Art et Cerveau: Réactions Psychologiques Face À L’Art

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Art et Cerveau: Réactions Psychologiques Face À L’Art
Art et Cerveau: Réactions Psychologiques Face À L’Art

Africa-Press – Madagascar. Les toiles de Brueghel et Rubens accrochées aux cimaises du Musée des Beaux-Arts de Caen n’ont pas dû en revenir. Ces derniers mois, elles ont en effet été confrontées à de bien étranges visiteurs. Car ceux qui s’arrêtaient pour les contempler étaient affublés d’étranges lunettes d’eye-tracking (enregistrement des mouvements oculaires), d’un bandeau NIRS (Near InfraRed Spectroscopy, une imagerie cérébrale portable permettant l’enregistrement de l’activité cérébrale du cortex préfrontal) et au poignet d’un capteur dit d’activité électrodermale (analyse de la sudation et de la fréquence cardiaque).

Pourquoi de tels équipements? En raison d’un projet de recherche multidisciplinaire pour le moins innovant, Art, bien-être et cerveau, mené au sein même du musée de Caen dans le cadre du millénaire de la ville et porté par le groupement d’intérêt scientifique « Blood & Brain @ Caen Normandie » (BB@C), le Centre Hospitalier Universitaire de Caen et le réseau professionnel des arts et des cultures numériques en Normandie (Oblique/s).

Un projet au carrefour des neurosciences, de la psychologie et des sciences numériques

Ses particularités: se situer au carrefour des neurosciences, de la psychologie et des sciences numériques. Quant à ses objectifs, il s’agit de mieux comprendre les effets de l’art sur le cerveau, évaluer le bien-être procuré par la fréquentation d’un musée tout en étudiant le fonctionnement du cerveau placé face à une œuvre. Mais les expérimentateurs ont prévu d’aller encore plus loin et de s’intéresser – une première – aux échanges existant entre deux cerveaux, le protocole d’étude ayant prévu que les œuvres soient parfois l’objet d’une observation en duo !

Ce qui intéresse ici tout particulièrement les scientifiques, c’est justement la démonstration d’une éventuelle synchronisation des émotions des participants, comme celle qui se crée entre les cerveaux de plusieurs musiciens jouant dans un même ensemble.

Aux manettes de ce projet pour le moins original, deux pilotes issus de l’Université de Caen Normandie, Véronique Agin, professeure en neurosciences et Denis Vivien, professeur en biologie cellulaire et praticien hospitalier au Centre Hospitalier Universitaire Caen Normandie, en collaboration avec des collègues issus de quatre différents laboratoires*, et assistés de plusieurs étudiants en cours de thèse. « Notre méthodologie est appliquée dans des conditions réelles in situ d’un musée. Travailler avec de tels équipements et un groupe de 200 personnes, cela n’avait jamais été réalisé, insiste Véronique Agin. Nous avons pour ambition d’identifier, grâce à des mesures exhaustives et écologiquement adaptées, les mécanismes cérébraux, cognitifs et socio émotionnels mis en jeu lors de la confrontation visuelle avec des œuvres d’art ».

Ici, les volontaires, tous en bonne santé et âgés de 18 à 65 ans, ont été répartis en trois groupes: deux expérimentaux (80 participants chacun) et un groupe contrôle (40 participants). Si seuls les participants des deux groupes expérimentaux étaient équipés des dispositifs de mesure (lunettes, bandeaux, bracelets), tous ont effectué deux visites au musée et devaient, avant et après, répondre à des questionnaires évaluant leur bien-être et aussi exécuter plusieurs tâches cognitives (répétition de chiffres, reconnaissance de formes…).

Mais les expérimentateurs ont rajouté à leur protocole un détail d’importance: lors de la première visite, un seul des deux groupes expérimentaux a bénéficié d’une médiation culturelle, c’est à dire d’informations relatives à l’œuvre (historiques, techniques…), lues par un professionnel au moment du passage devant le tableau. Pour le second groupe expérimental, également une visite individuelle au musée mais pas de médiation.

En revanche, lors de la seconde visite, réalisée elle à quelques semaines d’intervalle, tous les participants ont de nouveau vu des œuvres mais cette fois systématiquement en duo, « selon des binômes ayant appariés de manière randomisée les participants, l’un ayant reçu une médiation, l’autre pas, détaille la neuroscientifique. Lors de ce second temps, les deux personnes pouvaient alors échanger librement et verbalement entre eux, comme par exemple en partageant les informations éventuellement reçues lors de la première visite ». Est-ce que des émotions naîtront de ces souvenirs, de ce partage? Seront-elles simultanément présentes pour chaque membre du binôme?

Le désir de créer un laboratoire de recherche entièrement axé sur les intimes liens entre art et science

C’est justement cette mise en évidence d’une possible synchronisation entre deux cerveaux et son impact en termes d’émotions qui intéressent les neuroscientifiques. « Nous nous attendons, entre autres, à ce que la variation des réponses émotionnelles soit en lien avec des variations de l’activation du circuit fronto-limbique », précise le Pr Agin. Pour l’instant, toutes les visites au musée ont été réalisées et l’heure est à l’analyse des très nombreuses données (enregistrements oculaires, cérébraux et physiologiques) qui seront dans les mois à venir croisées avec les résultats des questionnaires et des tests cognitifs. Premiers résultats attendus pour la mi-juin 2026.

« Cela nous permettra d’une part de déterminer si la découverte des œuvres, ainsi que la médiation proposée, entraînent une augmentation du bien-être et des capacités cognitives et d’autre part de vérifier notre hypothèse, c’est-à-dire que de meilleures capacités exécutives sont retrouvées après la visite, avec un gain plus marqué chez les volontaires étant dans un état émotionnel positif », précise la Pr Agin. La spécialiste poursuit: « Nous voulons surtout étayer de manière scientifique les bénéfices de l’art sur la santé car la plupart des études menées à ce jour souffrent encore de nombreuses faiblesses méthodologiques ».

Ainsi, différentes expériences (aux Etats-Unis, Canada, Belgique…) ont certes déjà prescrit des visites au musée sur ordonnance, la perception du bénéfice de la fréquentation des musées l’emportant en fait souvent sur une réelle démonstration scientifique avérée de l’activité. « C’est pourquoi avant de proposer des visites au musée à l’aveugle, il est important de s’appuyer sur des données psychiques et cérébrales solides, insiste le Pr Agin. Il nous faut donc mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent les stimulations de notre environnement, que celles-ci soient sociales, physiques, cognitives, alimentaires, chronobiologiques mais aussi artistiques ».

Ce travail, pour l’instant uniquement conduit auprès de volontaires en bonne santé, pourrait ultérieurement se poursuivre auprès de patients atteints de maladies cardiovasculaires, neurodégénératives ou de pathologies psychiatriques. « Nous pourrions aussi créer des binômes avec un malade et un accompagnant, un enfant autiste et son auxiliaire de vie scolaire, un senior atteint d’Alzheimer et son aidant », précise la Pr Agin. Mais déjà nombreux sont les cerveaux des chercheurs de l’université de Caen à se synchroniser pour appeler de leurs vœux la création d’un laboratoire de recherche entièrement axé sur les intimes liens entre art et science.

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