Scandale de l’or de contrebande à Madagascar : la version des autorités remise en cause

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Scandale de l’or de contrebande à Madagascar : la version des autorités remise en cause
Scandale de l’or de contrebande à Madagascar : la version des autorités remise en cause

Africa-PressMadagascar. C’est une affaire digne d’un roman d’espionnage. Dernier rebondissement en date dans le scandale des 73,5 kilos d’or malgache saisis en Afrique du Sud : des vidéos et des documents officiels mettent à mal la version des douanes et de la gendarmerie.

Il est tout juste 4 h 16 du matin, ce 31 décembre 2020, quand les trois passagers pénètrent dans le hangar de la compagnie aérienne privée STA, à Ivato, l’aéroport d’Antananarivo. L’agent de sûreté aéroportuaire, de la société Amarante, fouille méticuleusement leurs sacs, six au total. Rien à signaler. Après les salutations d’usage, les trois hommes embarquent à bord d’un Piper PA-42 Cheyenne III – un bimoteur 9 places, immatriculé 5R-ASB – , direction Johannesburg, via Tuléar, une ville du sud-ouest.

La fouille, qui peut d’ordinaire paraître anodine, a été filmée par une caméra de vidéosurveillance dont Jeune Afrique a pu consulter les images. Elles attestent qu’un contrôle a donc été réalisé au départ d’Antananarivo… Sauf que, quelques heures plus tard, lorsque les passagers arrivent en Afrique du Sud après leur escale à Tuléar, les douaniers saisissent dans leurs bagages 73,5 kg d’or de contrebande, ainsi que des devises pour un montant que les autorités sud-africaines n’ont, pour l’heure, pas divulgué.

Soupçons de complicités

Depuis, l’affaire a tourné au scandale sur la Grande Ile. Comment une telle quantité d’or a-t-elle pu être extraite et acheminée en dehors du pays, sans qu’aucun des services ne parviennent à contrecarrer les plans des contrebandiers ? Ceux-ci ont-ils bénéficié de complicité ? Et si c’est le cas, à quel niveau ?

Très rapidement, dès le début du mois de janvier, le gouvernement malgache s’est saisi de ce dossier hautement sensible, affichant sa volonté d’identifier les éventuelles responsabilités ou complicités dans l’aviation civile, les douanes, la gendarmerie ou encore les services du ministère des Mines. Si douze personnes ont déjà été placées en détention provisoire, l’enquête continue.

Mais, alors que les services de la gendarmerie et de la douane malgache assuraient que les passagers avaient décollé en dehors de toute procédure, les images de vidéosurveillance du contrôle réalisé à Antananarivo, décrites plus haut, prouvent au contraire qu’un contrôle en bonne et due forme a bien été mené par un agent de la sûreté aéroportuaire et qu’en outre, deux agents du service de santé étaient présents.

Neuf autres documents ont également été révélés par France 24, le mercredi 3 février, et Jeune Afrique a pu les vérifier de manière indépendante auprès de diverses sources. Des documents qui, s’ils ne permettent pas d’attester une éventuelle responsabilité directe ou non d’un membre de ces services, mettent sérieusement à mal la version jusque-là défendue.

La thèse du « vol illégal » battue en brèche

Les contrebandiers d’or présumés sont contrôlés par la douane, sur l’aéroport de Tuléar, avant le vol à destination de Johannesburg, le 31 décembre 2020

Les contrebandiers d’or présumés sont contrôlés par la douane, sur l’aéroport de Tuléar, avant le vol à destination de Johannesburg, le 31 décembre 2020.
Dès le 5 janvier, la douane a assuré qu’elle n’a « pas été saisie pour les formalités d’usage au départ » dans les délais impartis, « ce qui explique son absence au départ du vol à l’aéroport d’Ivato, Antananarivo, où les passagers et bagages ont été embarqués ». Selon plusieurs sources dans l’aéronautique, il est cependant courant que les formalités douanières se fassent dans le dernier aéroport avant la sortie du pays. À Tuléar donc, où l’avion s’est arrêté, officiellement pour refaire le plein de carburant, mais où les contrebandiers auraient pu charger l’or.

Même tonalité le 7 janvier, quand, entouré de pas moins de six ministres – Défense, Justice, Police, Mines, Transport et Affaires étrangères – Richard Ravalomanana, le secrétaire général de la gendarmerie, avait affirmé : « Il n’y a pas eu de contrôle de la PAF. Il n’y a pas eu de contrôle de santé non plus, ni de contrôle des douanes. Donc [l’avion] est sorti illégalement de Madagascar. » À ses côtés, également présents ce jour-là, le directeur des douanes et celui de l’aviation civile de Madagascar acquiescent.

Or, les documents prouvent que la compagnie STA a bel et bien informé l’ACM, le 30 décembre, qu’il s’agissait d’un vol international. Le plan de vol a été transmis aux autorités, y compris l’arrêt à Tuléar, comme en témoigne, par exemple, un email d’autorisation de la partie sud-africaine.

La déclaration de la douane malgache de Tuléar, signée et tamponnée par le douanier sur place.

La déclaration de la douane de Tuléar, signée et tamponnée par le douanier sur place, prouve en outre qu’il y a bel et bien eu un contrôle lors de l’escale. Sur une photo prise lors de celle-ci, et qui a fuité sur les réseaux sociaux, on voit d’ailleurs clairement les six valises embarquées à Antananarivo être contrôlées à Tuléar, avec le douanier à côté. De plus, les reçus de paiement pour le déplacement des services de santé, de la PAF et de la gendarmerie prouvent qu’ils étaient sur place à Tuléar aussi.

Sollicités par Jeune Afrique, la direction de la douane a souligné que le commandant de l’avion « n’a pas respecté les dispositions de l’article 70 du Code des douanes qui stipule que les marchandises transportées par un aéronef doivent être inscrites sur un manifeste signé par le commandant de l’appareil ». Faute de ce document, la douane « n’a pas pu procéder ni à la fouille des passagers ni au scannage des marchandises embarquées ». Elle affirme par ailleurs que l’or et les devises étaient « bien dissimulées à l’intérieur de l’avion », et non dans les valises.

La gendarmerie a de son côté affirmé n’avoir « jamais donné son feu vert au vol », selon un communiqué signé par Richard Ravalomanana. Selon lui, la gendarmerie a été abusée par le gendarme de Tuléar, qui aurait « signé le papier au nom de la GTA ou Gendarmerie de transport aérien, une unité qui n’existe pas à Madagascar ». Le gendarme en question a d’ailleurs été « arrêté » et devrait bientôt « être déféré au parquet pour corruption, complicité de trafic d’or, et usurpation de fonction », précise le secrétaire général de la gendarmerie.

Le plan de vol de l’avion qui a convoyé l’or de contrebande depuis Madagascar jusqu’e Afrique du Sud, le 31 décembre 2020

Le plan de vol de l’avion qui a convoyé l’or de contrebande depuis Madagascar jusqu’e Afrique du Sud, le 31 décembre 2020.
Pour l’heure, l’instruction est toujours en cours. Outre les douze personnes placées en détention provisoire, la justice malgache souhaite également auditionner plusieurs douaniers, mais pas avant que le ministère des Finances, leur autorité de tutelle, n’accepte la levée de leur immunité. Si, à Madagascar, la date du procès n’est pas encore connue, en Afrique du Sud, la première audience qui devait se tenir ce lundi 1er février a été reportée au 19. Une audience très attendue à Antananarivo

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