Poumon, sein, côlon : pourquoi il faut arrêter de toute urgence de classer les cancers par organe

9
Poumon, sein, côlon : pourquoi il faut arrêter de toute urgence de classer les cancers par organe
Poumon, sein, côlon : pourquoi il faut arrêter de toute urgence de classer les cancers par organe

Africa-Press – Madagascar. Dits du poumon, de l’utérus ou encore du foie, les cancers sont couramment nommés d’après l’organe au sein duquel ils émergent. Un système de classification en apparence simple et logique, mais qui aujourd’hui n’a plus grand sens alors que de nombreux cancers partagent des mécanismes moléculaires identiques, alertent dans la revue Nature des chercheurs de l’Institut Gustave Roussy (région parisienne).

Classer les cancers par organe laisse des millions de patients sur le carreau

“Les classifications des cancers sont basées sur l’anatomie, et les médicaments sur la biologie”, résume le Pr Fabrice André, oncologue et directeur de la recherche de Gustave Roussy. Résultat, le développement de nouveaux médicaments est entravé par des indications par organe plutôt que par mécanisme moléculaire. “Pendant une dizaine d’années, des millions de personnes atteintes de tumeurs exprimant des niveaux élevés de PD-L1 n’ont pas pu avoir accès aux médicaments appropriés parce que des essais n’avaient pas encore été menés pour leur type de cancer lorsqu’elles sont tombées malades”, pointent les chercheurs dans la revue Nature.

PD-L1, c’est l’une des molécules présentes sur certaines cellules cancéreuses qui leur permet d’échapper au système immunitaire. Le nivolumab, traitement qui cible PD-L1, a montré son efficacité en 2012 sur plusieurs types de cancers différents. Malgré tout, certains organes comme le sein ou les cancers gynécologiques pourtant concernés par PD-L1 ont dû attendre sept à dix ans pour y avoir accès, faute d’autorisation officielle dédiée à ces organes.

Un meilleur système est pourtant possible. Depuis deux décennies, la médecine de précision a permis d’identifier des marqueurs moléculaires des cellules cancéreuses qui se sont révélés partagés par différents types de cancers. Or, en France et dans d’autres pays Européens, les patients ne sont pas remboursés s’ils prennent un traitement qui n’a pas été testé sur l’organe d’où leur cancer est originaire, et ce même s’il s’est ensuite répandu – on parle de métastases.

Aux Etats-Unis, l’opalarib a ainsi été approuvé en 2014 pour le cancer de l’ovaire avec des mutations de type BRCA1 et BRCA2. Mais ces mutations concernent aussi d’autres types de cancers, dont les cancers du sein et de la prostate, et peuvent donc être traitées par l’opalarib. Mais il a fallu attendre 2018 pour une autorisation sur le cancer du sein, et 2020 pour le cancer de la prostate. Entre 2014 et la date d’autorisation finale, environ 100.000 patients sont morts du cancer du sein et 200.000 du cancer de la prostate sans avoir pu potentiellement bénéficier de l’opalarib, déplorent les chercheurs.

Une quantité “écrasante” d’informations pour les médecins et étudiants

“La classification par organe reste importante dans le cas des cancers localisés, traités par chirurgie ou radiothérapie”, tempère Fabrice André. Mais dans le cas des cancers métastasés, penser par organe a d’autant moins de sens que l’on sait à présent qu’au sein d’un même organe, il faut subdiviser par différents mécanismes moléculaires pourtant partagés par d’autres types de cancers. “Les principales altérations génomiques sont partagées au moins entre deux cancers différents”, affirme Fabrice André.

Le résultat est difficilement compréhensible à la fois par les patients, mais aussi par les médecins et futurs médecins. “Actuellement, les étudiants et les praticiens doivent mémoriser et assimiler une quantité écrasante d’informations”, ajoutent les chercheurs. “Environ 10.000 articles scientifiques comprenant les mots ‘cancer’ et ‘essai randomisé’ sont publiés chaque année.” Mémoriser les résultats d’études par type de signature moléculaire plutôt que par type d’organe et sous-type moléculaire pour chaque organe faciliterait donc la tâche aux professionnels de santé. “Aujourd’hui le premier mot que l’oncologue a en tête, c’est cancer du sein ou cancer du côlon, et pas cancer par mutation EGFR. Il faut changer ça”, conclut Fabrice André.

Un système par molécule cible qui aurait plus de sens pour le patient

Quant aux patients, associer leur traitement non pas à la localisation de leur cancer mais à ses marqueurs moléculaires permettrait probablement de mieux comprendre la nécessité des traitements qu’ils prennent et d’en améliorer l’observance. “D’après notre expérience, le fait que deux personnes diagnostiquées avec le même type de cancer puissent recevoir des traitements différents est source de confusion et d’incompréhension (pour le patient)”, argumentent les chercheurs.

Si parler d’un cancer du rein est certes plus intuitif qu’un cancer PD-L1, les médecins pensent que la dose de nouvelles informations à absorber ne serait pas si importante, dans la mesure où chaque patient n’est affecté que par une à quatre altérations moléculaires différentes. Dans le domaine du VIH (virus du Sida), des études ont montré qu’expliquer au patient en quoi leur traitement était adapté à leur niveau de globules blancs augmentait leur adhésion de 5%.”C’est un chiffre énorme rapporté à tous les cancers à l’échelle du monde. L’impact en survie serait très important”, pointe Fabrice André. Aujourd’hui, un tiers des patientes arrêtent leur traitement contre le cancer du sein au bout de deux à trois ans.

Reste à aligner les autorités de santé et les sociétés savantes afin de mieux définir par quels critères il conviendrait de privilégier la classification par signature moléculaire ou pas organe. C’est un travail déjà en cours à la FDA (autorités de santé américaines) et à l’ESMO (Société Européenne d’Oncologie Médicale) que préside Fabrice André. “Je ne perçois pas de barrière là-dessus, tous les participants sont de bonne volonté”, affirme l’oncologue, optimiste. Il constate une “prise de conscience” de l’ensemble du champ scientifique dont les récentes et importantes avancées appellent logiquement à ce changement de paradigme.

Si le constat est partagé, encore faut-il déterminer “où placer le curseur”, admet Fabrice André. “Tout biologique, ou rester centré sur l’organe pour certains médicaments ?” Les experts devront le déterminer par la mise en place d’”outils méthodologiques et statistiques qui permettront aux chercheurs de démontrer qu’un médicament agit de manière agnostique quel que soit l’organe”, analysent les chercheurs dans Nature. Le système de soin devra aussi s’adapter, en privilégiant des équipes regroupant des experts par profil moléculaire de cancer et non par organe, qui repose notamment sur un meilleur accès aux tests moléculaires permettant d’identifier les profils pour chaque cancer.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Madagascar, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here