en Allemagne. Sur la côte méditerranéenne, et plus au sud, ce sont eux qui remplissent les fonctions de « Connection men ». Ils organisent le trafic sur le terrain, encadrent les rabatteurs, hébergent les migrants dans leurs centres, recouvrent le paiement des passages et veillent au bon déroulement des opérations. Parmi les plus prospères, on trouve un certain nombre de Nigérians et de Ghanéens.

• Quant au sommet de la pyramide, il est occupé par des hommes d’affaires professionnels qui n’ont pratiquement aucun contact avec les migrants, et dont le rôle est de négocier les moyens de transport et les pots-de-vin nécessaires au bon déroulement des opérations.

Il est donc difficile de déterminer si les fonctionnaires qu’ils corrompent doivent être placés au-dessus ou en-dessous d’eux dans cette hiérarchie, leur relation étant intrinsèquement symbiotique.

Aux termes du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, quiconque facilite la migration illicite peut être assimilé à un trafiquant. On peut donc considérer que de nombreuses personnes qui interviennent, à un titre ou à un autre, tout au long du processus, se rendent complices du trafic de migrants.

Les conducteurs de camion et les personnes qui gèrent ou ravitaillent les centres d’hébergement sont tous des maillons indispensables au succès de cette activité. Les chauffeurs qui transportent les migrants à travers le Sahara sont généralement issus de groupes nomades, dont certains ont perdu leur cheptel lors des grandes sécheresses des années 70 et se sont reconvertis dans le transport de migrants pour assurer leur survie.

C’est le cas notamment des Touaregs du Niger et du Mali, des Toubous au Tchad et en Libye et des Zaghawas au Tchad et au Soudan.

On trouve aussi à ce niveau de la pyramide les nombreux migrants qui aident les trafiquants de multiples manières, en échange de compensations diverses, et notamment de services de trafic de migrants. Comme on l’a vu précédemment, ces migrants peuvent être recrutés en qualité de rabatteurs, de « guides », de capitaines de bateau, d’écopeurs ou de recruteurs même pour les maisons closes.

L’Europe s’est mis le « doigt dans l’œil »

L’Europe ne voit l’argent que comme une solution idéale pour faire face à la question de la migration irrégulière. Elle ne le considère pas comme un dossier universel de dimensions humaines, mais trouve qu’avec de l’argent l’Europe pourrait protéger ses frontières maritimes des vagues d’immigration.

Les réflexions développées par les chercheurs et observateurs à ce propos ont permis de lever le voile sur des dimensions et des aspects forts pertinents pour comprendre la place et le rôle qu’occupe la migration internationale dans les sociétés nord-africaines ainsi que les interrogations relatives au futur de ces migrations à l’intérieur de la région et dans ses relations avec ses voisinages européen et subsaharien.

D’ailleurs, les débuts de la mise en œuvre du pacte Mondial sur la migration et pour la réalisation des Objectifs de Développement à l’horizon de 2030 placent les pays et les sociétés nord africaines, ainsi que leurs partenaires internationaux devant un ensemble de défis et d’enjeux qu’ils doivent relever, à un moment où les pays européens, qui ont volé la richesse des pays africains et refusé d’accueillir leurs citoyens, tentent de convaincre le président tunisien « Kais Saïed » de faire de son pays un point d’ancrage pour les migrants d’Afrique subsaharienne que l’Italie veut expulser de son territoire.

De son côté, le Conseil de l’Europe soutient un programme d’assistance aux groupes vulnérables, y compris les migrants en Tunisie, ainsi que l’Union africaine, et des efforts doivent être consacrée à la réduction du phénomène de la traite des êtres humains et de la violation de la dignité humaine.

Cependant, les pays européens continuent toujours à rejeter l’idée que « le développement des migrations irrégulières est bel bien le résultat des restrictions à l’entrée et de la fermeture des voies de migration légale et ordonnée ».

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