Africa-Press – Madagascar. Il semble logique que des systèmes nerveux plus complexes permettent des types d’apprentissage plus avancés. Pourtant, ce n’est peut-être pas le cas ! “Ce qui nous a surpris, c’est la rapidité avec laquelle elles apprennent”, raconte Jan Bielecki, neurobiologiste à l’université de Kiel (Allemagne). “Elles”, ce sont de petites méduses caribéennes nommées Tripedalia cystophora. Dépourvues de cerveau, elles sont pourtant capables d’apprendre de leurs expériences passées comme des animaux au système nerveux plus avancé, démontrent Jan Bielecki et son équipe pour la première fois dans la revue Current Biology.
Une méduse au système nerveux rudimentaire
Si Tripedalia cystophora n’a pas de cerveau, elle dispose de quatre complexes œil-neurones nommés rhopalies répartis autour de sa cloche. Chaque rhopalie comprend un millier de neurones et six yeux, dont deux sont des yeux lentilles semblables à un cristallin. “Au total, elles ont 24 yeux, dont huit ‘yeux lentilles’”, résume Jan Bielicki. Les rhopalies émettent également de faibles stimulations électriques, dont la fréquence augmente lorsqu’un obstacle s’éloigne. “Le système nerveux de Tripedalia semble fonctionner à la manière de circuits oscillants interconnectés. Lorsque ces circuits se synchronisent en réponse à un stimulus visuel ou sensoriel, ils modulent le comportement des effecteurs moteurs”, résume Jan Bielicki.
Les rhopalies sont des atouts indispensables pour ces habitantes des mangroves, ces marais maritimes dont l’abondante végétation strie l’eau de ses racines. Autant d’obstacles que les Tripedalia cystophora doivent éviter. Les Cnidaires, la famille des méduses, ont déjà montré qu’elles étaient capables d’apprentissage non-associatif, une forme d’apprentissage rudimentaire. “L’apprentissage non-associatif fonctionne pas habituation et sensibilisation, potentiellement au niveau de l’organe sensoriel lui-même. Par exemple, une odeur ou un son constant s’atténue de sorte que vous ne le sentez ou ne l’entendez plus”, explique Jan Bielicki.
La méduse Tripedalia cystophora est capable d’apprentissage avancé et rapide
Plus évolué, l’apprentissage associatif permet d’associer deux stimuli, comme les chiens de Pavlov qui ressentaient la faim lorsqu’ils entendaient un son habituellement associé aux repas. L’apprentissage associatif a été retrouvé jusque chez des mollusques comme l’escargot et ses 20.000 neurones. Mais ces méduses, dont les systèmes nerveux comptent parmi les plus rudimentaires, sont-elles capables d’apprentissage associatif ?
C’est ce que démontrent les chercheurs en plaçant les méduses dans un réservoir rond tapissé de rayures grises et blanches pour simuler l’habitat naturel de la méduse – les rayures grises imitant les racines des palétuviers (arbre des mangroves) qui paraîtraient éloignées. Comme anticipé, les T. cystophora nagent près de ces bandes qu’elles pensent éloignées et se heurtent fréquemment à la paroi. Mais en moins de huit minutes, elles ont augmenté leur distance moyenne par rapport au mur d’environ 50%, quadruplé le nombre de pivotements réussis pour éviter la collision et a réduit de moitié leurs contacts avec la paroi !
Les chercheurs tentent ensuite de provoquer un nouvel apprentissage. Ils confrontent les méduses à des barres grises en mouvement pour imiter l’approche d’un obstacle. Elles interprètent initialement les barres claires comme un objet éloigné et ne s’en éloignent pas. Les scientifiques appliquent alors des stimulations électriques aux rhopalies, dont le nerf moteur était relié à une électrode, pour imiter les stimuli normalement annonciateurs de collisions. Après cinq réitérations, les méduses généraient elles-mêmes des signaux d’évitement d’obstacles devant les barres claires. La preuve d’un apprentissage associatif rapide ! “Cinq essais pour apprendre, c’est comparable à des systèmes nerveux beaucoup plus développés comme ceux des larves de poisson zèbre et des mouches des fruits”, dont les cerveaux comptent dans les 200.000 neurones, s’étonne Jan Bielicki.
L’apprentissage des méduses, une inspiration pour la technologie
L’existence de l’apprentissage associatif chez un animal apparu si précocement dans l’évolution est essentielle. “Nous devons envisager la possibilité que l’apprentissage soit une fonction intégrée des cellules nerveuses ou des circuits neuronaux, et non pas, comme on le pensait auparavant, lié à des systèmes nerveux plus complexes”, interprète le neurobiologiste. “L’étape suivante consiste à obtenir un accès cellulaire aux neurones rhopaliens. Cela montrera comment l’animal traite l’information visuelle au niveau de la cellule à cellule.”
Avec de potentielles applications technologiques à la clé. “Nous espérons pouvoir copier le système nerveux de la méduse dans des circuits électroniques et faire passer, par exemple, la fonction de reconnaissance des formes du logiciel au matériel.” Et dans un avenir lointain, peut-être, “créer des circuits matériels qui se développent, se régénèrent et apprennent pour l’informatique du futur avec une consommation d’énergie beaucoup plus faible”.
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