Sales coups numériques dans l’espace politique

3
Sales coups numériques dans l’espace politique
Sales coups numériques dans l’espace politique

Ndimby A., Patrick A.

Africa-Press – Madagascar. La proximité des élections législatives à Madagascar alimente déjà son petit manège de « sales coups » de la part du pouvoir pour nuire aux adversaires politiques. L’emprisonnement d’Olga Ramalason, heureusement sortie de prison vendredi, n’est qu’un des épisodes d’une campagne qui ne peut qu’être sale, dans un contexte malgache qui n’arrête pas de donner raison à ceux qui méprisent la politique et les politiciens. De manière générale, les manœuvres indignes à Madagascar restent encore plutôt dans le domaine du classique (emprisonnement, contrôle fiscal, tracasseries administratives etc.), même si les réseaux sociaux du pays sont déjà le champ d’action de comptes fake destinés à chanter les louanges du camp qui les nourrit et à discréditer les adversaires, y compris à coups de diffamation et de dénigrements toujours impunis, sauf quand ils s’attaquent au pouvoir. On n’oublie pas que l’existence d’usines à troll soupçonnées d’être au bénéfice des autorités à Madagascar a déjà fait l’objet d’une enquête journalistique sérieuse.

À l’étranger, les interférences malsaines entre politique et numérique ne cessent de se complexifier. À quelques semaines des élections législatives européennes, Emmanuel Macron vient de pointer du doigt les interférences de pays autoritaires dans la vie politique européenne, et en particulier dans les élections. Jeudi dernier, il n’a pas hésité à alerter sur « un retour de la propagande, des fausses informations, qui viennent bousculer nos démocraties libérales ». L’ingérence russe dans la présidentielle états-unienne de 2016 en vue de favoriser l’élection de Donald Trump a déjà largement été commentée et documentée. On se souvient également du reportage sur l’ingérence russe dans la présidentielle de 2018 à Madagascar, qui a valu à notre consœur Gaëlle Borgia et à une équipe du New York Times la récompense la plus prestigieuse à l’échelle planétaire dans le monde du journalisme, le prix Pulitzer. Enfin, même si a priori aucune puissance étrangère n’y était associée, n’oublions pas la polémique autour de l’utilisation de données de Facebook par Cambridge Analytica au profit de Donald Trump, qui illustre parfaitement que le cyberespace est devenu un champ de bataille politique.

Le problème est donc non seulement réel mais mondial. L’ambition de la Russie et de la Chine est de déstabiliser les démocraties établies, de promouvoir leur modèle de coopération peu regardant sur les violations des droits de l’homme et des principes démocratiques (d’où leur attrait auprès des dirigeants africains), et si possible, de placer des hommes qui leur sont favorables dans les cercles du pouvoir en vue de favoriser les opportunités de business (comme le montre cet article de la Revue internationale d’intelligence économique au sujet de l’influence russe au Sénégal et à Madagascar). Une succession de scandales de corruption d’officiels européens au profit de la Russie et de la Chine a fait réagir le Parlement européen. Si même des élus et responsables politiques en Belgique, Allemagne, Pologne, Hongrie, France ou aux Pays-Bas sont vulnérables aux « sollicitations », quelle est la capacité de dignité et de résistance des politiciens malgaches ?

Avec les avancées de la technologie et en particulier des intelligences artificielles génératives, on peut maintenant créer des photos et des vidéos dont le côté fake est de plus en plus difficile à détecter. En Slovaquie, un candidat vient de perdre une élection qui lui semblait promise parce qu’une vidéo deep fake a fait le buzz deux jours avant le scrutin et a porté un coup à sa réputation. Il s’agit d’une vidéo créée par intelligence artificielle, et dont l’image et la voix semblaient être authentiques, mais ne le sont pas.

Les vigilants et les autres

Si même dans des pays développés, la croissance du phénomène inquiète, on ne peut que se demander ce qu’il va en être du futur des élections à Madagascar. Il est vrai que nous sommes déjà dans un pays aux innombrables surprises: les morts font régulièrement partie des listes électorales, les litiges électoraux sont par magie toujours résolus au bénéfice du pouvoir en place, et l’on subit avec régularité le blanchiment d’auteurs de coups d’État par prestidigitation électorale. Désormais, l’on doit en sus se demander ce qui arrivera quand les deep fake intégreront les réseaux sociaux à Madagascar.

Le jour où un montage photo ou vidéo quasi-parfait va représenter un politicien, un dirigeant du FFKM ou un leader de la société civile en situation compromettante, il n’y a malheureusement guère de doute que la majorité des Malgaches va s’empresser d’y croire et de partager pour le plaisir du buzz croustillant. Triste constat alimenté, d’une part par l’absence de scrupules et de morale de la classe politique quand il s’agit de détruire les rivaux, et d’autre part, par la prolifération de citoyens benêts chez lesquels le sens critique est à l’image des testicules chez les castrats: absent. C’est ce qui explique par exemple qu’un coup d’État avéré soit perçu par certains comme une valeureuse révolution, même si la seule chose qu’elle a révolutionné est la situation de fortune de la clique à la manœuvre.

Ces évolutions ne feront qu’accroître les inégalités face à l’information entre les institutions et les simples citoyens. L’État malgache ou une grande entreprise auront bien plus de facilités qu’un simple individu à faire stopper la diffusion par les grandes plateformes telles que Facebook d’une information bidonnée. De telles inégalités seront encore accrues lorsqu’il s’agira de faire identifier le premier diffuseur, l’auteur et le commanditaire de ce bidonnage. Cette situation ne fera que renforcer le sentiment d’impunité chez quelques-uns et celui d’impuissance chez bien d’autres.

L’incapacité des grands acteurs de l’internet à filtrer les contenus « incroyables mais faux », voire toxiques, n’est plus à démontrer. L’on en est même aujourd’hui au temps des soupçons que ces grandes plateformes trouvent un intérêt, qu’il soit commercial ou idéologique, à amplifier de tels contenus. Les États-Unis ont renforcé le bras de fer entamé depuis quelques années avec la maison mère de TikTok pour que cette plateforme coupe tout lien avec la Chine. L’Union Européenne, pour sa part, fait monter en puissance sa nouvelle règlementation sur les services numériques (DSA). Pour l’heure, rien ne convainc que toute cette agitation puisse avoir un réel effet positif envers les internautes de Madagascar.

Ceux-ci seront bien inégaux à faire face à la marée de fakes qui se prépare. Dans notre pays, le taux d’éducation est tel que la majorité de la population croit en tout et n’importe quoi, du menaka dragon aux velirano politiques, en passant par toutes les autres escroqueries (Antares, Ouest-Sucre etc.) qui trouvent toujours de bons clients, tout comme la flopée de charlatans sous couvert de mouvements religieux et qui s’auto-proclament pasteur, révérend, apostoly, bishop, ou même messie.

Ceux qui gardent l’ambition de survivre face à cette situation auront donc tout intérêt à garder en mémoire cette vidéo informative sur ce qu’est un deep fake.

Source: Madagascar-Tribune.com

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Madagascar, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here