Madagascar file un mauvais Cotonou

4
Madagascar file un mauvais Cotonou
Madagascar file un mauvais Cotonou

Africa-Press – Madagascar. Comme il fallait s’y attendre, la demande de rappel d’Isabelle Delattre génère de nombreux commentaires de la part de spécialistes auto-proclamés des relations internationales et de la diplomatie. Les partisans du pouvoir en place auraient préféré que Mme Delattre se contente de décaisser l’argent de l’Union européenne (UE) mais sans s’exprimer sur les valeurs défendues par l’UE. Il n’y a aucune surprise à constater un tel point de vue chez des personnes nourries aux mamelles d’un coup d’État. Rappelons toutefois deux faits essentiels pour le bénéfice de ceux qui osent le défi de l’intelligence, ou qui tout simplement privilégient l’objectivité au fanatisme.

Premièrement, l’UE n’est pas un pays, ce qui semble avoir échappé à certains commentateurs qui auraient voulu que son ambassadrice soit tenue à la même hypocrisie diplomatique que l’ambassadeur d’un pays. Ses ambassadeurs ont un peu plus de latitude que ceux de France, d’Allemagne ou de Grande-Bretagne, pour ne citer que les Européens présents à Madagascar. Rappelons que l’UE regroupe 27 États membres autour de valeurs et principes communs: « liberté, démocratie, égalité et état de droit, promotion de la paix et de la stabilité » (source: site de l’Union européenne).

Deuxièmement, « les relations entre Madagascar et l’Union européenne prennent place dans le cadre de l’accord de Cotonou qui établit un partenariat complet reposant sur la coopération politique, la coopération économique et commerciale et la coopération au développement » (source: site de la délégation de l’UE à Madagascar). Cet accord constitue un partenariat entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), et met un accent particulier sur la promotion de la démocratie et de l’état de droit parmi les états signataires.

Madagascar s’est engagé à respecter les termes de cet accord ; par conséquent, l’Union européenne est en position légitime d’en dénoncer les violations. Il en est de même pour toute organisation ou institution internationale liée à notre pays sur la base d’un accord ou d’un traité, donc pas seulement l’UE, mais aussi l’Union africaine, la SADC, le Fonds monétaire international etc. Pleurnicher pour dénoncer une ingérence quand ce genre d’organisation exige juste des États membres le respect de leurs obligations est, au mieux, un manque de connaissance, et au pire une preuve d’immaturité flagrante d’adultes à mentalité d’adolescent attardé.

Toujours d’après le site de la délégation de l’UE à Madagascar, « en vertu de l’article 8 de l’Accord de Cotonou, un dialogue politique périodique se tient entre les autorités malgaches, la Délégation de l’Union européenne et ses États membres en vue d’échanger des informations, d’encourager la compréhension mutuelle et de faciliter la définition des priorités communes. Ce dialogue porte en premier lieu sur les valeurs et les principes fondamentaux partagés par l’Union européenne et Madagascar, ainsi que toutes questions d’intérêt général ou régional. Par ailleurs, l’Union européenne soutient la tenue d’élections démocratiques à travers des projets d’aide spécifique au processus électoral, et au déploiement de missions d’observation électorale (MEO). Enfin, l’engagement et l’action de l’Union européenne convergent en faveur d’un rôle plus important pour la société civile, comme élément essentiel de gouvernance démocratique et de partenariat efficace pour le développement ». Le dernier dialogue politique annuel a eu lieu à la fin du mois d’août 2023. Le prochain promet d’être mouvementé. Madagascar escompte-t-elle sur Wagner, la Turquie et les membres de l’alliance BRICS, qui ne se préoccupent pas des considérations occidentales en faveur de la démocratie et de l’état de Droit ? Car vu sous cet angle, les dirigeants malgaches ne peuvent qu’être appâtés par ces nouveaux partenaires aussi peu regardants qu’eux dans ces domaines.

Coupable d’avoir joué son rôle ?

En attendant, de tout ce qui précède, il est clair que l’ambassadrice Delattre n’a fait que jouer son rôle, même si cela déplaît à ceux habitués à la complicité des diplomates cire-pompes, espèce non-rare et pas en voie de disparition. Son organisation et ses États membres financent les routes et les cycles électoraux. Est-ce inconcevable qu’elle exprime sa déception sur ces sujets sensibles, dans l’espoir (sans doute illusoire dans le contexte) que les critiques permettent de faire avancer les choses et éviter les tonneaux des danaïdes ? Il est probable que le sujet de la castration des auteurs de viols sur mineurs ait été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Certes, aucun financement européen n’est concerné par cette initiative taitaitra et aussi insuffisamment réfléchie que le breuvage Covid-Organics. Toutefois, en rappelant le Droit international au nom des valeurs défendues par l’UE, Mme Delattre est encore une fois dans son rôle.

Cela étant dit, l’on se demande ceci: pourquoi a-t-elle choisi de porter les sujets qui fâchent sur la place publique, au lieu d’utiliser des canaux plus discrets et moins vexants pour les autorités malgaches ? Elle est d’ailleurs parfaitement au courant de l’absence de capacité du pouvoir actuel à reconnaître ses torts et admettre les critiques, ce qui nécessite des gens bien éduqués, démocrates et patriotes. En outre, il y a quelques semaines, les réseaux sociaux ont révélé que son mari aurait eu un comportement plutôt minable à bord d’un avion d’Air France en provenance d’Antananarivo, ce qui a rendu la position de son épouse vulnérable aux attaques des autorités malgaches devant Bruxelles.

La seule réponse possible à la question précédente est qu’elle a sans doute épuisé pendant de longs mois la méthode discrète devant un mur de be marenina. Dans ce cas, il est difficile d’imaginer qu’elle n’en ait pas référé à sa hiérarchie et à ses collègues des États membres en poste à Antananarivo avant de s’exprimer publiquement. La position d’Isabelle Delattre est donc celle de son organisation. Ceux qui espèrent que demander le remplacement du messager va entraîner le remplacement du message risquent d’aller au-devant de grandes désillusions.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Madagascar, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here