La porte pour l’Europe

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La porte pour l’Europe
La porte pour l’Europe

Ndimby A., Patrick A.

Africa-Press – Madagascar. Le gouvernement malgache vient d’obtenir le rappel d’Isabelle Delattre, qui est donc de facto la future ex-ambassadrice de l’Union européenne (UE) à Madagascar. Il est reproché à cette diplomate affectée à Madagascar en 2022 d’avoir effectué une série de déclarations critiques contre le pouvoir, en particulier au sujet des élections, du fonds d’entretien routier, et de la décision de castration chirurgicale pour les violeurs. Comme il n’est pas possible d’octroyer les diplomates vazaha avec la même ration de gagazo généreusement distribuée aux opposants et lanceurs d’alerte malgaches, Mme Delattre a donc « juste » été déclarée persona non grata. Mais tant pour les vazaha que les gasy, la méthode a pour but de servir d’exemple pour intimider le reste et l’encourager à rester « dans le droit chemin ».

Isabelle Delattre vient donc d’apprendre un principe de base de la survie des diplomates dans notre pays: seuls l’approbation, le silence, ou mieux encore l’obséquiosité, sont des attitudes acceptables. Tout autre comportement sera immédiatement perçu comme une ingérence inacceptable et un affront dans un pays qui se dit jaloux de sa souveraineté, même s’il vient de voter pour un chef d’État qui a quémandé la nationalité de l’ancien colonisateur.

On note toutefois que depuis la révélation de sa nationalité française, Andry Rajoelina fait feu de tout bois pour tenter de la faire oublier, et saisit la moindre occasion d’apparaître comme un patriote émérite et sans concession. Après les différentes agitations autour du Rova d’Antananarivo, du taom-baovao malagasy ou du 29 mars, aujourd’hui il tente d’apparaître comme le valeureux nationaliste qui ose virer une diplomate vazaha, ce qui ne pourra que provoquer les bravos et les vivats de son fan-club. Il y a donc une première lecture possible de ce coup de tonnerre dans l’ambiance habituellement feutrée des couloirs de la diplomatie: faire exprès de sur-jouer la réaction pour pouvoir se draper du nationalisme le plus sourcilleux.

On rappelle qu’Isabelle Delattre n’est pas la première victime de la susceptibilité des dirigeants malgaches. L’ambassadeur français François Goldblatt avait été remis à son gouvernement par le régime Rajaonarimampianina en 2015 pour avoir osé critiquer le limogeage du directeur général du Trésor. L’ambassadeur français Gildas le Lidec avait été éjecté d’Ambatomena à la demande de Marc Ravalomanana qui le soupçonnait de porter « le mauvais œil » dans les pays où il était en poste. Enfin, on murmure dans les couloirs du ministère des Finances que Marc Ravalomanana aurait aussi obtenu en 2008 le rappel du Représentant résident de la Banque mondiale Robert Blake, qui n’ouvrait pas assez grand et assez vite les robinets pour soutenir la volonté présidentielle de chouchouter Toamasina, et ce après la défaite de son parti dans la Capitale lors des municipales de 2007.

Par conséquent, il y a également une deuxième lecture possible à la réaction du clan Rajoelina dans le cas Delattre. Le tempérament narcissique du chef de l’État actuel fait qu’il ne supporte pas d’être distancé par des rivaux. Tout comme il a voulu se créer artificiellement un 6ème dan en art martial pour pouvoir, au moins sur le papier, égaler le député de Toliara Siteny Randrianasoloniaiko, il se hisse à sa manière au niveau des présidents Rajaonarimampianina ou Ravalomanana en demandant le renvoi d’un ambassadeur.

Le dilemme du diplomate vazaha à Madagascar

Ici se pose donc une question essentielle: quel est le comportement attendu d’un chef de mission diplomatique à Madagascar ? Il y a en effet un dilemme évident.

D’une part, il y a la nécessité de maintenir de bonnes relations avec le pays hôte afin de pouvoir travailler correctement. Cela encourage le cirage des pompes étatiques et gouvernementales. Malgré le fait qu’ils soient très bien informés des réalités du pays, les ambassadeurs font souvent le choix d’accepter de servir la propagande du pouvoir, sous prétexte de remplir leur mission de servir la coopération bilatérale ou multilatérale. Et par ricochet, soigner leur carrière personnelle qui ne peut que bénéficier d’un parcours brillant dans les pays d’affectation.

Mais d’autre part, il y a la nécessité de tenir dignement son rôle. Par exemple, l’ambassadrice Delattre est redevable devant les États et les citoyens de l’Union européenne du suivi de l’utilisation des fonds et du respect des accords signés. Comment pourrait-on donc durablement exiger qu’elle ferme les yeux sur les violations des valeurs démocratiques et des principes de bonne gouvernance ? Les faits qu’elle a évoqués sont difficilement niables: les recommandations clés de la mission d’observation électorale de 2018 n’ont pas été mises en pratique, le Fonds d’entretien routier ne reçoit pas de l’État malgache les sommes prévues pour sa mission, et la loi prévoyant la castration des violeurs est en contradiction flagrante avec les conventions internationales que Madagascar a ratifié. Ces faits énoncés publiquement ont eu plus d’effets qu’une opinion qui aurait été exprimée dans les feutrés salons privés: il n’y a souvent que la vérité qui blesse.

Par le courage qu’elle a eu d’appeler un chat un chat, l’ambassadrice s’est démarquée du troupeau de ses confrères dociles et serviles, et a également porté la voix des sans-voix, qui ne peuvent pas publiquement s’exprimer. Elle a donc ainsi fait de la délégation de l’Union Européenne un interlocuteur privilégié pour ceux qui avaient des récriminations au sein de l’opposition ou de la société civile. Sans doute a-t-elle également payé cela, car certains auraient préféré qu’elle se satisfasse du principe: « vazaha, donne l’argent et tais-toi ».

Soulignons toutefois que même dans la violence de sa réaction, le gouvernement malgache essaie de ne pas la rendre extrême en évitant de lui donner un effet immédiat. Un départ concerté au moment des vacances d’été essaie de sauver les meubles, à défaut de sauver le soldat Delattre. Cependant, l’UE n’est pas dupe et a averti au micro de RFI que « son départ dans ces conditions aura forcément des conséquences, politiques et financières ». On attendra avec curiosité de voir comment cette promesse pourrait se traduire. À moins que le cas Delattre n’encourage l’UE à mettre de l’eau dans son vin, autrement dit à fermer les yeux, se boucher les oreilles et fermer la bouche, comme les fameux singes de la sagesse.

Source: Madagascar-Tribune.com

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