Africa-Press – Madagascar. C’est en analysant les données issues de grandes cohortes de volontaires suivis sur plusieurs décennies que des scientifiques de l’université de Harvard (Etats-Unis) ont mis en évidence un lien entre la consommation de frites et le risque de diabète de type 2. Selon leurs résultats, consommer trois portions hebdomadaires de frites est associé à une augmentation de 20% du risque de développer cette maladie chronique.
L’étude repose sur des données alimentaires recueillies de manière régulière et standardisée auprès de plus de 205.000 adultes initialement en bonne santé. Après plus de dix années de suivi, les chercheurs ont recensé 22.299 cas de diabète de type 2 parmi les participants. L’analyse statistique de leurs habitudes alimentaires révèle une association modérée mais significative entre la consommation de pommes de terre et le risque de diabète. En moyenne, trois portions hebdomadaires supplémentaires de pommes de terre — toutes formes confondues — sont associées à une hausse de 5% de ce risque. Mais ce lien devient nettement plus marqué lorsqu’il s’agit de frites, avec plus de 20% d’augmentation du risque.
Que sont ces cohortes qui permettent d’identifier des facteurs de risque du diabète de type 2?
Pour étudier les liens entre alimentation et santé, les scientifiques de Boston se sont appuyés sur trois grandes cohortes épidémiologiques (des groupes de personnes suivies individuellement pendant plusieurs décennies):
-> La Nurses’ Health Study (mise en place en 1976) et sa version élargie, NHS II (1989), suivent des dizaines de milliers d’infirmières.
-> La Health Professionals Follow-up Study (1986), quant à elle, recueille des données similaires auprès de professionnels de santé masculins.
En cause, l’indice glycémique de la pomme de terre
Parmi les explications avancées, le rôle de l’indice glycémique élevé des pommes de terre. Cet indicateur mesure la capacité d’un aliment riche en glucides à faire grimper rapidement le taux de sucre dans le sang après sa consommation. Or, les pommes de terre, notamment sous forme de frites, ont un indice glycémique supérieur à 70, ce qui les classe parmi les aliments les plus hyperglycémiants. Face à cette hausse brutale de la glycémie, le pancréas sécrète de l’insuline, une hormone qui permet au glucose de pénétrer dans les cellules et d’y être stocké.
En dehors des repas, lorsque la glycémie chute, le pancréas produit au contraire du glucagon, une hormone qui ordonne au foie de libérer le glucose stocké. Ce système de régulation permet à l’organisme de maintenir un taux de sucre stable dans le sang. En consommant très régulièrement des aliments à indice glycémique important, ce mécanisme est perturbé. Les cellules — notamment celles du foie, des muscles et du tissu adipeux — deviennent moins sensibles à l’action de l’insuline. Pour compenser, le pancréas produit de plus en plus d’insuline, jusqu’à épuisement progressif de ses cellules spécialisées. L’hyperglycémie chronique qui en résulte peut rester longtemps silencieuse… jusqu’à que la maladie soit souvent découverte à l’occasion d’une prise de sang.
L’impact des frites sur la santé ne tient pas qu’à l’indice glycémique
Cependant, selon les autrices et auteurs de l’étude, l’indice glycémique ne suffit pas à expliquer les écarts de risque observés entre la consommation de pommes de terre frites et celle de pommes de terre bouillies ou en purée. Si les trois modes de préparation concernent des aliments riches en amidon, les frites se distinguent par plusieurs caractéristiques susceptibles d’aggraver leur effet métabolique.
D’abord, les frites sont souvent très salées. Ensuite, jusqu’à récemment, leur cuisson s’effectuait couramment dans des huiles végétales partiellement hydrogénées, riches en acides gras trans. Aux États-Unis, ces graisses ont représenté jusqu’à 30 % des lipides utilisés pour la friture. Leur usage a été progressivement restreint à partir de 2010, avant d’être interdit en 2018 par l’administration américaine.
Enfin, les frites sont le produit d’un mode de cuisson à haute température, la friture, qui induit la réaction de Maillard. Ce processus chimique se déclenche lorsqu’un sucre — comme l’amidon des pommes de terre — réagit avec un acide aminé, en particulier l’asparagine, sous l’effet de la chaleur et d’un faible taux d’humidité. Il est à l’origine de la coloration dorée, des arômes grillés et des saveurs si caractéristiques des frites. Mais cette réaction entraîne aussi la formation de composés potentiellement nocifs, comme l’acrylamide.
