Ikala Paingotra
Africa-Press – Madagascar. Quelles que soient les circonstances, il est de tradition dans notre pays de souhaiter la bienvenue aux étrangers de passage. C’est donc par ces mots que nous vous accueillons aujourd’hui: “Tonga Soa”.
Tonga soa donc dans une Capitale propre, sans embouteillages, probablement sans délestages d’eau et d’électricité, avec peu (ou pas) de sans-abri, avec des tunnels peinturlurés, et surtout sans opposition manifeste. On ne vous fera pas l’injure de croire que vous êtes naïf: nous savons que vous savez que ce n’est pas la réalité quotidienne des Malgaches. Votre administré, le président français de la République de Madagascar, a fait de son mieux pour vous accueillir dans les meilleures conditions qui lui étaient possibles, et le pouvoir a fait feu de tout bois pour vous offrir une belle vitrine de développement et de démocratie. Le fils de pub, pour reprendre l’expression de Jacques Séguela, excelle dans la poudre aux yeux. Après les résultats électoraux discutables, les titres honorifiques suspicieux, une ceinture noire sixième dan douteuse, Andry Rajoelina vous accueille dans un contexte propre et aseptisé à l’image de son titre de meilleur leader politique africain: factice.
Il va sans doute vous parler de sa popularité au sommet, de ses réalisations mirifiques, de l’amour incommensurable que lui porte la population malgache, de ses réalisations jamais vues à Madagascar depuis le retour à l’indépendance, et autres éléments de sa réthorique de propagande. Il est tellement confiant dans sa popularité que le pouvoir a tout fait pour empêcher les manifestations (qui sont d’habitude réprimées dans la brutalité) pendant votre présence sur place. Vous avez eu à plusieurs reprises montré un courage démocratique exemplaire en allant dialoguer avec des manifestants qui vous étaient hostiles. Sans doute le fait que le Président Rajoelina soit loin d’être énarque explique la différence de conception et de pratique de la démocratie et des libertés entre vous deux. Lui et ses hommes-lige ont même inventé un nouveau concept: manifester contre le pouvoir pendant le Sommet de la COI est un acte anti-patriotique et de dénigrement contre le pays. Étrange de la part d’un homme qui a fait un coup d’État, entre autres pour empêcher que Marc Ravalomanana ne bénéficie des retombées de l’accueil du Sommet de l’Union africaine et de celui de la SADC.
Nous savons que les services de presse de l’Ambassade effectuent quotidiennement une revue médiatique sur les sujets qui intéressent la France, et dont une synthèse parvient à Paris. Il ne vous a donc pas échappé que votre arrivée a été précédée de mouvements d’humeur sur divers sujets. Ne les prenez pas de façon personnelle, et n’y voyez pas de la francophobie primaire. Nous avons la lucidité pour comprendre que vous avez été élu et que vous êtes payé pour servir les intérêts de la France, même si votre position personnelle nous irrite sur certains sujets. Vous n’avez rien à avoir avec la colonisation, la séquestration des îles éparses, les événements de 1947, l’octroi de la nationalité française à un chef d’État en fonction (même si c’était un mandat volé par la force des armes). Tous ces faits se sont déroulés avant que vous ne soyez aux affaires. Vous en n’êtes pas coupable, mais vous savez aussi que vous serez quand même tenu responsable de l’évolution de certains de ces sujets.
La frénésie du paraître
La professeure de français que je suis, exerçant dans un pays voisin du vôtre, va se permettre de paraphraser son auteur préféré, votre Rabelais national: « paraître sans être n’est que ruine de l’âme ». Vos notes de briefing vous ont certainement parlé du Colisée implanté sans aucune considération de la sacralité du Rova d’Antananarivo (et qu’il vous fera certainement visiter pour vous montrer que lui aussi, il s’est mis à l’égal des rois et reines en bâtissant à cet endroit avec la complicité de quelques andriana félons) ; de la rénovation du stade Barea (qui jusqu’à ce jour a été incapable d’être homologué par la Fifa) ; de la polémique sur le prêt octroyé par la France pour mettre en place le téléphérique dans la Capitale (polémique que vous connaissez puisque deux sénateurs français ont même interpellé votre gouvernement sur cet étrange prêt, octroyé à l’orée d’une élection présidentielle dont la propagande nécessitait des fonds) ; et des projets mégalomaniaques à venir que sont le Palais des louanges ou du Lac Ivato. Pendant ce temps, comme vous le savez, les problèmes sociaux et économiques s’accumulent. Les dérives autocratiques également, et les histoires de Paul Rafanoharana et du colonel François, qui ne vous sont pas étrangères, ne sont qu’une infime partie de ce que le peuple malgache subit.
Nous rappelons ces faits, non pas dans l’espoir que vous allez les solutionner, mais pour nous permettre d’attirer votre attention sur un point important: après la défection volontaire des États-Unis comme leader des pays démocratiques, puis le prochain départ de la Fondation Friedrich Ebert de notre pays, la voix de la France restera à Madagascar la seule capable de rappeler aux dirigeants les valeurs démocratiques et les principes de bonne gouvernance à un pouvoir de moins en moins scrupuleux. Il est en cela encouragé par le comportement de la communauté internationale, car il est dans l’incapacité de comprendre que derrière la diplomatie de circonstance dans les paroles et les actes, il y a une lucidité internationale sur la réalité. On refuse de croire qu’un fort en thème d’exception tel que vous accorde crédit à la propagande locale. Nous savons que vous savez.
Malheureusement, les intérêts géopolitiques de la France vous poussent à ménager le peu qui vous reste de pré-carré, après les divers épisodes dans le Sahel. Toutefois, l’homme de culture et de réflexion que vous êtes n’est pas sans ignorer qu’à la base de ces dynamiques, il y a eu une rancœur contre la politique africaine de la France durant des décennies, marquée par le soutien aveugle à des dictatures fantoches se prétendant démocrates. Serez-vous un digne successeur du Président Mitterrand dont l’influence en Afrique a été majeure après son discours de la Baule, ou bien, vous contenterez-vous de prendre pour modèle le Président Giscard d’Estaing, qui a préféré laisser faire les dérives de Bokassa jusqu’à en financer la cérémonie du couronnement ?
Source: Madagascar-Tribune.com
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