Africa-Press – Madagascar. Pourquoi dit-on souvent que l’être humain est une “espèce sociale” ?, nous demande Félix Aubin sur notre page Facebook. C’est notre question de lecteur de la semaine. Merci à toutes et à tous pour votre participation. Pour y répondre, (re)découvrez ci-dessous un extrait de notre article “Ce besoin viscéral de vivre en société“, issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°208 daté janvier/mars 2022.
“L’Humain commence avec le souci de l’autre”
“L’Humain commence avec le souci de l’autre”, posait Emmanuel Levinas. Pour le philosophe français, nous sommes ainsi caractérisés par notre socialité, c’est-à-dire la tendance de l’espèce à nous organiser en société, à construire des interactions entre individus ou groupes. Mais cette socialité, comment l’avons-nous acquise ? Le neuropsychologue Nassim Elimari, doctorant à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, avance une réponse: “Les espèces sociales sont le fruit d’un processus évolutif dans lequel les facultés sociales accroissent les chances de se reproduire.”
Dans cette optique, l’entraide et la coopération constituent un avantage, assurant une meilleure protection contre les prédateurs et facilitant la recherche de nourriture. Mais la vie en commun pose aussi des problèmes. Guillaume Dezecache, chercheur en psychologie cognitive à l’université Clermont-Auvergne, le rappelle: “Pour chaque individu, il existe une tension entre les avantages de la coopération et le risque de compétition pour la nourriture ou la reproduction.”
Trois cercles autour d’un individu
Une tension qui limite le nombre d’individus avec lesquels on socialise. Des chercheurs ont modélisé cette quantité, en remontant jusqu’aux chasseurs-cueilleurs il y a 250.000 ans. Ils distinguent trois cercles autour d’un individu: la bande, tout au plus 30 à 50 personnes, dont sa famille, avec qui il a des relations privilégiées ; la communauté naturelle, ou bande élargie, soit 150 personnes avec lesquelles les relations sont de qualité ; enfin la tribu ethnolinguistique, qui rassemble 1.000 à 2.000 individus.
Le psychologue évolutionnaire Robin Dunbar, de l’Université d’Oxford, a démontré que cette structure sociale n’a guère évolué… même à l’ère numérique ! Ainsi, sur Facebook, quel que soit votre nombre d’amis affichés, vous n’interagissez pas avec plus de 150 personnes. Un nombre limité, selon le chercheur, par la taille relative du néocortex, la matière grise. “C’est la théorie du cerveau social”, précise Nassim Elimari: plus le néocortex est gros, plus un individu est capable de gérer d’interactions sociales. Mais pour valider cette théorie, encore faut-il l’observer, même à des échelles différentes, dans d’autres espèces. Le chercheur britannique a donc été satisfait lorsque cette corrélation a été observée chez des macaques. En captivité, des individus hébergés avec sept congénères présentent ainsi un volume de matière grise supérieur à ceux logés en couple.
Nos capacités sociales s’ancrent bel et bien dans notre cerveau
Séduisante, l’idée peine cependant à s’imposer. Quelques exemples, en particulier, semblent l’affaiblir, comme ces cousins des pics-verts qui vivent plutôt seuls malgré un néocortex imposant. Pour les primates, elle ne fait pas non plus l’unanimité, car certains scientifiques avancent que la quantité de matière grise serait plutôt imputable à l’alimentation.
Une certitude toutefois: nos capacités sociales s’ancrent bel et bien dans notre cerveau. Comment s’y sont-elles formées ? “C’est une question extraordinairement complexe, répond Nassim Elimari. L’hypothèse la plus fréquemment admise postule l’apparition spontanée de structures cérébrales chez un ancêtre de l’espèce humaine. Elles ont donné de nouvelles facultés cognitives aux individus qui les possédaient. Au départ, elles n’ont probablement conféré aucun avantage. Mais, à la faveur d’un goulot sélectif (une baisse rapide de la taille de la population à cause d’un facteur extérieur, ndlr), les individus qui en disposaient ont été sélectionnés.”
Difficile d’identifier aujourd’hui quelles composantes cérébrales ont été décisives dans l’affaire. Certains évoquent les neurones miroirs, en particulier pour expliquer l’empathie, mais les aires sensorielles (visuelle, auditive… ) jouent aussi un rôle crucial dans la socialité. Il faut savoir interpréter les émotions et les comportements de nos congénères pour coopérer. Car “la coopération est l’exemple parfait de la ‘réussite” sociale’, lâche Nassim Elimari. Elle accroît en effet la faculté d’adaptation d’une espèce.
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