Une autre hypothèse complémentaire, bien que jugée de moindre importance, concerne la qualité même des frites consommées aux États-Unis. De la culture des pommes de terre à leur transformation, ces produits résultent souvent de procédés fortement industrialisés, ce qui pourrait altérer la qualité nutritionnelle de l’aliment.
Pas de lien de cause à effet, mais un faisceau d’indices concordants
Comme toute étude observationnelle, cette recherche ne permet pas d’établir un lien de cause à effet: on ne peut pas affirmer que les frites provoquent directement le diabète de type 2. Elle met en évidence une association statistique, mais d’autres facteurs non identifiés — habitudes de vie, alimentation globale, contexte social — peuvent entrer en jeu. De plus, les données alimentaires reposent sur des déclarations faites par les participants, ce qui peut introduire des biais, même si les questionnaires ont été mis à jour régulièrement.
Ce travail porte sur des professionnels de santé américains, ce qui limite la généralisation à l’ensemble de la population. Par ailleurs, les chercheurs et chercheuses ne disposaient pas d’informations détaillées sur le mode de cuisson des frites ni sur les aliments consommés en même temps.
Malgré ces limites, les résultats vont dans le même sens que ceux d’autres études de grande ampleur. Une analyse menée au Royaume-Uni sur plus de 170.000 personnes a ainsi montré qu’une consommation de plus de deux portions quotidiennes de pommes de terre était associée à une hausse de 30% du risque de diabète de type 2. D’autres travaux américains ont observé des résultats similaires aux travaux des scientifiques de Harvard.
Un lien encore discuté
Toutes les études ne s’accordent cependant pas sur le lien entre consommation de pommes de terre et diabète de type 2. Par exemple, une vaste étude danoise ayant suivi plus de 7.695 cas de diabète sur 16 ans n’a pas mis en évidence d’association claire avec les frites. De même, une méta-analyse publiée en 2021, regroupant huit études prospectives, n’a trouvé aucun lien net entre consommation totale de pommes de terre et risque de diabète — les résultats étant très variables d’une étude à l’autre.
Or, ces divergences tiennent souvent à la méthodologie. Dans de nombreuses études, les habitudes alimentaires ne sont mesurées qu’une seule fois, en début de suivi, ce qui peut induire des biais. À l’inverse, l’étude de Harvard se distingue par le nombre élevé de participants inclus dans les cohortes et par un suivi régulier de l’évolution des comportements alimentaires sur plusieurs décennies, renforçant la fiabilité de ses conclusions selon les autrices et auteurs de la publication.
Remplacer les frites par d’autres glucides aurait un effet sur le risque de diabète
Pour conclure leur étude, les scientifiques ont évalué ce qu’il se passerait si trois portions hebdomadaires de frites étaient remplacées par d’autres sources de glucides — ces molécules qui fournissent l’énergie nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme.
Leurs résultats montrent que remplacer les frites par des céréales complètes permettrait de réduire le risque de diabète de type 2 de 19%. Substituer les pommes de terre bouillies, en purée ou au four par ces mêmes céréales entraîne également une baisse du risque, mais plus modérée (−4%).
En revanche, remplacer les pommes de terre par du riz blanc (non complet) est associé à une augmentation de 15% du risque.
Pourquoi certaines frites surgelées affichent-elles un Nutri-Score A?
Si ces frites affichent un Nutri-Score A, c’est parce qu’elles ne sont pas encore cuites. Les frites surgelées non pré-cuites sont simplement des pommes de terre épluchées et coupées, sans ajout de matières grasses ni de sel. Le Nutri-Score, calculé sur l’aliment tel qu’il est vendu, peut donc atteindre la note A. Mais ce score peut baisser après cuisson, notamment si les pommes de terre sont frites dans l’huile, ce qui augmente leur teneur en acides gras saturés. Il est d’ailleurs recommandé aux fabricants de préciser sur l’emballage que la cuisson peut dégrader le Nutri-Score d’une à deux lettres.
Diversifier les féculents pour mieux prévenir le diabète
Pour les épidémiologistes à l’origine de ce travail, il ne s’agit pas de bannir les pommes de terre ou les frites, mais d’encourager une plus grande variété de féculents (aliments riches en glucides). En particulier, les auteurs recommandent de privilégier les céréales complètes — comme le pain complet, le riz complet, les pâtes complètes, la semoule ou la farine intégrale — ainsi que les légumineuses (lentilles, haricots, pois chiches…), qui apportent à la fois des glucides et des fibres.
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