Rajoelina: ÉChec et Mat?

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Rajoelina: ÉChec et Mat?
Rajoelina: ÉChec et Mat?

Ikala Paingotra

Africa-Press – Madagascar. La journée d’hier a vu une partie de fanorona à trois se jouer entre l’Assemblée nationale, qui a voté pour prononcer l’empêchement d’Andry Rajoelina, président en télé-travail ; ledit Andry Rajoelina qui a tenté de dissoudre ladite Assemblée nationale afin de lui couper l’herbe sous les pieds ; et les militaires du Capsat qui ont décidé de procéder à la mise en place d’un Conseil de défense nationale de Transition (CDNT). Afin de couper court aux débats sur la chronologie des évènements et la légalité constitutionnelle, la Haute cour constitutionnelle (HCC) a constaté la vacance des postes de Président de la République et du Président du Sénat, et a invité le Colonel Michael Randrianirina à exercer les fonctions de Chef de l’État. Le coup d’État a donc été entériné par la juridiction gardienne de la Constitution, même s’il y a quand même des incohérences au niveau de certaines dates et heures.

Il s’agit maintenant de voir comment va se synchroniser cette nouvelle réalité juridique édictée par la HCC avec la réalité des rapports de force sur le terrain. L’expérience des crises passées montre que les décisions de la HCC sont rarement gobées en silence par le camp des mécontents qui s’estiment lésés. On va donc observer comment le camp Rajoelina va résister et faire usage de sa capacité de nuisance. Si on ne pense pas qu’elle puisse faire grand-chose sur le terrain dans le contexte actuel, elle va en revanche beaucoup manœuvrer sur le plan diplomatique pour grossir l’étiquette de coup d’État et attirer sur les nouveaux dirigeants malgaches les condamnations internationales. Le Président de la SADC s’abaissera-t-il à revenir au pays avec des contingents armés venant de « pays frères » ou des mercenaires pour tenter de reprendre le pouvoir? L’homme n’étant pas étouffé par les scrupules, rien n’est impossible.

Beaucoup de zones d’ombres ont entouré le jeu de fanorona évoqué plus haut, et les résultats produisent plus de questions qu’ils ne donnent de réponse. Si l’intérêt supérieur de la Nation est un leitmotiv officiel et systématique, on sait que l’intérêt de la ration est aussi un paramètre central dans la vie politique malgache. Le vote de l’Assemblée nationale et la décision de la HCC ont-ils été pris par leurs membres en leur âme et conscience, ou bien y a-t-il eu des incitations, voire de la coercition? Comme d’habitude, cette nouvelle transition ne va-t-elle pas servir de gigantesque machine à laver pour procéder au blanchiment de casseroles et de parcours peu reluisants, allant jusqu’à transformer des prisonniers de droit commun en prisonniers politiques? Quels sont les points communs avec les coups d’État militaires du Sahel? Faut-il mettre sur le compte du hasard que quelques drapeaux russes soient apparus lors des manifestations de mercredi à Antanimbarinandriana? Etc.

Il semble que la Gen Z ait juste servi de marchepied, et se soit fait déposséder de son combat. Pas nécessairement au niveau de la distribution de chaises, car elle n’en a jamais fait un objectif (sauf pour l’Assedu-Madagascar), mais plutôt dans les valeurs pour lesquelles elle a combattu. Il n’est pas évident que la nouvelle nomenklatura qui s’apprête à s’installer, tant au niveau des civils que des militaires, ait le profil parfait pour répondre aux aspirations des jeunes à la démocratie, à la bonne gouvernance, au respect de l’État de Droit et à la lutte contre la corruption. Certes, il faut les voir à l’œuvre avant de les juger. Mais sans vouloir citer de noms, beaucoup de ceux qui s’activent actuellement sur les podiums ou en coulisses ont (déjà) été parties prenantes du coup d’État de 2009, et ont contribué aux mensonges, manipulations et actes de cet acte minable perpétré par Rajoelina. Ils sont donc entièrement solidaires du parcours calamiteux de notre pays jusqu’à sa situation actuelle.

Éviter les erreurs de 2009

Les leçons de 2009 restent donc d’actualité pour nous servir de repères. Selon la formule bien connue de Karl Marx, oublier les leçons de l’Histoire, c’est se condamner à la répéter. En 2009, nombre des artisans du coup d’État avaient utilisé la vitrine de la religion pour se donner une image respectable. En 2009, l’espace de non-droit créé par le coup d’État a vu de nombreux dérapages, en particulier du fait de structures ex-nihilo comme la Commission nationale mixte d’enquête (CNME) et la Force d’intervention et de sécurité (FIS). En 2009 on a vu comment le régime politico-mafieux qui s’est installé au pouvoir a profité éhontément du coup d’État pour se servir en toute impunité. En 2009, le coup d’État avait été perpétré au nom de la démocratie et de la bonne gouvernance, avant que l’on ne s’aperçoive très rapidement de l’hypocrisie de Rajoelina et son clan sur ces sujets.

Il est donc utile de rappeler aux nouveaux dirigeants que les Malgaches savent maintenant le peu de valeur des promesses politiques et attendent des actes, après le Paradis socialiste de Ratsiraka, le « minoa fotsiny ihany » de Ravalomanana et les velirano de Rajoelina. Un retour de Rajoelina au pouvoir n’est toutefois plus possible, malgré les fantasmes du community manager de la page Facebook de la Présidence de la République. Il faut donc avancer à partir du contexte actuel et limiter la casse. Le vin est tiré, il faut le boire.

Il est toutefois peut-être possible de sauver les meubles et éviter de repartir dans les errements de 2009, à quatre conditions. Premièrement, le CNDT doit arriver à baliser la suite des évènements pour sauvegarder un minimum d’honorabilité du régime. Deuxièmement, il doit avoir l’intelligence de procéder à la nomination d’un Premier ministre de valeur et véritablement consensuel. Des ministres compétents, intègres et de bonne notoriété permettront de gagner la légitimité qui reste au nouveau pouvoir à acquérir après la légalité obtenue à la HCC. Troisièmement, il devra très rapidement montrer des résultats, à commencer par le sujet des délestages. Les attentes de la population dans ce domaine sont très élevées, et le moindre retard lui sera sévèrement reproché. Ce serait le comble que la Gen Z revienne dans les rues pour les mêmes revendications dans quelques mois. Enfin, le CDNT devrait ouvrir une concertation avec les milieux universitaires (politologues, sociologues, anthropologues) et la société civile pour un diagnostic objectif des maux politiques de ce pays, sans interférence avec les politiciens qui ont leur propre agenda. Ce qui a manqué à Rajoelina est cette connexion avec le milieu intellectuel, mais on ne peut pas lui en vouloir vu son niveau d’instruction.

Malgré toutes les interrogations légitimes, le colonel Randrianirina semble bénéficier d’un certain capital-confiance de la part de la population. À charge pour lui de ne pas décevoir, et de faire en sorte que la population n’ait pas à regretter son prédécesseur. Ce dernier, qui a refusé de comprendre hier, finira par comprendre trop tard.

Source: Madagascar-Tribune.com

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